Européennes : l’Union sans ses citoyens

Les citoyens de l’Union européenne désignent leurs Eurodéputés le mois prochain. Une élection pour rien, ou presque, tant les pouvoirs du Parlement sont limités…

Chaque époque a ses modes et ses coutumes politiques. Qu’il est malvenu de ne pas suivre… Un exemple : osez affirmer que vous n’irez pas voter lors du scrutin des 6 et 7 juin prochains. Parce que vous estimez que ces 736 Eurodéputés sont très éloignés de vos préoccupations quotidiennes… Parce que les listes, de gauche ou de droite, sont conduites par des têtes nationales un peu trop connues… Parce que la participation à ce scrutin sera de toute façon très faible (seuls 30% des électeurs européens se disent certains d’aller voter)… Et parce que vous avez l’impression qu’après tout, les institutions européennes et ceux qui les font vivre se passent généralement très bien de votre avis…

Vade retro ! Haro sur l’abstentionniste coupable ! Et si vous avancez pour votre défense que le Parlement européen est une institution qui ne pèse pas lourd dans le destin de l’Union, on vous rétorquera que c’est faux, que les Eurodéputés n’ont jamais eu autant de pouvoir, qu’ils n’ont de cesse d’œuvrer pour se faire une place quelque part entre la Commission et le Conseil.

Sur ce point, méfiez-vous : vos détracteurs n’auront peut-être pas tout à fait tort. Depuis sa création en 1952 -il s’agissait alors d’une Assemblée commune, prévue dans les institutions de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA)- le Parlement est effectivement devenu un rouage plus important dans la mécanique européenne. Symboliquement d’abord, en se dotant du nom de Parlement en 1962. Politiquement ensuite, en devenant en 1976 la seule institution européenne dont les membres sont élus au suffrage universel direct, par 375 millions d’électeurs.

Un pouvoir conquis progressivement

Ce Parlement s’est par ailleurs battu pour traiter d’égal à égal avec le Conseil des Ministres de l’Union européenne… Initialement, les députés ne disposaient que d’un droit de consultation. On est progressivement passé aux procédures de coopération, avec l’Acte unique européen en 1986, et de codécision, avec le traité de Maastricht en 1992. Celles-ci associent plus étroitement le Parlement aux travaux législatifs. C’est à dire concrètement que l’aval des Eurodéputés est désormais nécessaire pour légiférer dans certains domaines : l’environnement, la recherche, la lutte contre l’immigration clandestine ou encore la culture et la santé publique…

Le Parlement a également gagné en importance face à la Commission, puisqu’il lui est techniquement possible de la renverser par une motion de censure. En outre, les Eurodéputés investissent le Président de la Commission et les commissaires, choisis par les 27 États membres, après un « grand oral » individuel qui permet de repérer d’éventuels dangers… comme l’atteste le cas Rocco Butttiglione, écarté pour ses positions politiques ultraconservatrices et homophobes.

Enfin, on pourra s’étendre sur le fait que le Parlement participe à diverses nominations dans les institutions de l’Union, qu’il est en partie responsable du budget, et que la Cour de justice des communautés européennes a souvent pris son parti dans ses arrêts.

Un « garde-fou » plus qu’un acteur

Ces progrès n’empêchent pas le Parlement de rester extrêmement faible dans le fonctionnement actuel des institutions communautaires. En premier lieu parce qu’il ne dispose pas de l’initiative législative, un privilège jalousement conservé par la Commission… Certes, on pourra abonder sur le fait que, en France, c’est plus souvent le gouvernement que l’Assemblée qui se trouve à l’initiative d’une loi. Mais un Parlement privé de la possibilité même de proposer un texte législatif est-il autre chose qu’une simple chambre d’enregistrement ? Dans le meilleur des cas, les Eurodéputés valident la copie qu’on leur présente, et les modifications qu’ils souhaitent apporter sont soumises à des conditions drastiques…

Par ailleurs, dans de nombreux domaines d’importance, ils sont tout simplement exclus du processus de décision. Ainsi, pour les sujets concernant la politique économique, la révision des traités, la citoyenneté européenne, les règles de concurrence, la fiscalité, l’agriculture ou la coopération policière et judiciaire, le Parlement est invité à donner son avis… sans que celui-ci soit contraignant. Idem pour la question fondamentale de la politique monétaire. On aurait pu imaginer un système dans lequel nos représentants valident les décisions de la Banque centrale européenne. Il n’en est rien. L’action du Parlement s’opère principalement à la marge, et pour les affaires de moindre importance. Il est un « garde-fou » plus qu’un acteur.

Déficit démocratique

Enfin, et c’est là le plus grave, le Parlement peut renverser la Commission ou refuser la nomination d’un commissaire, mais il n’intervient à aucun moment dans la composition. Les commissaires européens sont désignés par les États membres, et la nomination du Président -dont le rôle est fondamentale- fait l’objet d’intenses tractations entre les 27… sans que les citoyens de l’Union ou leurs représentants directs ne puissent intervenir. Ce qui en dit long sur la démocratie de façade qui cimente le système européen…

Si l’Union jouait jusqu’au bout la carte du choix populaire, elle pourrait le faire en instaurant un système parlementaire réel. Auquel cas, la Commission -c’est à dire l’exécutif européen- serait formée à partir de la couleur politique majoritaire au Parlement. Le choix d’un système « présidentiel » serait également possible : les citoyens européens éliraient alors directement leur exécutif.

Aucun de ces scénarios, qui rapprocheraient considérablement les Européens de leurs institutions, n’a jamais été évoqué dans un traité. Pour l’heure, la politique européenne est faite par des personnes désignées, face auxquelles nos seuls représentants directs n’ont qu’un pouvoir très restreint, et aucune initiative n’indique un tournant démocratique. L’Europe, en définitive, se fait sans ses citoyens. Sur les Français, les Néerlandais ou les Irlandais qui votent « non » quand on leur propose des traités, les critiques pleuvent… A bas les Eurosceptiques ! Peut-être se sentiraient-ils plus Européens s’ils avaient le sentiment de peser davantage sur les décisions prises à Bruxelles.

Ainsi, la prochaine fois que l’on vous reprochera votre abstentionnisme européen, répondez que vous vous déplaceriez volontiers pour élire quelqu’un d’autre que José Manuel Barroso à la tête de la Commission européenne. Et que le Président français, que vous ayez ou non voté pour lui, a infiniment plus de prise sur le destin de l’Union que les députés envoyés au Parlement européen.

Pour en savoir plus sur le sujet : une infographie du Figaro sur les 27 pays de l’Union européenne. A voir également sur le site du Figaro, le résumé vidéo des grandes étapes de la construction européenne. Et, pour ne pas être catalogué trop vite parmi les Eurosceptiques (…), les cinq bonnes raisons d’aller voter le 7 juin sur le site de France 2.

Crédit photo : y.caradec / Flickr

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3 réponses à Européennes : l’Union sans ses citoyens

  1. Gaëlle dit :

    Mais si nous continuons à ignorer nos Eurodéputés via les urnes, comment peuvent-ils obtenir plus de pouvoir sur les institutions européennes? Quel pouvoir avons-nous de changer les choses, de donner de la légitimité à la seule institution « démocratique » de cette Europe si lointaine? Dans ce cas, notre marge de manoeuvre est infime, je suis d’accord… Est-ce une raison suffisante pour ne pas en profiter?

  2. delphine dit :

    Je tiens quand même à rappeler que si le traité de Lisbonne entre en vigueur, la codécision deviendra la procédure de droit commun, aussi bien en matière législative que budgétaire. Ce qui signifie que le Conseil et le Parlement seront sur un pied d’égalité et qu’aucun texte ne pourra être adopté si l’une des deux institutions s’y oppose. En réalité, le problème ce n’est pas réellement le pouvoir du Parlement mais le fait que l’UE repose sur 2 légitimités démocratiques : celle des peuples, bien que peu mobilisatrice, et celle des états, dont nous avons élu les représentants. Sauf à changer le fonctionnement actuel en supprimant le Conseil et donc, soyons honnêtes, en paralysant littéralement l’action européenne, le Parlement n’est pas seul titulaire de la légitimité démocratique et ne peut dès lors que disposer d’un pouvoir plus ou moins proportionné à sa légitimité.
    Et puis, juste une petite remarque, le Parlement a un pouvoir d’initiative en matière législative puisqu’il peu soumettre des propositions à la Commission en ce qui concerne le premier pilier (de même pour le Conseil). Par contre, on ne peut que constater avec dépit sa totale absence en matière de 2eme et 3eme pilier (PESC et JAI).

  3. Mehdi dit :

    D’après vous, quel est le pouvoir n°1 dans une société démocratique? Celui de voter les lois, ou celui de les imaginer? En France par exemple, l’initiative des lois est à 90% réservée aux projets de lois du gouvernements, et l’adoption d’une proposition de loi issue du cerveau d’un parlementaire est plus que marginale. Réforme des universités, des retraites, du système de santé, de l’armée, du système électoral etc… Toutes ces grandes orientations, qui sont en fait le coeur du pouvoir et de la vie démocratiques, sont issues des conseils de ministres, et de la volonté du président de la république. Le peuple ne s’y trompe pas: quand les salariés sont en colère, c’est la démission du miistre qui est demandée, jamais celle des parlementaires qui ont pourtant… voté la loi… contrairement au ministre, qui n’a fait que la proposer.
    Alors, en deux mots, il faut en conclure que ceux qui nous expliquent que la codécision est une avancée démocratique SE FOUTENT DE NOTRE GUEULE. Le pouvoir législatif européen appartient à la commission européenne, seule à détenir le pouvoir d’initiative législative en Europe. Et, devinez comment sont choisis les commissaires européens? Pour leur “compétence et leur engagement européen”. Le pompon, c’est que cette commission est par ailleurs dépositaire du pouvoir exécutif européen. Conclusion? En Europe, la base des bases de la démocratie n’est pas respectée: Montesquieu peut se retourner dans sa tombe, puisque, 300 ans après les avancées des lumières, l’Europe propose un système politique SANS SÉPARATION DES POUVOIRS. Marrant, non?

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