Le cyborg est l’avenir de l’homme

Nos contemporains semblent souhaiter l’avènement d’une humanité génétiquement modifiée. Le malheur est qu’ils militent pour elle avec pléthore de bons sentiments. Sans avoir conscience des questions décisives que cela met en jeu.

Dans un numéro du magazine littéraire Transfuge, de septembre 2010, l’écrivain Valentin Retz est questionné sur les périls qui menacent l’humanité actuelle. « Les temps, tels qu’ils se déploient aujourd’hui, vont vers une catastrophe », estime-t-il. Laquelle ? « La tendance la plus alarmante porte sur la  convergence de ces deux sciences que sont la génétique et la cybernétique. On se dirige à grand pas vers une interopérabilité des systèmes et je ne vois pas ce qui empêchera la modification d’êtres humains génétiquement modifiés en vue de cette intégration de l’homme à la machine. Lorsque l’on aura atteint ce point, on pourra dire que le vieil homme aura été exterminé. »

On peut partager ou non ce pronostic, d’autant que Valentin Retz précise qu’il est toujours hasardeux de « faire des prédictions ». Il n’en demeure pas moins vrai qu’on peut déjà voir se préciser cette menace, dans les faits et gestes les plus quotidiens. Et constater la lente mais sûre marche de l’homme vers le cyborg, ou du moins vers un corps de plus en plus intimement assisté par la technique.

Le progrès n’est pas toujours un progrès

Dernier exemple en date : la crème antirides pour fillettes de 8 à 12 ans. Dans Le Monde du 23 février 2011, un article est consacré à ce phénomène venu des États-Unis. Pour justifier ce genre de « progrès », les motifs d’action sont toujours louables. Le Monde interroge ainsi la directrice d’un SPA bordelais qui propose aux « petites princesses » à partir de 8 ans de recevoir leur « premier rituel de beauté » (dont des massages). Comment justifie-t-elle ces pratiques ?  « Nous proposons aux enfants des soins de détente, des moments de complicité avec leur maman. » Quelqu’un oserait-il mettre en doute le bien-fondé d’un « soin » ou d’un « moment de complicité » avec maman ? Bien sûr que non.

Ces progrès en tout genre rendront-ils la condition humaine plus acceptable ? Évidemment, non. Pourtant, aujourd’hui, tout le monde préfère croire aux « miracles » de la technique, de la chimie, aux petits perfectionnements ponctuels qu’elle permet, aux corps modifiés de demain plutôt que de continuer de stagner dans des corps humains, trop humains, désespérément vieillissant et apparemment ridés dès l’âge de 8 ans. Des corps qui ont mis des millions d’années à se perfectionner, mais dont les possesseurs semblent de moins en moins se contenter.

La science peut-elle « aider la nature » ?

Autre exemple éclairant de l’incursion de la technique dans nos corps, la chirurgie esthétique. Encore une fois, les motifs d’action sont apparemment peu critiquables : il faut être beau ou belle, correspondre aux canons de l’époque, être bien dans sa peau, lutter contre la vieillesse, « aimer et respecter son corps ». Qui oserait élever la voix contre de si louables intentions ? Sur un blog beauté, on relève ce commentaire d’une internaute qui défendait l’utilisation de certains produits aidant à faire disparaître les rides :

« Il existe un moyen de comblement des rides sans figer le visage, le comblement à l’acide hyaluronique (juvederm, retsylane). La technique de mise en place est la même que pour le botox, c’est-à-dire par injection. L’acide hyaluronique étant naturellement présent dans la peau c’est une sorte d’aide à la nature pour repulper. L’avantage c’est que la plupart des dermatos en font (et qui mieux que nos dermatos pour s’occuper de notre visage) et qu’il n’y a pas de risque de surdosage et d’effet paralysé comme avec le botox. »

A la remarque d’un internaute remettant en cause l’utilisation de ces produits sensés ralentir la vieillesse, la même internaute répond :

« Toute personne a le droit d’évoluer avec la société (et les progrès de la science). En ce qui concerne le fait que je me fasse avoir par le mainstream, difficile de le montrer ici mais je suis tout sauf une suiveuse, mon credo étant souvent de détester ce que les autres aiment en masse. »

Le bonheur est dans la piqûre

On notera la persistance des motifs bienpensants, en vertu desquels se chirurgier esthétiquement a à voir avec un « droit à l’évolution » et « de profiter des progrès techniques ». Nobles causes, dont tout indique pourtant qu’il n’est absolument pas nécessaire de les défendre, ni même de les rappeler, tant le monde s’y adonne avec gourmandise (par exemple, se refaire le vagin, nouvelle tendance).

Mais c’est l’une des constantes de notre temps de militer énormément pour des combats déjà gagnés – résultat logique d’une mauvaise conscience née à l’endroit de ces victoires tout à fait discutables (culte de la technique, jeunisme, déni de vieillesse, culture du « plaisir » et de « l’épanouissement », en réalité culture de mort souriante et sympa – voir, par exemple, le début de « La raison dans la philosophie » dans le Crépuscule des idoles de Nietzsche concernant les coulisses de la haine du changement).

Cette internaute dit par ailleurs ne pas appartenir au « mainstream ». Elle récite pourtant, strictement, peut-être inconsciemment, le catéchisme positiviste de l’époque : la science se rapproche, petit à petit, du « naturel » ; elle consiste en une « aide à la nature » ; elle utilise également, comme par hasard, le mot « credo », mot religieux s’il en est.

Ne nous y trompons pas : il s’agit bien de foi ici, aucunement de sage hédonisme ou d’un recours à la technique qui serait mûr et réfléchi, conscient des enjeux réels. On notera, de ce point de vue, la position de  soumission assumée envers la personne du « dermato » (comme quoi, le prestige de l’uniforme, pour ne pas dire de la soutane, existe toujours, même s’il a changé de camp – comment, aussi, ne pas rappeler ce qu’a rendu possible, en Europe, un respect excessif à l’égard des uniformes ?…).

A quoi bon des artistes en temps de bonheur dosable ?

L’utilisation du mot « surdose » par notre internaute a également quelque chose de savoureux : si avoir des rides provoque une souffrance morale, et que cette souffrance est guérissable par l’injection d’une certaine « dose » de produit, cela suppose qu’il existe un dosage de la souffrance psychologique humaine – enfin ! On arrange, ou plutôt, on « aide » la nature (quel assemblage de mots saugrenu ; comment croirions-nous pouvoir aider ce qui, par définition, nous tient sous son aile ? Fantasme incestueux intéressant de fécondation de sa propre mère) ; on corrige le corps ; on colmate le pêché originel ; on néantise la différence sexuelle. Tout cela dessine un drôle d’anti-catholicisme primaire, comme si notre génération s’appliquait à ne surtout pas commettre les mêmes erreurs que ses géniteurs. En réalité, comme chaque nouvelle génération, loin de corriger les erreurs déjà commises, loin d’en tirer des leçons, elle évolue dans de nouvelles manières de les travailler.

La naïveté de cette foi inconsidérée envers ce que pourront permettre les « progrès de la science », le simplisme de cette interprétation de la souffrance et de la guérison sont presque touchants. Finalement, ces artistes, écrivains, penseurs, poètes, philosophes, musiciens d’antan étaient dans le faux, les temps modernes ont trouvé la réponse à la souffrance métaphysique sur laquelle ils babillent depuis des siècles : un problème purement technique de déficit d’acide hyaluronique (produit qui ne semble pas si inoffensif que ça). Une équation de pharmacien ; le mystère de la vie résolu d’un tour de main par monsieur Homais. Une petite piqûre, et c’est reparti pour le bonheur, le tout en moins de 24 heures ! Faut-il que ces personnes ne se respectent pas pour se laisser aller à de telles soumissions, pour déléguer à ce point leur quête de satisfaction à leurs nouveaux maîtres en blouses blanches, pour renier ainsi les artistes (car c’est de cela qu’il s’agit, aussi), ces seuls personnages nous permettant d’adorer l’humanité malgré toutes ses laideurs et tous ses crimes, et toute sa bêtise. Les artistes, les seuls à être attentifs, sensibles, à ne pas raisonner par formules toutes faites, par jeux de mots, par discours auto-régénérés, par langages d’emprunts ; par discours, bassement, faiblement religieux.

C’est assez clair : aujourd’hui, tout indique qu’on veut enfin en finir avec les artistes, qui n’ont jamais été vraiment désirés, et aujourd’hui disparaissent à vue d’œil.

La peur de vieillir, première productrice de massacres

Ainsi, lentement mais sûrement, on légitime le robot-humain qui vient, au bonheur dosable, au malheur corrigible, par petites touches, par petites injections pour le moment bénigne, qui ne sont qu’une continuation de la nature par d’autres moyens – tant qu’elles ne deviennent pas, du moins, des injections létales (on a vu la pilule qui aide à ne pas grossir, en tuant ; ou encore les implants mammaires meurtriers). Il faut pourtant sentir, à l’ombre de ces remarques apparemment anodines, une odeur extrêmement fade et triste d’élan vers la pureté, de perfection, d’affutage, de désir effréné pour l’invention d’une grande-solution-générale-pour-tous-corps ; aspirations qui sont, la plupart du temps, issues d’un dégoût insurmontable pour son corps personnel.

Qu’est-ce qui est à la base de cette tendance ? Comme depuis des millénaires, l’incapacité de la plupart d’entre nous à exister ici-bas à hauteur de réalités aussi tangibles, irrémédiables, que la vieillesse, la maladie, le changement, la mort. Voici ce qui permet l’épanouissement de la tyrannie scientifique actuelle, et de toutes les autres : la bonne vieille peur de vieillir, la haine de l’impuissance, la hantise de la dégradation. L’histoire ne repasse pas les plats ? Peut-être, mais nos pulsions immémoriales s’arrangent pour toujours rester au goût du jour.

Bien qu’ils s’en défendraient ardemment, une bonne partie de nos congénères semble tout faire pour que la cybernétique finisse par régner (on pourrait également parler des défenseurs acharnés de la pilule, du préservatif, de l’IVG, évoquer la baisse de production des spermatozoïdes par l’homme du fait de nos aliments « scientifiquement » conditionnés, etc.). Voir, par exemple, cette vidéo d’une écrivaine féministe, au visage étrangement inexpressif,  parler tout tranquillement et naturellement du bien qu’apporterait l’utérus artificiel pour sortir les femmes de leur « condition ». Comme toujours, l’enfer est pavé de bonnes intentions, et la cybernétique avance masquée par des progrès sociaux que l’on ne peut pas critiquer (féminisme, mélangisme, etc.) sous peine de passer pour un simple salopard.

Certains rigoleraient certainement de cet article, l’accusant d’exagérer. Oubliant au passage qu’il suffit d’ouvrir n’importe quel livre d’histoire de n’importe quelle époque pour se rappeler que l’homme est capable de tout, y compris, et peut-être surtout, des pires et plus invraisemblables exagérations, en bien ou en mal. Notre époque de coma télévisé semble tout simplement l’avoir oubliée, cette tendance à l’excès bien humaine.

On colmate, on comate

Tout comme beaucoup d’internautes, lorsqu’ils racontent leur vie sur les réseaux sociaux, oublient qu’il n’y a pas si longtemps, on décachetait les lettres des gens pour les envoyer en prison s’ils avaient critiqué leurs gouvernants. Que ferait-on, si un tel gouvernement se présentait d’ici quelques dizaines d’années, et fouillait dans tout ce que nous avions exprimé sur Internet depuis notre naissance ? Nous serions faits comme des rats, voilà tout. C’est ce en quoi notre époque est parfois désespérément naïve, béni-oui-oui, totalement inconsciente de ce dont l’homme est capable. Les millions de sourires publicitaires qui nous entourent ont pour unique objectif de nous faire oublier ces tristes réalités, et nous conforter dans nos choix de vie assumés seulement du bout des lèvres, ou alors avec tant de fervente indignation, de rappels désespérés de centaines de nouveaux « droits » bafoués, qu’ils en perdent toute crédibilité.

Comment ne pas ressentir un malaise marqué devant tous ces visages recomposés, ces pommettes sentant la compensation chimique d’une infirmité affective, ces fonds de teint écœurants, ces yeux maquillés mais brûlants d’inquiétude, ces faux vieux et ces fausses vieilles, toute cette nouvelle humanité, version liftée de l’ancienne, toutes ces marionnettes désolantes qui constitueront peut-être, dans cinquante ans, le gros des troupes, bref comment ne pas s’inquiéter devant toutes ces personnes pour qui la haine de soi, c’est-à-dire l’amour de son image, s’est portée à son point d’incandescence ?

Le Salut dans la disparition de l’esprit critique

A certaines époques, nous attendions le Salut de l’âme, parfois le Salut par l’extermination de telle ou telle catégorie de gens ; aujourd’hui, le Salut par le cyborg nous attire indéniablement, le Salut par la formule scientomagique, le Salut par la jeunesse éternelle, le Salut par l’acide truc-machin qui nous rendra plus photogénique, pour les siècles des siècles, amen. Ce n’est pas un élan vers le véritable bonheur qui nous dicte cette conduite et nous inocule cette croyance, c’est l’hystérie calme et sûre d’elle-même. Et qui place logiquement son bonheur là où le risque d’aliénation est le plus grand. Logiquement aussi, et très naturellement pour le coup, le prix à payer sera à la hauteur de notre folie des candeurs.

Mais tout ne finira pas forcément par une catastrophe visible, bruyante, comme cela est si souvent arrivé. Peut-être que le drame se limitera, se limite peut-être déjà, à un simple et silencieux écrasement des consciences, à une neutralisation nette et sans bavure de la résistance psychologique, mentale, des hommes. La plus réussie des exterminations, la plus irréprochable, irresponsable, propre, indiscutable, irrémédiable, technique ; la plus moderne.

Crédit photo : ekai / Flickr

D’autres points de vue sur Retour d’actu.

Ce contenu a été publié dans Nos points de vue, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Le cyborg est l’avenir de l’homme

  1. c.isme dit :

    Le cyborg est l’avenir de l’homme …Voici mon point de vue sur un de ces reportages sur la cybernétique sans éthique ni cerveau.

    http://jankounenforum.free.fr/viewtopic.php?pid=27895#p27895

  2. Ping : LGBT, FEMEN ou les Possédés de la modernité |

Répondre à c.isme Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *