Et si l’Iran avait sa bombe…

La construction de centrifugeuses et le programme d’enrichissement d’uranium inquiète l’Occident… Second article d’un dossier consacré à l’Iran.

La contestation populaire qui gronde en Iran a temporairement éclipsé la polémique sur le programme nucléaire du pays. La question n’en reste pas moins épineuse pour la communauté internationale. Quatre questions sur les enjeux et les dangers d’un Iran « nucléaire »…

1- L’Iran est-il en mesure de fabriquer une arme nucléaire ?

Téhéran n’a jamais cessé d’affirmer que son programme nucléaire était destiné à un usage civil. Pour autant, selon les aveux de ses dirigeants, l’Iran disposerait de 7000 centrifugeuses. Un chiffre modéré par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)… laquelle précise tout de même dans son rapport du 19 février 2009 que l’Iran possède 3964 centrifugeuses en activité, 1476 machines sous test et 125 centrifugeuses ne fonctionnant pas encore (Source : Le Figaro).

Le principe de ces appareils est d’enrichir l’uranium naturel afin d’en faire un combustible nucléaire. Celui-ci peut être utilisé pour la propulsion de navires et de sous-marins, être associé à un réacteur à eau dans une centrale nucléaire pour produire de l’électricité… mais également constituer le principal élément d’une bombe nucléaire.

L’Iran, qui disposerait de 1400 mines d’uranium (Source : globalsecurity.org), ne bluffe donc pas en affirmant qu’il a rejoint le club très fermé des nations disposant de la technologie nucléaire.  Malgré le rapport des services de renseignements américains, publié en novembre 2007, qui affirme que l’Iran aurait gelé son programme nucléaire militaire depuis 2003, le pays a toutes les cartes en main pour mettre au point une arme atomique.

Seule incertitude : le temps. L’uranium, pour être utilisé comme arme nucléaire, doit être enrichi à 90%. Un résultat qui ne peut être atteint qu’en faisant tourner plusieurs milliers de centrifugeuses à plein régime… Certains rapports indiquent que l’Iran aurait encore besoin de plusieurs années avant de parvenir à fabriquer une arme nucléaire. D’autres, plus alarmistes avancent que Téhéran pourrait avoir sa bombe dès 2010.

2- L’Iran souhaite-t-il posséder l’arme nucléaire ?

La question peut sembler naïve. La réponse ne coule pourtant pas de source… D’une part, le programme nucléaire iranien peut effectivement être destiné à des fins civiles. Le pays, pris à la gorge par des sanctions économiques depuis la révolution islamique de 1979, s’industrialise rapidement, et connaît une forte croissance démographique. Ceci peut expliquer son empressement à acquérir une source d’énergie aussi importante que le nucléaire.

D’autre part, en se dotant ouvertement de l’arme nucléaire, l’Iran prendrait le risque d’être encore plus marginalisé par la communauté internationale. Et surtout celui de s’attirer les foudres d’Israël et des pays du Golfe… ce qui, à tout le moins, renforcerait encore les sanctions économiques et l’isolement diplomatique du pays. Les dirigeants le souhaitent-ils à une heure où leur légitimité est ébranlée par la rue ? Ce n’est pas certain.

Dans une interview au Nouvel observateur, Pascal Boniface, directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), estime que Téhéran pourrait préférer la solution symbolique du « seuil » : être en capacité de fabriquer une arme nucléaire… sans aller jusqu’au bout. Ceci permettrait à l’Iran de s’imposer comme la nouvelle grande puissance du Golfe tout en limitant les risques de confrontation avec l’Occident et ses voisins arabes les plus proches.

3- L’Iran a-t-il l’intention d’utiliser l’arme nucléaire ?

La chose est très peu probable, pour ne pas dire impossible. Les discours violemment antisémites et anti-occidentaux des leaders iraniens doivent être replacés dans leur contexte : celui d’un nationalisme extrême qui a besoin de boucs émissaires.

Au-delà des injures, qui n’ont d’autre utilité que de grouper la population derrière un ennemi supposé, il est très peu probable que Téhéran décide effectivement de « rayer Israël de la carte » ou de s’en prendre à un Etat occidental en l’attaquant à l’arme nucléaire. Ceci déclencherait immanquablement une riposte au centuple, notamment américaine. C’est l’Iran, pour le coup, qui serait rayé de la carte. Ce que n’ignorent pas ses dirigeants actuels… La politique qu’ils mènent vise, à terme, l’élévation l’Iran au rang de puissance régionale -le nucléaire civile ou militaire constituant l’un des aspects de cette puissance- et non pas l’auto-destruction.

En revanche, on peut bel et bien craindre une déstabilisation très grave du Proche-Orient si l’Iran se dote de l’arme nucléaire. Il est en effet peu probable qu’Israël s’accommode d’un ennemi si proche, belliqueux et « nucléarisé ». Même si le ton est à l’apaisement du côté de Washington, il n’est pas certain que l’État hébreux ne déclencherait pas des attaques aériennes « préventives » contre l’Iran. Ce qui aurait pour effet de provoquer des réactions violentes au Proche-Orient, notamment au Liban et dans les territoires palestiniens…

Un article du Monde diplomatique, de 2006, considérait même l’hypothèse selon laquelle la guerre israélo-libanaise de 2006 aurait été, pour l’État hébreux, le moyen de briser le Hezbollah. Ceci afin d’empêcher l’Iran de riposter par le biais de son allié libanais, en cas de frappes contre ses sites nucléaires.

4- L’Occident a t-il bien géré le dossier du programme nucléaire iranien ?

La réponse est clairement « non ». Les Occidentaux, en particulier les États-Unis, ont manqué les opportunité de renouer un véritable dialogue avec Téhéran entre 1997 et 2005, alors que le pays était présidé par le réformateur modéré Mohammad Khatami. A partir de 2000, l’administration Bush a systématiquement bloqué toutes les négociations que Téhéran a tenté d’entamer. Les États-Unis, peu avant d’attaquer l’Irak, ont même refusé l’aide que leur proposait l’Iran, ennemi inconditionnel du régime de Saddam Hussein

Les Européens, trop alignés sur les positions de la Maison blanche, ne sont quant à eux pas parvenus à négocier efficacement avec Téhéran. L’accord E3, signé en novembre 2004 par l’Iran, la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, qui visait à rendre le programme nucléaire du pays persan transparent, est sans doute venu trop tard : à un moment les « ultras » reprenaient la main en Iran face aux réformateurs.

Depuis 2005, avec l’arrivée au pouvoir de Mahmmoud Ahmadinejad, les conservateurs sont revenus en force à Téhéran. Leur refus de céder aux exigences des Occidentaux s’est notamment manifesté lors de l’éviction d’Ali Larijani. Chargé des négociations sur la sécurité nationale iranienne, et réputé pour son sens de la diplomatie, il a été remplacé en octobre 2007 par Saïd Jalili, un négociateur plus dur.

A l’heure actuelle, la solution diplomatique semble donc compromise. D’autant que l’Iran peut compter sur le soutien officieux de pays puissants -parmi lesquels la Chine et la Russie- pour lesquels le pays persan représente un important partenaire commercial, et qui se montrent peu pressés de jouer la carte des sanctions au niveau de l’ONU.

Pour en savoir plus : le résumé du programme nucléaire iranien sur Wikipédia et les négociations de ces dernières années sur le site de la documentation française.

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