Identité nationale : le gouvernement joue avec le feu

Depuis le 2 novembre, les Français sont consultés sur la définition de leur identité nationale. Une initiative qui pourrait être heureuse si elle n’était pas portée par le gouvernement actuel…

Légaliste : « Être Français, c’est respecter les lois de la République et ne pas oublier ses valeurs ».

Cosmopolite : « Être Français c’est être ouvert. Ouvert sur le monde, ouvert aux idées et aux créations artistiques venues d’ailleurs qui viennent enrichir la culture de notre pays ».

Éclairé : « Être Français , c’est respecter le droit d’asile, être le pays de Voltaire, du siècle des lumières ».

Classique : « Être Français, c’est mener une vie en accord avec les trois principes républicains que sont la Liberté, l’Égalité, et la Fraternité, avec respect, tolérance et fierté ».

Exclusif : « Être Français, c’est ne posséder QUE la nationalité française ».

Pratique : « Être Français, c’est payer ses impôts en France ».

Comique (?) : « Être Français, c’est être fan de Michel Sardou ».

Le coup de clairon d’Éric Besson a, semble-t-il, résonné dans toutes les demeures de l’hexagone. Depuis le 2 novembre, date de lancement de la consultation sur l’identité nationale, le site du ministère de l’immigration est littéralement pris d’assaut. La question, posée comme un sujet d’interro -« Pour vous, qu’est ce qu’être Français ? »- a déclenché un déferlement de réponses. L’identité française a été déclinée sur tous les tons.

Du plus nationaliste au plus universel (on est Français quand on est né de parents français / on est Français quand on partage un ensemble de valeurs)…

Du plus historique au plus contemporain (on est Français quand on porte l’héritage culturel de France / on est Français quand on crie « Allez les bleus ! »)…

Du plus grandiloquent au plus cocasse (on est Français quand on se reconnaît dans le drapeau tricolore / on est Français quand on apprécie le vin et le fromage qui sent fort)…

Cette passion soudaine pour la dissertation sur l’identité nationale a de quoi surprendre. D’autant plus que, selon un article du Monde.fr, la manœuvre politicienne n’a échappé à personne. Le débat vise avant tout à mobiliser les électeurs de droite à quelques mois d’élections régionales « test » pour le gouvernement. Mais peu importe le contexte. La question dépasse le clivage politique. A droite comme à gauche, la question de la « Francitude » a fait l’effet d’un électrochoc identitaire.

Non sans raison. La sociologie politique explique que toute société repose à la fois sur le mouvement et le fondement. Le mouvement, parce que tout groupe social est amené à connaître le progrès technique, à côtoyer d’autres groupes, et expérimenter des transformations sociales plus ou moins rapides. Une société « paralysée » est presque immanquablement une société mourante. A l’inverse, le « vivre ensemble » nécessite également un fondement, le partage d’un socle d’éléments communs sans lesquels le groupe n’a plus de raison d’être. La langue, l’histoire, les mythes agissent alors comme autant de liens supposés immuables entre les individus. Le processus identitaire, dans toute société, repose sur cet équilibre entre ce qui demeure et ce qui évolue.

Changements brusques

Or, de l’après-guerre à aujourd’hui, le mouvement a été brusque. La France s’est sans doute davantage transformée durant ces cinquante dernières années que pendant les cinq-cents précédentes. Elle est entrée de plein pied dans la mondialisation… ou plus exactement, la « globalisation », qui inclut l’uniformisation des modes de vie. Elle a connu la disparition de sa paysannerie traditionnelle, qui constituait l’un des éléments de son socle identitaire. Elle s’est européanisée. Durant ses Trente glorieuses, elle s’est ouverte à la main d’œuvre immigrée de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal et du Maghreb. Ses gouvernements successifs ont appris à composer avec une classe moyenne de plus en plus vaste tout en laissant prospérer des inégalités de plus en plus criantes entre les plus riches et les plus pauvres. Enfin, jadis « fille aînée » de l’Église catholique, la France compte aujourd’hui plus de trois millions de musulmans.

Ces changements, lents à l’échelle d’une vie, mais très rapides au regard de l’Histoire, peuvent amener à s’interroger sur le fondement, ce fameux socle commun partagé par le groupe, ébranlé par les évolutions économiques et sociales. Quel lien existe-t-il aujourd’hui entre ce cadre habitué du quartier de la Défense, cet ouvrier « Ch’ti » de la banlieue lilloise et ce jeune Algérien qui pratique le ramadan et parle arabe à la maison avec ses parents ? Socialement, l’interrogation est légitime. Sous peine de se disloquer, une société doit savoir d’où elle vient, ce qu’elle partage et où elle va.

La définition par l’exclusion

Pour autant, le débat tombe au mauvais moment. Il n’est surtout pas porté par le bon gouvernement. Chantres de « l’immigration choisie » et du « retour au pays », Éric Besson et ses comparses ont multiplié les signes d’hostilité à l’égard d’une population immigrée… dont bon nombre de représentants ont pourtant fréquenté l’école publique et payent leurs impôts en France (y compris les clandestins, via la TVA). Déclarations à l’emporte-pièce du candidat Sarkozy (« Si certains n’aiment pas la France, qu’ils ne se gênent pas pour la quitter »), fermeture de Sangate, préfectures contraintes par la loi du chiffre pour les exclusions… La politique du gouvernement nie en grande partie la possibilité d’accéder à l’identité française pour tous ceux qui n’en disposent pas initialement. Pire : elle génère une méfiance vis-à-vis de l’étranger. Y compris de l’étranger qui parle Français et dont les ancêtres ont été, dans une large mesure, associés à l’histoire de France.

Le « vouloir vivre ensemble », largement présent dans l’imaginaire identitaire français, n’a plus le vent en poupe. Dans ce contexte, celui d’une France qui a oublié son discours « Black Blanc Beur » de la Coupe du Monde 1998, il est à craindre que le débat sur l’identité française génère surtout des arguments exclusifs. Et nourrisse de dangereux amalgames. « Est Français celui qui ne dispose QUE de la nationalité française ». Et en allant plus loin ? Est Français celui qui porte un nom à consonance française ? Celui qui achète uniquement Français ? Celui qui n’est pas musulman ?

Au mieux, ce débat qui repose uniquement sur l’opinion des uns et des autres n’aboutira à rien. Au pire, les premiers résultats -connus le 4 février- alimenteront un peu plus xénophobie et conflits communautaires. Réfléchir sur un sujet aussi délicat que l’identité nationale nécessite de prendre des précautions. Notamment de s’entourer d’historiens et de sociologues compétents sur la question. Cela suppose aussi d’être de bonne foi. Ce qui n’est pas le cas du gouvernement actuel.

Pour en savoir plus : L’Express.fr a commenté les commentaires des internautes sur l’identité nationale

Et ailleurs dans la presse : un éditorial du Monde.fr sur les dérapages nationalistes du gouvernement

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1 réponse à Identité nationale : le gouvernement joue avec le feu

  1. Virginie dit :

    C’est sûr qu’à part les fins d’instrumentalisation (avec les fameuses régionales qui approchent et les voix de l’extreme droite visées par l’UMP), je ne vois pas l’intérêt du débat sur l’identité française. Qu’est ce que ça veut dire? Qui peut prétendre la définir à la fois de manière objective et non-excluante? Je m’explique: si on se réfère à la marseillaise par exemple pour considérer que c’est un critère de l’identité nationale, ceux qui ne la connaissent pas n’auraient pas le droit de se sentir français? dans ce cas, il faudrait faire un bon ménage dans l’assemblée nationale, car un bon nombre de députés ne connaissent même pas les paroles (cf en images un récent « petit journal de yann barthes » où les députés sont invités à la chanter en direct…!).
    Finalement, il ne ressort de ces débats que des vieux clichés sans intérêts. En fait, l’identité nationale est surtout issue d’une expérience personnelle, subjective, faite de connaissances (par exemple historiques, culturelles), de souvenirs et/ou de projets qui font qu’on est particulièrement attaché à un pays donné.
    Au fond, ce n’est qu’un coup médiatique de plus dans la démocratie cosmétique de Sarko: un coup on sort Besson, l’autre Frédéric Lefèvre, l’important c’est d’être vu. D’ailleurs, le prochain Lefèvre, à votre avis, c’est pour quand? 😉

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