Heureusement que les footballeurs espagnols sont là pour éclairer cette coupe du monde 2010 aussi monotone que les barrissements des vuvuzelas.
Que savent bien faire les footballeurs espagnols ? Des passes. Avec tout ce que cela comporte : jouer en équipe, proposer des solutions à ses partenaires, savoir quel côté du pied utiliser. Quelle force appliquer sur le ballon. Quand passer la balle, à qui. Quand faire une feinte. Les Espagnols savent jouer au football.
On peut même aller jusqu’à dire que leur manière de jouer est sensuelle. Ils caressent le ballon comme personne, prennent le temps de toujours vérifier s’il y a une meilleure solution que l’action personnelle… Admirons ce tempo imprimé au match, avec des passes de plus en plus courtes et rapides dans les vingt derniers mètres, à mesure que le cœur de l’amateur de football bat la chamade…
Toute la culture espagnole est là : l’impétuosité du matador, son orgueil, et l’élégance de la danseuse de flamenco.
Ce ne sont pas des requins qui se précipitent sur leur proie, les Espagnols, ce sont de malins chats, agiles, froids, sûrs d’eux… Et quand ils ont un Villa devant, ils marquent. Et l’amoureux de football maîtrisé et viril peut hurler sa joie avec le buteur.
Les chevilles souples des milieux espagnols
Bien sûr, les Espagnols n’ont pas de récupérateur, de destructeur d’actions, comme on dit. Mais en ont-ils besoin ? Il est si dur de leur prendre la balle, à eux, les constructeurs. Regardez leurs petits milieux de terrain, véritable fourmis travailleuses, voyez ces petits ingénieurs en figures géométriques et en jeu de passe qui font tourner en bourrique leurs adversaires… Admirez l’audace et la précision de ces longues passes tangentes, exécutées avec toute la facilité du monde, comme un coup de ballon sur la plage…
Voyez-les, sentez-les, ils n’opèrent que par feintes, déséquilibres, contre-pieds, ils ont les chevilles souples, la passe précise, les contrôles subtils, les attitudes racées. A chaque prise de balles, ils ont déjà une dizaine de choix possibles dans leur tête. Et souvent le choix qu’ils font réussit. Plusieurs de leurs actions ressemblent à d’improbables numéros de funambule, à un ballet de ballon. On croirait la chorégraphie écrite, tant il semble que la balle passe à un millimètre de leur échapper, pour se retrouver entre leurs pieds.
L’équipe d’Espagne joue du bout de la chaussure, au fil du cuir, comme par mégarde, comme en se retirant, comme un aquarelliste travaille par petites touches, du bout de son pinceau. L’équipe d’Espagne a la classe, parce qu’elle gagne en donnant l’impression de jouer distraitement, sans pression. Dans leur équipe, les ailiers maîtrisent les dribbles, les milieux centraux tentent des percées, les buteurs jouent les ailiers, les attaquants savent intelligemment tacler.
Mais on peut espérer encore plus de cette Espagne, qui semble monter en puissance à chaque match. – en puissance, c’est-à-dire en précision, en subtilité, en qualité de collectif, en décontraction collective.
6 mai 2009, le but sublime d’Iniesta
En la voyant jouer, comment ne pas se souvenir du Barcelone de la saison 2008-2009 ? Et de ce match des titans, le retour de la demi-finale de Ligue des champions contre Chelsea, et ce miraculeux but d’Iniesta de l’extérieur du pied droit, à la dernière minute.
Messi tente de s’infiltrer, constate qu’il n’y a pas d’espace. Il aperçoit Iniesta en arrière, sur sa droite, lui glisse le ballon. Celui-ci, le voyant arriver par sa gauche, sait qu’il ne doit pas le reprendre du coup de pied. A cette distance, ça filerait au-dessus. S’il le reprend de l’intérieur du droit, sa frappe manquera de puissance.
Iniesta opte alors logiquement, intelligemment, magnifiquement, pour le plus difficile mais le plus approprié des gestes pour cadrer sa frappe, l’extérieur du droit. Qui va se loger dans la lucarne du gardien Petr Cech. Le barca n’avait pas encore cadré une frappe, quand l’un de ses prodigieux milieux trouve la trajectoire parfaite qui va passer à travers une forêt de jambes, de corps, de têtes, et passer hors de portée des mains d’un des meilleurs gardiens du monde. Le grand foot a vécu, rideau, amen, merci.
L’étincelle, cet extérieur du pied, cette frappe en forme de rayon de soleil qui finit dans les filets, illumine le sport. Iniesta enlève alors son maillot jaune, court et le fait tourner au-dessus de sa tête. Il n’est plus dans une équipe, il n’est plus footballeur, il n’a plus gagné un match de foot. Il rend une sorte d’hommage gratuit et fou à quelque esprit qui lui a permi de réaliser ce geste. Un geste aussi beau et significatif que la reprise de Zidane en finale de la ligue des champions 2002.
Comment Iniesta avait commenté ce but ? « J’y ai mis toute mon âme. » La beauté suprême, c’est quand l’âme folle et fougueuse s’exprime de la plus équilibrée, technique, précise des façons. Napoléon disait qu’il mesurait ses rêveries au compas de son raisonnement. Iniesta, sur ce coup-là, a placé subtilement son pied et son corps de manière à arriver en finale de la Ligue des champions, alors qu’on jouait la dernière minute d’un match très oppressant.
Cet extérieur du droit, c’est toute l’âme du foot comme on l’aime, quand il déborde précisément le cadre du football. Espérons que la magique Espagne continue de faire briller ce Mondial bien pâle, où on se rappelle tout juste de nos Bleus. Jouaient-ils au football ? A vrai dire, on ne sait plus trop à quoi ils ont joué…
Crédit photo : Álvaro Felipe / Flickr
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