Napoléon, l’homme qu’on détestait trop

L’étude de l’épopée napoléonienne sera presque supprimée des prochains programmes scolaires du collège. Pauvre Napoléon ! Voyage dans les profondeurs de l’auto-dénigrement à la française.

D’après France Soir, la place consacrée à Napoléon et Louis XIV dans les manuels du collège devrait être drastiquement réduite. Quelle que soit l’ampleur réelle de ce changement de programme, il rejoint un profond mouvement d’auto-dénigrement à la française, dont les dernières années nous ont fourni quantité d’exemples (encore un ici). Notre identité nationale française, ne cherchez plus, c’est la crise d’identité permanente.

On se souvient par exemple qu’en décembre 2005, le bicentenaire de la victoire d’Austerlitz avait été fêté en catimini. Alors même qu’à l’époque, le napoléonien Dominique de Villepin était premier ministre (il a argumenté plus tard que le contexte politique ne se prêtait pas à des festivités). L’année suivante, en 2006, pour fêter les magnifiques victoires militaires d’Iéna et d’Auerstadt, il y avait davantage de célébrations en Allemagne qu’en France ! Sans parler du reste du monde.

La France fait dans l’anti-austerlisme primaire

En somme, le français Napoléon Bonaparte fascine des millions de personnes sur le globe, mais il ne faut surtout pas que la France en profite. Elle doit même agir à rebours de cette passion. Elle, la France, la même qui reste tétanisée par cette mondialisation qui risque de dissoudre sa culture, elle qui tient enfin une figure historique qui pourrait améliorer son image, jouer en sa faveur, solidifier sa réputation, elle qui tient une des épopées les plus admirées de l’histoire de l’humanité : elle fait à peu près tout pour ne rien en tirer. Deux cent ans après avoir fait Austerlitz, la France fait dans l’anti-austerlisme primaire.

Pourquoi ? Car elle a un problème avec elle-même ; elle sait qu’elle n’est pas à la hauteur de son histoire et de sa culture ; elle a pitié d’elle-même, elle ne se respecte pas, elle s’abime dans l’idée de la défaite, du remords, de la honte.

Beaucoup de Français ne l’admettront pas facilement. La plupart du temps, ils justifieront ce refus d’élever Napoléon comme un trophée national par des arguments discutables : on dira qu’il était un tyran inhumain, qu’il a excessivement bridé les libertés, qu’il a laissé la France plus pauvre qu’elle ne l’était, qu’il est la cause des centaines de milliers de morts, etc. On peut mettre en doute la valeur historique de ces points de vue qui font porter la responsabilité d’une époque exceptionnellement mouvementée sur un seul homme. Pour s’innocenter, c’est l’habitude de certains de désigner un Grand Fautif. Technique efficace, simple, qui permet de ne pas avoir à prendre en compte toute l’ambiguïté de l’existence, la nôtre comme celles de personnages historiques ou d’artistes. Donc technique disqualifiante sur le plan intellectuel.

On ne peut pas aimer la France et mépriser Napoléon

Car il n’est pas tenable d’être pro-droits de l’homme et foncièrement anti-napoléonien. Pareillement, on peut difficilement aimer Hugo, Chateaubriand, Balzac, Stendhal, Lamartine, et tellement d’autres, tout en détestant Napoléon. On ne peut pas aimer le XIXème siècle français sans avoir un intérêt marqué pour la Révolution et l’Empire ; autrement dit, on ne peut pas sérieusement prétendre aimer la France en méprisant Napoléon.

Et les millions de morts de la Grande Guerre ?

Prenons également en compte cet autre argument des ennemis de l’Empereur, lui aussi éclairant : Napoléon est détestable parce qu’il serait responsable de centaines de milliers de morts. Ce qui est intéressant avec cette remarque, qu’on entend régulièrement, c’est de la comparer avec l’image qu’ont les Français de la Grande Guerre (14-18). Là, étrangement, alors qu’elle a causé non pas des milliers, mais des millions de morts, et pour le coup avec beaucoup moins de panache, on est beaucoup moins violent. On la regrette, mais on ne la hait pas comme on hait Napoléon, et on n’admire pas particulièrement ses héros français (Clemenceau, Pétain, Foch, Joffre…), plutôt tombés dans l’oubli.

Concernant la Grande Guerre, le progressiste n’a aucun tyran diabolique à dénoncer ; aucun représentant du Mal, ni du Bien. Mais il pense aux morts, à ces millions de morts oubliés. Le rapport à la Grande Guerre de nos contemporains s’est progressivement mué en une sorte de culte mortifère, un culte de la désolation, une communion dans le désastre anonyme, dans la conviction intime que l’existence humaine n’est qu’un immense raté. Et ça, en général, ça parle beaucoup à ceux qui détestent Napoléon ; et même, cela les soulage de se désoler d’un désastre mettant en scène la folie irrépressible de l’homme moderne, dépassé par sa technologie. Le brillant Napoléon, lui, insupportablement seul et victorieux, doit donc absolument être terni, vilipendé, rendu hors d’état de luire.

Le Grand Enterrement de l’humanité héroïque

Faut-il en conclure qu’au fond, on est plutôt indulgent envers une guerre de masse, à la responsabilité diffuse, où les hommes étaient réduits à de la chair à canon ? Alors qu’on juge très sévèrement une guerre au sens classique, gênante parce qu’elle nous obligerait à considérer des valeurs humaines positives comme le courage, l’audace, l’insouciance, le coup d’œil ? Tout se passe comme si, même en termes de guerre, nous n’acceptions plus que les guerres ratées. Nous n’acceptons plus que de considérer les guerres qui nous donnent des arguments pour détester absolument LA guerre. Toute guerre ayant laissé trop de place au caractère humain, au génie singulier de certains grands militaires, n’existe plus, puisqu’au fond, on déteste celui qui gagne et qui a un nom. On préfère le règne absolu de LA mort qui fauche anonymement. On se doit d’être tous égaux dans notre mortalité ; si l’on veut être un héros, sorti du lot, que l’on soit un héros très discret, inconnu, improbable, un « héros malgré lui », un héros du quotidien, un Jean Valjean athé, un quidam complet (on peut ici remplacer « héros » par « artiste », « conquérant », « créateur », etc.).

Un homme n’a plus le droit de quitter cette vie en hurlant dans son dernier souffle : « Vive l’Empereur ! » Aujourd’hui, l’on doit mourir sans avoir rien compris, en se disant que l’amour ne mène à rien, que tout a une fin et que tout est absurde et qu’on est tous sous la domination de LA mort. Il nous faut participer au Grand Enterrement de l’humanité héroïque, orgueilleuse, puérile.

Est-il encore utile de rappeler qu’au cours de la première campagne d’Italie (1796-1797), la division Masséna livra du 13 au 16 janvier 1797 trois combats, tous gagnés, et pour cela marcha un jour et deux nuits, parcourant 86 kilomètres ?

En tout cas, on peut actuellement voir dans le métro parisien une affiche qui conseille aux citadins de marcher au moins 30 minutes par jour, pour conserver leur santé. En allant au ciné (7 minutes), à la fac (5 minutes), chez les copains (6 minutes) ou au concert (12 minutes).

Voilà, aujourd’hui, ce qu’on attend de ceux qui auront été des Grognards.

Crédit photo : Chorosky / Flickr

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4 réponses à Napoléon, l’homme qu’on détestait trop

  1. Mormoza dit :

    Bonjour,

    On peux respecter et admirer sans commune mesure les grognards de Napoleon, qui étaient le sang de la France et tous individuellement des héros comme il y en a eut peu dans l’histoire, sans pour autant apprécier le tyran qu’a été Napoléon.
    Cet homme n’a fait que servir ses propres intérêt tout au long de sa vie sous couvert de glorifier la France. Il était la France à cette époque et trop d’hommes de valeurs (convaincus) sont mort pour qu’il puisse sauver sa peau.
    Il a permis par sa mégalomanie de faire briller la France pendant une brève période mais à quel prix, tout n’ai pas aussi limpide que vous le présentez.

    Par contre je suis d’accord qu’il ne faille pas oublier nos héros et renier notre passé. Napoléon a permis de grande conquêtes françaises, et cette ébullition française a amenée le développement de la France dans de nombreux domaine (notamment la chirurgie). Mais tant qu’à rendre hommage à cet Homme il ne faut pas laisser de zones d’ombre et ne pas présenter que la moiter des choses. Il faut sortir les squelettes des placards et se réconcilier avec la totalité de l’histoire. Tout n’est pas blanc ou noir.

    La facilité serait de dire que pendant le troisième Reich l’Allemagne était glorieuse, n’avait pas de chômage, faisait de grands proprets dans de nombreux domaines et que son armée a eut les nombreux succès militaires qu’on lui connait.

    Plutôt que vive l’empereur pourquoi pas vive le peuple? Le héro n’est pas toujours celui qui a pu laisser son nom dans les bouquins.

    • Ernst Calafol dit :

      Bonjour,

      Merci beaucoup pour votre réaction.

      Je ne crois pas avoir, dans cet article, utilisé une expression indiquant que j’applaudissais à tous les actes de Napoléon. Ce serait ridicule ; comme vous et moi, il a fait des erreurs et péché par égoïsme. Il a servi ses intérêts en disant servir les intérêts communs ? Mais c’est ce que fait chaque être humain, du plus anonyme au plus célébré.

      Par ailleurs, les hommes de valeurs qui sont « morts pour lui » (Desaix, Lannes, tant d’autres…) ne l’ont pas fait sous la contrainte et n’auraient certainement pas souhaité une autre mort que celle qu’ils ont rencontrée. Qui est-on pour juger s’ils sont morts pour la France, morts pour la République, l’Empire, ou morts pour Napoléon ? On ne sait pas pourquoi ils sont morts. Ce qui est sûr, c’est que dans la grande majorité des cas ils sont allés chercher cette mort-là. Il faut leur reconnaître cette liberté. Il m’arrive d’admirer cette épopée qui a rendu cette liberté possible.

      Par ailleurs, Napoléon, dans la lignée des tyrans, est tout de même l’un des moins cruels et des moins sanguinaires qui soient. L’homme de la rue qui prétend que Napoléon était un monstre, j’aurais bien aimé le voir à sa place : peut-être aurait-il profité du pouvoir qu’avait Napoléon pour être mille fois plus cruel que lui, qui sait ? C’est facile de juger à la hache un homme de pouvoir quand on n’en a jamais eu aucun. Donnez du pouvoir à un type inoffensif anti-Napoléon, et vous le verrez peut-être se transformer en salopard radical. Le vingtième siècle a donné quelques exemples allant dans ce sens…

      Autre remarque : jusqu’en 1808, les guerres napoléoniennes sont toutes défensives. Donc, une bonne partie des morts dus aux guerres napoléoniennes, vous feriez mieux de les reprocher aux Anglais et aux monarchies européennes, où à la France révolutionnaire de 1789 plutôt qu’à l’Empereur.

      Napoléon cherchait, dans sa stratégie militaire, à abréger tout conflit en obtenant rapidement une victoire décisive. Je ne vois guère là un plaisir à faire tuer des gens pour faire tuer des gens. Mais il va de soi que personne ne peut se féliciter de centaines de milliers de morts dans l’absolu. Je trouve d’ailleurs bien typique de notre époque que, dès qu’on ne précise pas regretter un fait regrettable, on se voit soupçonné de s’en féliciter. C’est la « police de l’arrière-pensée » qu’avait diagnostiqué Philippe Muray. Non, je ne me félicite pas qu’à Jaffa, Bonaparte ait fait massacrer des milliers de prisonniers à la baïonnette. Je ne me réjouit pas outre mesure des conditions de la retraite de Russie. J’estime qu’il aurait pu faire mieux à Waterloo. Mais c’était un homme placé dans des conditions exceptionnelles au sein d’une époque exceptionnelle.

      Votre comparaison avec l’Allemagne nazie me semble assez discutable !… Le Code civil ne me parait pas rédigé dans le même esprit que les lois anti-juives.

      Quant au « Vive le peuple », je suis en partie d’accord, mais cela ne me satisfait pas totalement non plus. Le peuple en tant que tel ne fait que suivre, le pire comme le meilleur (vous parliez de l’Allemagne nazie… Voilà un beau dictateur élu démocratiquement par le peuple, alors que Napoléon l’usurpateur n’a pas fait le dixième des horreurs du Reich, même en intentions…). Des expressions plus adaptées me paraissent être : vive le génie français, ou vive la Révolution ! D’ailleurs, dans mon article, je ne disais pas qu’il fallait à tout prix hurler « Vive l’Empereur ». Je disais que d’une certaine manière on voulait enlever au peuple de Napoléon le droit d’avoir crié « Vive l’empereur ».

      Imagine-t-on un soldat français, aujourd’hui, crier « Vive le président de la République » en mourant ? Non. Je ne dis pas que c’est mieux ou que c’est moins bien. Mais cela montre à quel point la France est aujourd’hui incapable de jouir d’elle-même, que ce soit au passé, au présent ou au futur. C’est une ambiance mortifère qui s’exprime, je crois, par des réflexes masochistes dont l’épopée napoléonienne est l’une des victimes-fétiches. Mais cela n’est pas bien grave, l’esprit français et Napoléon continueront de séduire des millions de gens dans le monde, et tant pis si dans ces millions de gens il y a de moins en moins de Français.

  2. Meduseld dit :

    En tant que femme je hais Napoléon au plus haut point ! Il dit qu’il a aimé sa femme mais il a pas hésité a s’en débarrasser pour une jeunette ! Et maintenant on voudrait le faire passer pour un grand homme ?! Arrêtons d’être hypocrite je vous prie !

    • CAPORAL crevette dit :

      Alors merci de ne pas parler quand on ne connaît pas l’histoire. Napoléon était très amoureux de ça femme, d’ailleurs celle-ci ne l’aimais pas spécialement. Je renvoie au multiple lettre d’amour passionné de Napoléon. Mais étant donné qu’elle n’était pas fertile en tant qu’empereur l’obligation voulais qu’il change de femme. C’est donc pas par choix qu’il change de femme. D’ailleurs cette femme avait plusieurs Amant dans le dos de Napoléon donc c’est bien beau de le voir comme un méchant et de le juger sur sa relation amoureuse pas très morale ma fois. Napoléon était le plus grand homme que la France ne connaîtra plus jamais point final.

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