Daniel Pennac, le Prix Renaudot 2007 pour son Chagrin d’école monte sur scène pour une lecture de Bartleby d’Herman Melville. Rencontre dans un restaurant de Belleville avec l’auteur de Comme un roman.
« Je suis vieux maintenant ! » Daniel Pennac l’affirme avec un aplomb souriant. On ne le croit pas. Bien sûr, il y a ces cheveux gris. Il y a l’oeil averti de celui qui a passé sa vie à dévorer les livres, capable de citer de mémoire des extraits entiers des oeuvres qu’il aime, d’évoquer une date précise au milieu d’un mouvement littéraire, une anecdote – « Vous savez que Dickens est mort en lisant à voix haute ? C’était Oliver Twist » – ou de résumer en quelques mots la correspondance d’un auteur. Il y a sa réponse rieuse quand on lui demande si sa célèbre tribu de Belleville a encore un avenir après six romans : « Ca, ça veut dire : va-t-il écrire un autre Malaussène avant de claquer ! » Et précisément, il y a ses habitudes, ancrées dans ce Belleville qu’il aime tant, qu’il habite depuis 1969 et au sein duquel il a déménagé trois fois – « Parce qu’il faut s’agrandir ! Il y a de plus en plus d’amis qui viennent » – , la manière qu’il a d’échanger un mot en portugais avec un ami dans un restaurant devenu sa « cantine »… Belleville n’a pas vu naître Daniel Pennac, mais depuis quarante ans, le quartier est devenu sien, en plus d’être le terrain de jeu de ses personnages.
Mais non, décidément, malgré sa boutade sur Malaussène, malgré sa longévité à Belleville et malgré tout le reste, on ne peut pas croire à ce « Je suis vieux ». Pas seulement parce que l’auteur de Chagrin d’école traite d’enfance dans bon nombre de ses livres. Dans la conversation de l’érudit demeure quelque chose d’espiègle. Et au fond des yeux de l’écrivain et du lecteur assidu, une lumière de jeunesse éternelle. Allumée, sans doute, par les centaines de gamins dont l’ancien cancre a été le professeur. Daniel Pennac a côtoyé la jeunesse sa carrière durant, lui a fait la lecture à voix haute pendant plus de 25 ans… Il en reste nécessairement quelque chose.
La lecture à voix haute justement, Daniel Pennac y revient avec Bartleby le scribe d’Herman Melville. Une nouvelle atypique, source du fameux « Je préférerais pas » (que l’on retrouve dans Des Chrétiens et des Maures, l’un des volets de la saga Malaussène), mais aussi un de ces écrits que Daniel Pennac considère comme essentiel. « Je ne sais même pas quand je l’ai lu pour la première fois tant ce texte m’est familier ! On trimballe comme ça quelques textes qui nous sont, à nous, fondamentaux. Tellement fondamentaux qu’on a perdu trace de la première lecture. Bartleby en fait partie ». L’histoire de ce scribe, recopieur de textes juridiques dans un quartier de Wall Street, qui refuse progressivement le travail qu’on lui donne, l’auteur la lit, seul sur scène face au public. Tout simplement.
« Comme un très bon vin, qui reste une éternité en bouche »
Pourquoi cette oeuvre en particulier ? « Parce que je suis très sensible à la fin de non-recevoir de Bartleby. Je suis également très sensible au désir de compréhension absolue du notaire qui l’emploie. J’ai l’impression d’abriter ces deux tendances en moi ». La mise en scène est simple, accompagnée d’une musique de Benjamin Britten. La traduction française est, selon Pennac, d’un français sublime. « Comme un très bon vin qui reste une éternité en bouche ». Malgré, note-t-il, le débat littéraire sur la traduction du I would rather not to.
Quant à savoir s’il a choisi de lire une histoire qui se déroule à Wall Street en raison de l’actualité financière… « Melville a sous-titré sa nouvelle Une histoire de Wall Street. Je me suis contenté de souhaiter qu’on indiquât ce sous-titre sur l’affiche ». Il reconnaît cependant un caractère profondément contemporain à l’oeuvre qu’il lit : « La définition du travail du notaire, discret et douillet, essentiellement tourné vers l’abstraction du dividende, c’est assez moderne ! »
« Propager cette nouvelle que j’adore »
Une minute, on soupçonne Daniel Pennac de se livrer à l’exercice pour défendre, une fois de plus, son amour de la lecture à haute voix, développé dans Comme un roman, dans Chagrin d’école et encore évoqué dans Le dictateur et le hamac. « C’est surtout une façon de propager cette nouvelle que j’adore ! Il y a ce texte qui passe à travers moi, à travers vous… On voit bien l’effet qu’il fait dans les yeux des gens en face de vous. D’abord, beaucoup ne connaissent pas l’histoire de Bartleby et sont intéressés anecdotiquement, car il y a un suspens terrible. Et petit à petit, on voit dans le regard du public s’installer autre chose que le désir de suspens. Soi une forte exaspération contre Bartleby, soi de la compassion, de l’interrogation… »
Et justement, à propos d’interrogation… Que fait-il d’autre en ce moment ? Sourire mystérieux. « J’écris ! » Qu’écrit-il ? « Un gros livre… » Tant pis pour le scoop, on n’en saura pas plus. Alors, peut-être se confiera-t-il sur ce fameux septième Malaussène ? « Ce n’est pas impossible… Parce que récemment, j’ai rêvé d’un début possible, ce qui ne m’était jamais arrivé ! Et je me suis parfaitement souvenu de ce rêve en me réveillant ». Et comme il semble apprécier la scène, comme il a déjà fait l’expérience du monologue dans Merci, une pièce écrite par lui, on peut se demander si par hasard, le théâtre… ? Avec d’autres acteurs… ? « Un an avant de lire Bartleby, je ne savais pas que je le lirais un jour. Il suffirait que l’occasion se présente… » Espiègle dans ses réponses, un peu comme un enfant. Non, décidément, vous n’êtes pas vieux M. Pennac.
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Crédit photo : Flickr / torre.elena
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