Le documentaire Nous, princesses de Clèves étudie la relation qu’un groupe de lycéens d’une ZEP marseillaise entretient avec l’œuvre de madame de La Fayette. Intéressant, pas vraiment rassurant.
Tout a commencé en décembre 2006, par la célèbre petite phrase de l’alors ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy concernant le roman de madame de La Fayette, La Princesse de Clèves (1678). L’actuel Président se demandait quel était l’intérêt de faire étudier cette œuvre à de futurs fonctionnaires. Propos de l’ordre de la boutade, mais symbolisant le fait que ce que l’on appelle la « culture » semblait avoir, dans la société actuelle, de moins en moins d’importance dans la construction, l’éducation d’une personne.
Le documentaire de Régis Sauder, en salles depuis le 30 mars 2011, constitue une sorte de droit de réponse de ces jeunes « défavorisés » à la provocation de Sarkozy, ces jeunes que l’on fait toujours parler sans jamais vraiment leur demander leur avis. Qu’en est-il, concrètement, dans une ZEP, des relations unissant un groupe de lycéens à un classique de la littérature française ?
Des contextes familiaux étouffants
Si l’on voulait être un brin provocateur, l’on pourrait dire que, malheureusement, le film donne parfois « raison » à Nicolas Sarkozy, dans le sens où la situation sociale de la plupart de ces jeunes semble tellement démotivante qu’on les imagine mal ressentir la littérature au point d’envoyer se faire voir leurs profs, leurs parents et leurs camarades – c’est pourtant, bien souvent, ce qui pourrait leur arriver de mieux. A quoi bon de la littérature quand rien ne respire ?
A ce titre, les trois portraits de parents sont édifiants. Il faut voir l’une de ces lycéennes au visage engoncé dans le mal-être adolescent, fondre en larmes devant sa mère apparemment très catholique en lui disant qu’elle ne l’a pas assez aimée ; et sa mère, maladroitement semble-t-il, la consoler en souriant : « Ce n’est rien. » Ce qui saute aux yeux, c’est l’absence de communication qui a régné et règne encore entre une mère et sa fille, et le barrage affectif qui en résulte, l’impossibilité de mettre carte sur table. Pourtant, comme le disait Guy Debord, pour savoir lire il faut savoir vivre. Dur de s’ouvrir à quoi que ce soit quand le contexte émotionnel est si handicapant.
« En amour, on aime ou on n’aime pas ! »
Prenons cet autre témoignage ; une jeune fille qui avoue avoir vécu la « pire année de sa vie » parce qu’elle a découvert l’amour. Ou encore, cette insistance sur la question de la fidélité dans le couple, dans la bouche de jeunes qui n’ont que dix-sept, dix-huit ans ! Ici aussi, l’influence de la famille est prégnante ; et l’on se souvient de l’un des pères interrogés, dans une famille musulmane, estimant qu’en amour, c’est tout ou c’est rien : « On ne peut pas aimer deux personnes. On aime ou on n’aime pas ! » Pas vraiment casanovien… A côté, sa femme écoute, le regard perdu dans le vide, expurgé de tout sentiment, certainement habituée depuis trente ans à se taire – et ne surtout pas lire, on peut le parier.
Au final, beaucoup d’éléments semblent confirmer que même en 2009, la Princesse de Clèves est un roman qui finit mal – avouons qu’en tant que spectateur, nous espérions que le constat serait moins décevant. Ce documentaire laisse un sentiment de tristesse, à voir tous ces personnages conscients d’être piégés, mais ne disposant que rarement de la confiance nécessaire pour tenter sérieusement de se libérer. Et quel pourrait être l’intérêt de la littérature sinon de s’extraire de son contexte social ?
Quand on considère la vie de cette autre lycéenne, racontant que c’est elle qui s’occupe des enfants, sans cesse appelée par sa mère qui veut toujours savoir où elle est… Dans ces conditions, comment connaître l’amour qui est la transgression en soi ? Molière, reviens, ils sont devenus fous ! Ou le Rimbaud des Poètes de sept ans !
Les lycéennes, princesses en sommeil
Pour passer aux aspects plus ensoleillés de ce documentaire, il a le mérite de montrer que ces élèves de ZEP, que l’on présente souvent comme des demeurés, sont loin de l’être, et ont des opinions qui ressemblent à celles d’à peu près tous les jeunes.
Et puis, il y a ces visages de filles, cadrés d’assez près pour que l’on voie luire le rayonnement de la princesse qui sommeille en chacune d’elles, que la caméra réussit à capter plus ou moins fugitivement, dans cet éclat de rire, cette expression maladroite, cette grimace. Le film s’achève ainsi sur quelques portraits de protagonistes qui viennent d’avoir leur bac, donnant ainsi une touche d’espoir à l’ensemble. Voyez celle-ci, qui entame élégamment quelques pas de danse. Ou bien cette petite brune, silencieuse, regardant au loin avec ce délicat sourire au coin des lèvres, rictus charmant et mystérieux dont elle ne se départ jamais tout au long du film. Parmi elles, combien auront le courage de devenir des princesses ?
Jamais sans mes livres
Mais là où ce documentaire nous semble assez ambigu dans son propos, c’est qu’en posant une question sur le rapport à la littérature, il débouche sur une problématique beaucoup plus large : dans la vie, certains s’en sortent car ils ont plus de caractère ou un entourage plus attentif. Mais pas forcément parce qu’ils lisent. La littérature, en effet, est une donnée qui échappe à toutes les classifications pré-établies ; l’amour de la littérature n’a heureusement rien à voir avec l’échiquier social, et c’est là tout son intérêt. Du coup, un documentaire qui insiste tant sur le contexte socio-culturel ne pourra que difficilement étudier en quoi la littérature est ce qui, en touchant à ce qu’il y a de plus intime chez quelqu’un, peut faire de lui une personne courageuse, réfractaire, sauvée, inclassable.
Au fond, pour la plupart des protagonistes du film, il semble que la littérature n’apprendra pas grand chose, qu’elle restera comme un rayon de soleil passager. L’occasion de parler, un repère, un témoin de la vitalité de notre corps. Dans un monde où l’enfer, c’est surtout le terrible manque de verbalisation, cette attente désespérée du mot d’amour qui ne viendra jamais, ou de celui que l’on ne prononcera jamais.
La littérature est le lieu où se résolvent ces dilemmes. Elle propose une infinité d’issues dans un monde imparfait. Pour peu que l’on croie assez en elle.
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Pour les séances, voir sur Allociné.
D’autres critiques sur Retour d’actu.
Entre autres, celle-ci sur le documentaire de Wim Wenders sur la chorégraphe allemande Pina Bausch, cet autre sur le premier film réalisé par Daniel Auteuil, La Fille du puisatier, une analyse sur les banlieues, ces quelques extraits des Lettres Persanes de Montesquieu, une critique de Trésor d’amour de Philippe Sollers, et cet article concernant la dangerosité sociale des lecteurs (partant également d’une phrase cocasse de Sarko qui disait en conseil des ministres qu’il fallait « que les gens lisent »).
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