Cannabis : la prohibition nuit gravement à la santé

La légalisation du cannabis pourrait bien s’avérer plus utile à la santé publique que son interdiction… Enquête.

« Je veux fumer de l’herbe de qualité (…) Ne plus transpirer à chaque contrôle d’identité » Il y a plus de dix ans, le groupe de reggae français Tryo chantait déjà un hymne à la légalisation du cannabis dans son titre La main verte. Depuis, la loi n’a pas changé. Les Français n’ont pas le droit de fumer un joint à leur domicile. En pratique pourtant, ils sont de plus en plus nombreux à consommer weed, beuh, hasch… Peu importent les termes choisis, le refrain d’artistes engagés est repris depuis une semaine par des choristes d’un autre genre. Daniel Vaillant, député-maire (PS) du XVIIIe arrondissement de Paris et ancien ministre de l’Intérieur, s’est récemment exprimé sur le sujet pour défendre la légalisation. S’il affirme n’avoir jamais essayé cette drogue, dite douce, l’élu s’inquiète aussi de la qualité du cannabis en circulation. Légaliser serait donc une mesure de santé publique ?

« Il y a beaucoup de préjugés autour de la feuille de cannabis, indique Thomas Parizot, président du Collectif d’information et de recherche cannabique (CIRC) à Lyon, un mouvement qui lutte pour la légalisation contrôlée du cannabis. Or, le principal danger vient plutôt du marché noir : avant d’être vendu, le cannabis est mélangé avec n’importe quoi. On parle même d’excréments d’animaux pour celui qui vient du Maroc… » La prohibition empêcherait justement le contrôle des produits vendus au coin de la rue.  Les usagers évoquent souvent la présence d’additifs dangereux : pollens, pesticides… ou carburants.

Le site Canaweed, un forum dédié à la fumette, fournit des exemples préoccupants. « Vu la gueule de ton shit, c’est bien du comestible coupé au henné ou à la paraffine. » Un internaute met son savoir au service d’un consommateur novice, préoccupé par la composition de ce qu’il fume. «C’est pourtant pas bien compliqué ! Tu mets un coup de flamme et tu sens… » poursuit-il. Si ça brûle, il y a des chances pour que la résine soit coupée avec de l’essence. Le 9 mars 2007, deux cas de pathologies respiratoires sérieuses qui pourraient être liées à la consommation d’herbe de cannabis coupée avec des microbilles de verre alertent le ministère de la Santé. Cet étonnant mélange a été repéré en France depuis l’été 2006. « Seul un arrêt de toute forme de consommation élimine ce risque » conclut un communiqué.

Face à ce phénomène, que l’interdiction totale n’endigue pas, une infirmière scolaire s’exclame, réaliste : « Il faudrait que l’usage de cannabis soit géré et encadré. Ça éviterait peut-être que les gosses fument des saloperies… » Une régie d’Etat comme pour le tabac ou des « cannabistrots », genre de coffee shops à la française, permettraient aux pouvoirs publics de contrôler la consommation (qui serait interdite aux moins de 16 ans) et les filières de production.

Indulgence accrue pour un joint plus « sûr » donc… Cette proposition, notamment défendue par le CIRC, n’est pas forcément démagogique. L’instauration d’une loi très répressive sur les stupéfiants en 1970 n’a pas fait reculer la consommation. Au contraire. Les Français sont nombreux à apprécier la fumette. « On compte plus de 6 millions d’usagers plus ou moins réguliers, s’exclame le psychiatre Michel Hautefeuille, spécialiste des addictions à l’hôpital Marmottan. Cela représente 10% de la population ! » À l’évidence, un hiatus existe entre le cadre légal et les pratiques sociales. Passé dans les mœurs, le joint ne concerne plus seulement les anciens hippies de 1968, mais différents milieux sociaux. Police et campagnes de prévention continuent pourtant à tenter de faire respecter une loi inadaptée.

Campagnes de prévention mal ciblées

La campagne de prévention « Drogues : ne fermons pas les yeux », menée par la MILDT (mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie), s’adresse clairement à la jeunesse. Depuis le 10 octobre, spots TV et flashes radio mettent en scène lycéens et étudiants, menacés par la banalisation du cannabis. « Hier soir, on a fumé trois pét’, je te passe les détails, c’était top ! » raconte fièrement un gaillard de 20 ans. Sa copine, une jolie brunette, riposte : « Quel mytho ! Il n’était pas excité du tout, il s’est endormi au bout de cinq minutes ! » À l’origine de ce ciblage jeune, un chiffre : 42,2% des ados de 17 ans ont déjà fumé du cannabis.  Une proportion inquiétante ?

Pas tant que ça au regard des chiffres de 2003. Il y a six ans, ils étaient 50,3% a déjà avoir essayé (1). Pas d’augmentation démesurée donc, et même une baisse apparente. Mais surtout, l’essayer, ce n’est pas l’adopter. « Seuls » 7,3% des jeunes de 17 ans déclarent consommer du cannabis régulièrement. Pour les autres, la sonnette d’alarme de la MILDT manque de sens. « On dit aux jeunes qu’il ne faut pas consommer de cannabis parce que ça va les rendre toxicos, que c’est dangereux, note Michel Hautefeuille. Mais pour 99% d’entre eux, ce n’est pas le cas ». Fumer un joint ferait partie de ces « erreurs de jeunesse » qui ne durent qu’un temps. Une transgression passagère, dont on se lasse après quelques mois…

De surcroît, les spots de la MILDT oublient les moins jeunes. « 60% des fumeurs de cannabis ont plus de 35 ans, précise Michel Hautefeuille. Et dans les services de Marmottan, la moyenne d’âge de consultation pour le cannabis est de 40 ans. En fait, les jeunes fument des joints, mais n’en font pas une maladie. Ils sont beaucoup plus menacés par le tabac et l’alcool. »

« Si on dépénalisait l’usage du cannabis, cela permettrait d’améliorer le travail d’explication. Notamment leur dire ce qu’est la dépendance et que certaines choses ne sont pas compatibles. Pour l’alcool, on dit « boire ou conduire, il faut choisir ». C’est la même chose pour fumer ou passer ses examens. » Cet avis est partagé par le sociologue Albert Ogien. « La guerre aux drogues douces est coûteuse et n’apporte aucun résultat. Son efficacité est nulle. En continuant à pratiquer une politique de répression, on laisse de nombreuses personnes dans les milieux souterrains. Beaucoup de thérapeutes pensent qu’il faudrait les prendre en charge au lieu de les considérer comme des délinquants. »

« C’est bon pour nos stats’… »

Dans les commissariats pourtant, la chasse aux stupéfiants se poursuit. « Interpeller des consommateurs de cannabis, c’est bon pour nos stat’, reconnaît une source policière. Dans la plupart des cas, l’herbe côtoie d’autres substances dans les poches, résine et cocaïne notamment. » La légalisation ne mettrait toutefois pas fin au travail de la police. « Si la consommation de cannabis est autorisée, d’autres problèmes devront être prévenus. Comment gérera-t-on les personnes qui prennent le volant sous l’emprise de cette drogue ? » À cette inquiétude des forces de l’ordre s’oppose un autre avis. Légaliser permettrait de mieux appréhender le problème. « Au lieu d’arrêter les consommateurs comme des délinquants, on pourrait les aider comme on le fait pour les alcooliques » suggère Albert Ogien.

En cas de légalisation, nul ne peut toutefois prévoir ce qu’il se passerait du côté de la consommation. « Au regard de l’expérience d’autres pays, il reste difficile d’établir un lien entre le statut légal et la consommation, constate Sophie Massin, doctorante et auteur d’un ouvrage sur la dépénalisation du cannabis d’un point de vue économique. La consommation est la variable-clé. Si elle devait exploser, le coût social pourrait être très important. » Autrement dit, la société devrait payer le prix de ses excès : incapacité de travail, entreprises tournant au ralenti, absentéisme important dans les universités, frais de santé…

Dans le doute, devrait-on s’abstenir ? Thomas Parizot tempère ces craintes. Pour lui, la consommation n’a aucune raison d’augmenter avec la légalisation. « Ceux qui veulent fumer peuvent déjà le faire, martèle-t-il. Ce n’est pas parce que l’alcool et le tabac sont en vente libre que tout le monde boit ou fume ».

(1) Résultats OFDT (Observatoire français des drogues et des toxicomanies), enquête réalisée lors de l’appel de préparation à la défense, sur 39 542 jeunes âgés de 17 ans.

Crédit Photo Duncan Brown / Flickr

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2 réponses à Cannabis : la prohibition nuit gravement à la santé

  1. Gus dit :

    C’est pas logique qu’ils durcicent la loi contre le téléchargement qui fait de mal à personne (sauf ceux qui ont déjà de l’argent) alors qu’il voudraient dépénaliser le canabis…

  2. anne dit :

    Super-intéressant votre tour d’horizon ! J’aime bien l’analyse de Sophie Massin…

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