En France, le troisième tome de la saga de Stephenie Meyer sort dans un mois au cinéma. Retour sur un phénomène… qui ne séduit pas seulement les jeunes filles en fleur.
Gare au vampi-ii-i-re… Dans un mois, la folie Twilight s’empare de nouveau de nos cinémas. Le 7 juillet, Hésitation, le troisième volet de la saga de Stephenie Meyer, sort dans toutes les salles. Ou presque. Les gérants des grands écrans auraient tort de se priver. Le premier tome, Fascination, adapté au cinéma, a fait 2 772 000 entrées rien qu’en France. Et le second, Tentation, plus de trois millions.
Étonnant ce succès? A feuilleter les bouquins et à revoir les deux premiers épisodes, on peut se dire qu’il n’est en tout cas pas immérité, même si Twilight est un peu à la littérature ce que le club Dorothée est à la culture française. Cette histoire fantastico-romanesque, qui mêle amourettes très fleur bleue et coups de dents (de vampires et de loups-garous, Stephenie Meyer a tout prévu…), a le mérite de l’originalité. Et les atouts pour séduire un public jeune et féminin. Sauf que… à se glisser dans les salles de ciné qui projettent Twilight, on se rend compte que le public est loin d’être composé exclusivement de filles âgées de 12 à 25 ans.
Dans les files d’attente des cinés, les garçons qui accompagnent ces demoiselles ne sont pas tous des blasés qu’on a tannés plusieurs heures pour qu’ils acceptent de venir. Très peu de « Hein ? Je comprends pas, il est gentil le vampire qu’on va voir ? » ou de « C’est pas comme Underworld ce film ? ». Les discussions de pré-séance confirment que beaucoup connaissent le livre et maîtrisent leur sujet*.
Par ailleurs, au vu des commentaires qui circulent sur le web, il est clair que ces histoires de bisous plus ou moins appuyés dans le cou ne séduisent pas seulement la jeunesse. Ce que confirment, sur le forum aufeminin, des femmes qui ne sont plus des teenagers : « Ce sont des livres que je conseille; je les lis et relis et j’ai du mal à trouver quelque chose de si fort… J’ai 35 ans… je ne suis pas une vieille fille… j’attends mon 1er bébé et je suis conquise… c’est dur de décrire ce que l’on ressent à la lecture… ». Ou encore : « j’ai ma petite vie, un mari que j’aime et plein de projets.. mon âge fleur bleue est assez loin.. mais j’avoue que j’ai commencé par lire le premier tome et j’ai aimé le style d’écriture ( un Marc Levy plus que romantique) et puis l’histoire fantastique… ».
Pas de Pouddlard dans Twilight
Conclusion et évidence : Twilight séduit un autre public que les demoiselles adeptes de princes charmants aux longues dents. Mais avec quelles ficelles ? Son univers peut-être ? Comme d’autres séries à succès de notre époque, cette saga « vampiresque » emmène effectivement ses fans dans un monde « décalé, mais pas trop ». On n’est pas, ici, au pays complètement imaginaire du Seigneur des Anneaux. Les années lycée de l’héroïne Bella, jeune Américaine, sa vie d’adolescente et ses désirs de flirt avec un garçon mystérieux sont autant de points de repère qui permettent au lectorat de palper la normalité, et sans doute de s’identifier plus facilement aux personnages.
Oui, mais voilà… A la différence d’Harry Potter, Twilight ne va pas très loin dans le mélange des genres. Le croisement entre le vous-moi-Monsieur-tout-le-monde et les castes des vampires et des loups-garous se déroule dans un univers connu, très connu, trop connu. Certes, l’auteure s’étend longuement sur les castes en question. Mais, côté créatif, on est loin de l’école de magie Pouddlard.
Exit donc, l’exotisme teinté de réalité. Quid alors de l’aspect « vampire humanisé » ? Dans une interview au Figaro, Jean Marigny, spécialiste ès vampires en littérature, explique que le buveur de sang n’est plus seulement une brute épaisse obsédée par l’hémoglobine. Depuis Bram Stoker, Nosferatu et Christopher Lee dans le rôle mythique de Dracula, le monstre a évolué. Il sait aujourd’hui se contenir avant de sauter à la gorge de la première venue, et quoiqu’il ait certainement développé une allergie à l’ail-phone, il s’adapte parfaitement au monde moderne, se passant généralement de son traditionnel cercueil pour faire la sieste. Sans compter qu’il peut être « végétarien » – comprenez : il bouffera votre chat ou l’ours du zoo d’à côté, mais pas vos enfants- et qu’il éprouve même des sentiments.
Mieux : le vampire est désormais jeune et beau. Son côté « je voudrais te mordre mais je me contrôle » lui donne souvent des allures de héros déchiré. Idéal pour séduire. Cet aspect se retrouve notamment dans la série True Blood. Et était déjà présent dans le film Entretien avec un vampire de Neil Jordan, qui met en scène un Brad Pitt pris entre son instinct vampirique et son dégoût de tuer.
Oui mais… Précisément, les vampires de Twilight sont dénués de toute ambiguïté. Ils s’assument ou ne s’assument pas, bouffent les chats ou les enfants et s’en portent très bien dans les deux cas. Et ceux qui s’en tiennent au menu gastronomique du zoo n’ont même pas besoin de se shooter comme dans Blade… Les Cullen ne mordent pas leurs voisins et ne se posent aucune question. Les Volturi dévorent de l’humain à tout-va et ne s’en posent pas davantage. On est loin, par ailleurs, du côté « polar » et investigateur qui caractérisent d’autres séries à succès, comme Harry Potter. Chez Meyer, pas d’enquête, peu de suspens et de coups de théâtre, pas de personnage trouble… On sait qui est qui, surtout qui est bon et qui est méchant. Un peu léger tout de même pour expliquer un succès planétaire.
Dra-CUL-a?
Restent le caractère du mystérieux Edward et la très ingénue Bella Swan, figures de séduction par excellence. Mais encore une fois, ça cloche : Edward ne reste entouré de mystère que durant la moitié du premier tome. Et demeure de surcroît très ancré dans ses valeurs d’Américain puritain pour quelqu’un qui a traversé le vingtième siècle. Quant à sa dulcinée, elle passe plutôt rapidement de l’interrogation à la décision de se « vampiriser ». Et si justement, c’était ce côté « Oh oui, mords-moi… Suce-moi (le sang, NDLR)« qui plaisait ? Peu probable… En bon WASP, Edward refuse de toucher sa belle avant un pieux mariage. Et ne lui passe la bague au doigt qu’au dernier tome de la saga. C’est dire si on attend LE moment où…
Stephenie Meyer, qui aime la description, devient d’ailleurs subitement très avare de détails à ce moment-là. On est loin de la croustillante scène du Dracula de Coppola, où Keanu Reeves est « assailli » par trois belles vampiresses… Dommage. Beaucoup de lecteurs(-trices) apprécieraient sans doute de savoir dans quelles circonstances Edward consomme Bella après le mariage.
Dès lors, faut-il considérer que l’histoire allume le feu seulement grâce à la bonté de ses sentiments et la simplicité de son scénario ? Ou bien grâce aux belles gueules de Rob’ Pattinson et Kristen Stewart, le couple glamour de l’adaptation au cinéma ? Possible. Mais pour expliquer la passion Twilight, l’argument est un peu…light. Et même si les (nombreux) fans se précipitent de nouveau au cinéma le 7 juillet, on cerne finalement encore mal les raisons profondes d’un tel phénomène. Bref, la Vache qui rit rit, et on ne sait toujours pas pourquoi, Twilight cartonne, et on ne sait toujours pas pourquoi non plus.
Ceci dit, Retour d’actu n’a rien contre Stephenie Meyer… La preuve : Twilight, pourquoi tant de haine ?
Et à lire aussi sur ce blog : Twilight, un disneyland des émotions ?
* L’auteur de cet article est un homme de 25 ans, qui confesse avoir lu toute la saga Twilight et vu les films, et trouvera une excellente raison d’aller voir « Hésitation » le 7 juillet…
Photo Flickr Annafur
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