Les commentaires sur Internet, ou la médiocrité participative

Il est rare désormais qu’un article de presse sur Internet n’ait pas son lot de commentaires et de réactions. Pour le plus grand bien de la démocratie participative ? Pas sûr…

La « démocratie participative », ça plaît… Le terme ne veut rien dire : la démocratie, forme d’organisation politique où le peuple détient le pouvoir, est nécessairement participative. Mais peu importe, l’expression est à la mode : en politique, en société… et dans les médias, où elle prend la forme de commentaires et de réactions qui suivent les articles. Il est « sain » que le citoyen « s’exprime » et « participe au débat », y compris via « le quatrième pouvoir ».

Autrefois, cela se faisait grâce au courrier des lecteurs. Mais Internet a simplifié les choses : quelques lignes, un clic, emballé et c’est pesé ! Voici votre commentaire ajouté à la longue liste de ceux qui le précèdent. It’s a free World, comme dirait Ken Loach : commenter la presse est un droit, voire même un devoir. Cela permet d’échanger une information, de signaler une erreur, de donner son opinion sur un fait de société. Gare à celui qui prétendrait que les réactions des lecteurs sont nuisibles. Et pourtant…

« Salope d’ultralibéral », « Facho immonde » …

Force est de constater que les commentaires du lectorat servent rarement la cause de la démocratie participative, et encore mois celle de l’intelligence. Bien souvent, ils sont plutôt des déversoirs de haine très personnelle. Suffisamment nombreux pour que certains journalistes, excédés, réagissent à leur égard. Ainsi, sur le blog Lupus, l’économiste du Monde Pierre-Antoine Delhommais note, après l’un de ses articles mettant en cause un livre de Stéphane Hessel, les multiples injures que celui-ci lui a valu : « On a eu droit à du « salope d’ultralibéral », du « facho immonde » et même du « bobo égoïste », ce qui nous a fait plutôt rire, pas seulement parce que c’est un pléonasme. Nous profitons de l’occasion pour saluer le petit groupe d’abonnés du Monde.fr (« Omar b. », « Dubonsens », « Un noir », etc.) qui, depuis que nous avons commencé cette chronique, font preuve, dans leurs réactions, d’une fidélité haineuse remarquable. »

Pas besoin d’aller jusque sur un blog économiste pour trouver trace de ce genre de jets de venin. Sur Yahoo.fr, les matches de football en live se transforment presque systématiquement en immondes abreuvoirs de racisme pur et dur. Durant un France-Roumanie, on a ainsi pu lire dans les commentaires que « Les Roumains sont tout juste bons à faire la manche dans le métro ». Édifiantes aussi, les critiques récentes à l’égard de Franck Ribéry lorsque celui-ci affirme qu’il refuse de répondre aux questions de journalistes quand elles sont posées en Français : il a droit à un torrent d’insultes xénophobes, conclu par un magistral : « Vivement 2012 qu’on vote Marine ! »

Ce type de « dérapages » n’épargne pas les « grands » médias, pourtant supposés attirer des lecteurs avertis. Ainsi, à la suite d’un article concernant l’affaire de la flottille de Gaza, Libération fut forcé de clore les réactions. Et de s’en expliquer :  « A la suite de débordements récurrents liés au conflit israélo-palestinien dans les commentaires des articles, Libération a décidé de fermer aux réactions les pages sur ce sujet. » On a compris…

« On s’en tamponne le coquillard !!! »

Pas grand chose à y faire : quintupler les effectifs de la police ne suffirait sans doute encore pas à poursuivre la moitié des lecteurs désobligeants, injurieux, tordus ou racistes. Bon gré mal gré, le journaliste doit en prendre son parti. Comme Pierre-Antoine Delhommais qui ironise : « On veut bien croire que les insultes anonymes, sur Internet, nous conduisent tout droit vers le monde meilleur de la démocratie participative, mais, parfois, elles ont les relents nauséabonds de l’intolérance et de l’hystérie verbale de la presse d’extrême droite des années 1930. »

Quand ils n’insultent pas, les commentaires ne sont pas forcément agréables pour autant. A un article paru sur Le Monde.fr concernant les possibilités de « rebond politique » de Nicolas Sarkozy, un internaute répond : « Vivement la parution du Canard Enchaîné pour avoir des infos non édulcorées… » Sympa pour le journaliste qui a juste essayé de faire son boulot. Au point qu’on se dit que c’est tout à l’honneur des journalistes d’accepter d’ouvrir ces tribunes libres et gratuites à des individus si dénués de capacité d’analyse et de classe, n’hésitant pas à être injustes avec eux. Quelle autre profession permet tant de violence dans la critique ?

Des commentaires « garantis sans intérêt » !

Toujours sur Le Monde.fr, à propos du devenir de Michèle Alliot-Marie, un lecteur lâche, toujours très constructif : « On s’en tamponne le coquillard !!! » Si ce cri-là n’a rien de haineux, il n’en reste pas moins dédaigneux, et surtout d’une navrante inutilité. C’est là le problème de l’immense majorité des commentaires. Si certains lecteurs disent apprécier un article (« Les chroniques de Gérard Courtois sont toujours un plaisir à lire ») et si d’autres s’essayent parfois à l’humour (à propos de MAM : « Son côté à tyrans lui fera faire de nombreuses rencontres intéressantes… »), la majeure partie d’entre eux ne fait guère que de livrer un point de vue. Intérêt limité garanti ! Cela n’a jamais fait démissionner un ministre ou fait progresser d’un pouce le schmilblick intellectuel.

300 ou 400 signes pour ou contre Nicolas Sarkozy ou Dominique Strauss-Kahn ne changeront pas les opinions (ni les votes) en ce qui les concerne. Sur l’arrivée de Gérard Longuet au gouvernement, un internaute crache : « C’est un gouvernement de repris de justice. La République est tombée bien bas. » Qu’elle soit fondée ou non, la pique ne porte pas bien loin. On pourrait multiplier les exemples de réactions qui n’engagent que celles et ceux qui les écrivent… et, très certainement, n’intéressent qu’eux la plupart du temps puisqu’ils se répondent rarement les uns aux autres. Cela ne peut en tout cas prétendre nourrir un quelconque débat intellectuel, et encore moins « renseigner » un journaliste ou un blogueur sur une tendance sociale. L’article est tout juste prétexte à balancer son avis sur un sujet.

Les bons commentaires sont rares

Et encore ne parle-t-on pas des commentaires qui massacrent l’orthographe ou qui, mal formulés, sont difficilement compréhensibles. Ainsi, sur Le Figaro, à propos des mouvements populaires dans le monde arabe : « J’ai l’impression que les États-Unis sont derrière ses vagues de manifestations d’autant plus qu’elles coincident avec les problèmes financiers qui existent dans son pays. » On devine vaguement le sens, mais cela mériterait, à tout le moins, un éclaircissement !

Enfin, rares sont les réactions qui proposent des liens vers d’autres articles. C’est dommage, attendu qu’ils sont sans doute les plus intéressants, avec ceux qui s’extirpent des opinions partisanes pour discuter du fond d’un problème ou d’un débat. Conclusion générale : les commentaires ne sont pas inutiles. Mais ceux qui profitent vraiment à la « démocratie participative » se font cruellement rares.

Crédit photo : marnanel / Flickr

A lire aussi sur ce blog : la manie actuelle de mettre de la psychologie partout… ou la servitude moderne via les gadgets.

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2 réponses à Les commentaires sur Internet, ou la médiocrité participative

  1. le monde des partisans dit :

    D’où le travail énorme des community managers de gros sites d’info qui régulent chaque jours des centaines de commentaires. Néanmoins ils arrivent parfois à en tirer des choses intéressantes qu’ils exploitent dans les revues de commentaires où en tant que source pour un papier.
    Une au hasard, pas forcement la meilleure d’ailleurs (mais il fallait bien que j’illustre l’article parlant de commentaires inutiles !) :
    http://www.lexpress.fr/actualite/politique/comprendre-la-situation-de-michele-alliot-marie_963628.html

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