Ce que nous ont appris ces grands Bleus

Quelques remarques après le roman français des Bleus du rugby en Nouvelle-Zélande.

La leçon : Faut-il, dès aujourd’hui, choisir qui sera le sélectionneur de l’équipe de France de rugby à pile ou face ? On peut se poser la question, tant on voit à quel point, lors des compétitions internationales, l’équipe de France est imprévisible – au-delà même de la « glorieuse incertitude du sport ». Elle est passée en un mois de la fébrilité extrême (France-Tonga) à la réalisation de l’une des toutes meilleures prestations de son histoire, un final presque bouleversant (finale France – All Blacks).

Il semble que l’équipe de France a ses raisons que la raison ignore. Et au fond, on l’aime comme ça. J’avoue mal comprendre pourquoi tant de supporters, d’experts, d’analystes, de journalistes, voudraient que l’équipe de France se mettent enfin à gérer sa carrière. A rationaliser. A systématiser. A l’anglaise. A la néo-zélandaise. J’avoue préférer le beau bordel français qui, du jour au lendemain, envoie balader tous les pronostics. La victoire qui naît du bordel. Le tout parti de rien. L’ordre dans le désordre, ou plutôt : un désordre tel qu’il crée automatiquement un nouvel ordre, l’Ordre, celui qu’on n’impose pas mais qui s’impose.

Espérons que toute notre vie, l’équipe de France et sa tripotée de sales gosses, qui nous les cassent depuis des décennies à ne pas daigner gagner cette putain de coupe du monde, continuera à nous faire passer en quelques jours de la colère rageuse à l’admiration sans bornes.

La pire équipe de France ? Celle qui serait prévisible. Celle qui gagnerait comme elle avait prévu de gagner. Celle qui respecterait les schémas. Celle qui s’assiérait sagement au premier rang. Celle qui mettrait radinement toutes les chances de son côté. Prions pour que cela ne soit jamais le cas. On aime voir des types, dans le troisième dessous, renaître de leurs cendres. La France, en sport, n’aime que les renaissances. C’est son côté aristocratique, son goût pour l’esthétique. Elle les organise. Elle les pense. Elle ne croit qu’aux ressorts du tragique. Elle prépare tout ça dans un coin de sa tête. Bien sûr, ça passe ou ça casse. Frôler le drame, rebondir, étonner le monde.

L’équipe de France a un talent dramaturgique inné qui rend les autres équipes ennuyeuses. Comme une femme distinguée, elle ne se laisse pas aimer facilement. Elle n’aime pas les supporters pressés, ces coups d’un soir, qui n’attendent que de gueuler « On est les champions ! », ou ceux qui bandent d’avance de voir le mot « France » gravé sur les lignes de palmarès. Ceux-là, elle les laisse tranquillement sur la touche. Elle sélectionne ses partisans par sa manière même de jouer. Elle vise l’excellence absolue, et y parvient régulièrement. Mort, où est ta victoire ?

Le joueur : Thierry Dusautoir. Il vient d’être élu joueur de l’année 2011 par l’IRB, plus haute distinction personnelle dans ce sport. C’est plus que mérité. Il fallait le voir, au bout de ce magnifique essai contre les Blacks, cette offensive plein centre, ces cinq points acquis à coups d’épaules, il fallait le voir se relever alors qu’il avait aplati. Pas un sourire. Pas un geste, pas une lueur dans le regard. Dans ses attitudes, Dusautoir a quelque chose d’une statue de guerrier. Les guerriers les plus féroces, les plus efficaces, c’est-à-dire ceux qui n’aiment pas vraiment la violence. Qui veulent y mettre fin au plus vite. La faucher avant qu’elle ne se développe. Dusautoir défend, repousse, protège, décourage. Ne voulant pas particulièrement faire mal, mais pris par l’ivresse de son propre courage, cette mystérieuse passion à défendre. Défendre quoi ?… Ce qui est sûr, c’est que sa prestation contre les All Blacks n’a pas d’équivalent.

L’équipe qu’on aime moins : Les Blacks. Richie McCaw aurait-il pu se passer du coup de poing assené à Morgan Parra (même si, comme l’a rappelé Nallet, l’All Black a lui aussi sévèrement encaissé) ? Les Blacks nous charriaient après notre match médiocre contre Galles, mais finissent par nous battre de la même manière. Ils n’auront pas fait rêver grand monde lors de cette compétition, dans la mesure où ils devaient gagner. A l’inverse, la France a gagné lorsqu’elle devait perdre, et a perdu lorsqu’elle devait gagner. Ce ne sont donc pas eux, les Blacks, qui ont fait battre le cœur du rugby, cette année. Peut-être, si Carter avait pu jouer jusqu’au bout…

Marc Lièvremont : S’il a été critiqué, parfois à raison, sur ses carences en matières tactiques, sur son management qui a pu être catastrophique par moment ou par sa décision d’avoir laissé sur la touche de grands joueurs (Jauzion, Marconnet, Michalak…), Marc Lièvremont a indéniablement réussi ses quatre années à la tête de l’équipe de France. Sa gestion des hommes ? Au final, on se rend compte qu’elle n’a pas été si catastrophique, au contraire. Car, quoiqu’il se soit passé dans les vestiaires et lors des entrainements, il a réussi à faire en sorte que ses joueurs sortent un match hors norme en finale de coupe du monde. Peut-on demander tellement plus à un sélectionneur ?…

Et puis les coups de gueule de Marc nous manqueront. Ils avaient l’avantage d’être vraiment drôles et culottés. Mine de rien, ils nous ont beaucoup fait râler, les Bleus de Marc, mais on les aura sacrément aimés.

Crédit photo : Flickr / abac077
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4 réponses à Ce que nous ont appris ces grands Bleus

  1. ppdf dit :

    Excellent article qui résume très bien ce que l’on a vécu avec cette merveilleuse équipe de France!!

  2. Ernst Calafol dit :

    Très cher PPDF, je vous remercie. Quel mystérieux pseudonyme, d’ailleurs… Un mélange entre .pdf et PPDA…

  3. lemoldu dit :

    Très bon résumé….je découvre votre site et c’est un condensé de petites pépites…merci.

    je vous conseille aussi l’excellent blog « http://www.rugbyconnection.com/fr » sur le XV de France…

  4. Ernst Calafol dit :

    Merci beaucoup !… Nous sommes, nous, tombés sur un lecteur-pépite qui a très bon goût ! 😉

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