Mais ils sont où les scientifiques ?

Selon certains, nous vivrions actuellement un âge d’or de la science.  Pourtant, vu les échecs à répétition de la « communauté scientifique », on peut poser une question : où se cachent-ils donc, nos scientifiques surcompétents  ?

Nous avons pris l’habitude d’écouter les experts comme parole d’évangile. Les journalistes se les arrachent, sociologues, politologues, sondagologues, sociologues, radiologues, au moindre remous. Les sigles donnent un cachet de sérieux. C’est mieux si vous avez, le plus fréquemment possible, de l’OMS, de l’INVS, du AMF, de l’ENA, un peu de CNRS, un soupçon d’INRS, une pincée d’IFRI, une sauce à l’EHESS : car dès qu’un type issu de l’un de ces organismes sanctifiés ouvre la bouche, c’est comme si la planète était suspendue à ses paroles. Que va-t-on devenir ? Les scientifiques vous répondent.

Bien sûr, ce n’est pas absolument idiot. On enseigne et on encourage, dans toutes ces structures, la démarche scientifique, qui a fait ses preuves dans plusieurs domaines depuis quelques siècles. L’ennui, c’est que la plupart de ces organismes se trompent régulièrement, parfois gravement. Au point que l’on se demande dans quelle mesure ils méritent la qualification de « scientifiques ». A se demander si nous ne sommes pas bien naïfs en faisant confiance à des individus aux raisonnements pas tellement plus scientifiques que ceux de certains piliers de comptoir.

On exagère ? Malheureusement, non…

Des valeurs-limites vraiment limite

Un article du Canard enchaîné du 9 mars 2011 revient sur un reportage intitulé Nos Poisons quotidiens, diffusé sur Arte, consacré à la sécurité alimentaire. Il y est expliqué le concept de « dose journalière admissible » (DJA) et sa technique de calcul. La DJA indique dans quelle mesure l’homme peut quotidiennement ingurgiter telle ou telle saloperie sans que cela ne représente un risque pour sa santé. Laissons la parole au palmipède : « Marie-Monique Robin, auteur du documentaire, demande à un ponte de l’Autorité européenne de sécurité des aliments : ‘Est-ce que c’est un concept scientifique, la DJA ?‘ Et lui de répondre, pas vraiment convaincu : ‘Oui, j’ose l’espérer.‘ » On a vu autorité plus autoritaire !

Pourtant, cette même autorité estime être la « pierre angulaire de l’Union européenne pour ce qui concerne l’évaluation des risques relatifs à la sécurité des aliments ». Une pierre angulaire, peut-être, mais à géométrie variable.

A la même question, rapporte toujours le Canard, un professeur d’université américaine estime que le diviseur amenant à la fixation d’un DJA pour un produit supposé dangereux est « un chiffre tombé du ciel et griffonné sur un coin de nappe ». Merci à nos amis les scientifiques, et bon appétit à tous (sans tacher la nappe).

Le nucléaire, l’énergie du futur… accident

La catastrophe japonaise nous aura au moins permis de nous habituer, s’il en était encore besoin depuis la mascarade du nuage de Tchernobyl, à n’écouter les responsables du nucléaire que d’une oreille, et même de ne pas les écouter du tout. Car dès que le risque radioactif a pointé le bout de son nez au Japon, on a parlé chez nous de faire passer un « stress test » aux centrales nucléaires européennes, c’est-à-dire un test de fonctionnalité et de sécurité (ah bon, c’était pas déjà fait ?…). Günther Öttinger, commissaire européen à l’Énergie, nous en dit un peu plus : les tests devraient répondre à des « normes strictes », fixées cette année (ah bon, c’était pas déjà le cas ?…). « Il s’agit de réévaluer tous les risques: tremblement de terre, inondation, tsunami, attaque terroriste, panne électrique » (ah bon, c’était pas déjà fait ?…).

Nous nous faisions naïvement une autre idée de l’esprit scientifique, celui que l’on nous enseigne à l’école, et qui est si précautionneux ! Qui avance si prudemment d’hypothèses en conjectures… Peut-être que nos ingénieurs sur-diplômés devraient juste jeter un œil à un cour de cinquième ? Car il semble que l’esprit scientifique déserte les problématiques potentiellement les plus dangereuses comme le nucléaire aussi vite qu’Areva a rapatrié ses ingénieurs sur site dès les premiers jours du sinistre japonais.

Enfin, merci à nos amis les scientifiques, et bonnes balades à vous tous, sous l’ombrage bienveillant d’un nuage radioactif.

Grippe A, Médiator… Des blouses blanches comme neige !

On parle énormément, à la lumière de l’excessive inquiétude qu’avait provoquée la grippe A et du scandale du Médiator, des conflits d’intérêts politico-médico-financiers gangrénant les structures et autre autorités de prévention hyper sérieuses comme, en France, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Un pôle de haute scientificité, ayant atteint un tel niveau d’efficacité qu’un récent rapport conseille qu’on en fasse une « refonte totale ». Citons l’article des Échos à ce sujet : « Pour les deux médecins [auteurs du rapport], la récente publication en catastrophe d’une liste brute de 77 médicaments ‘sous surveillance renforcée‘, loin de faire la preuve de sa prise de conscience, représente ‘un terrible aveu involontaire et pathétique d’incompétence (…) révélateur de son inaptitude générale à gérer la sécurité sanitaire‘. »

Le Monde rapportait également une savoureuse sentence issue de ce rapport : « Si l’Afssaps n’existait pas, il ne faudrait pas l’inventer. »

Lançons un appel : ici la Terre, s’il existe encore en France des scientifiques utilisant des méthodes scientifiques, merci de vous faire connaître auprès des autorités compétentes, s’il en existe encore…

Crédit photo : mamasuco / Flickr

D’autres coups de gueule sur Retour d’actu, dont un article faisant le point sur le culte de la science aujourd’hui, et celui-ci sur l’inanité de certains conseils en psychologie… de comptoir.

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5 réponses à Mais ils sont où les scientifiques ?

  1. le monde des partisans dit :

    La question n’est pas tant de savoir si les scientifiques sont compétents mais s’ils sont honnêtes. Quand un scientifique réalise une étude sur le mediator ou l’aspartame pour le compte de la marque ou du lobby concerné, il est rare qu’il déclare le produit dangereux. Pourtant, d’autres études (aux résultats différents) existent souvent, mais elles sont moins relayées et moins écoutées en haut lieu.
    Exemple pas si anodin, ce scientifique japonais qui avait prévenu des risques nucléaires en cas de catastrophe naturelle n’avait pas été écouté. C’est sûrement plus facile de faire la sourde oreille plutôt que de prendre la situation à bras-le-corps. Et oui, ça implique de dépenser de l’argent !
    En bref, il y a un bon paquet de scientifiques incompétents, mais les bons existent aussi. Le problème : on donne la parole aux mauvaises personnes et on ne remet pas assez en cause l’intégrité des études ou les scientifiques sont juge et parti. Ajoutez à cela des politiques peu résistants aux pressions des lobbys et on arrive à la situation que tu décris. ARF !

  2. Romain dit :

    Ernst, je ne retiendrai qu’un mot dans ton billet : naïveté.
    La science et la technologie, qui sont pourtant au cœur du développement de la société humaine contemporaine, ont paradoxalement créé une société de naïfs.

    Quiconque se penche un minimum sur l’histoire des sciences (histoire au passage passionnante), pourra observer que l’esprit scientifique tel qu’on l’enseigne à l’école n’existe pas. La « démarche scientifique » est une fable. La science n’est pas un truc tout noir ou tout blanc.
    Tu parles de DJA, t’es tu posé la question de son intérêt et de sa pertinence ? C’est typiquement le type d’indicateurs voulu par on ne sait quel législateur ou bureaucrate, et qui ne veut rien dire d’un point de vue scientifique si on l’isole du contexte dans lequel il a été défini (ce qui est généralement le cas lorsque cet indicateur arrive sous les yeux du consommateur).

    Le désintérêt des gens pour la science et les critiques parfois virulentes qu’ils en font est sidérante : si vous ne voulez pas être floué, mettez y vous plutôt que de laisser ça à des gens peu scrupuleux.

    • Ruddy V dit :

      Je laisserai Ernst répondre plus en détails sur son article s’il le souhaite. Mais je soulignerai cependant deux choses…

      D’une part, ce papier contient une bonne dose d’ironie (qui n’est pas dangereuse pour la santé, c’est prouvé !). Prière de ne pas passer à côté. Même si on n’est pas des flêches côté science sur ce site, on n’est pas pour autant viscéralement « anti-scientifique ».

      D’autre part et surtout, comme vous le soulignez, il n’est pas forcément problématique que la science tatônne, cherche, ne soit pas infaillible… Après tout, même un novice scientifique comme moi peut concevoir que, quand on cherche, on peut se tromper, ou ne pas trouver du premier coup, ou ne pas trouver tout court. C’est certainement le propre de la science et c’est sans doute ce qui lui permet d’avancer !

      Cependant, il est plus emmerdant que des mesures de santé publique reposent sur des préceptes scientifiques incomplets ou douteux. Vous suggérez à chacun de s’y mettre. Pourquoi pas, en effet ? Mais pour des choses aussi pointues que la dose acceptable de radioactivité pour un organisme humain, on est bien obligé de s’en remettre à une norme scientifique. Le « on » inclut aussi bien souvent le décideur politique. On pourrait donc attendre un peu plus de rigueur de la part du scientifique en l’occurrence…

      Dans le cadre de mon boulot, je retrouve parfois un peu la même chose au niveau des aides sociales, qui sont d’une complexité sans nom, notamment depuis l’instauration du RSA. Quand quelqu’un vient faire une demande, tout repose en fait sur le technicien de l’action sociale, qui a intérêt à ne pas se gourrer. Car il est quasi-impossible pour la personne demandeuse de savoir à quoi elle a droit autrement. Qu’on le veuille ou non, on est donc soumis dans beaucoup de cas à la science de l’autre, et il faut bien espérer qu’on peut lui faire confiance.

    • Ernst Calafol dit :

      @ Le monde des partisans : un scientifique compétent ne devrait-il pas être forcément honnête ? Est-ce que l’honnêteté ne fait pas partie intégrante du raisonnement scientifique ? Comme tu dis, le problème est qu’il sont juges et partie, j’entends bien, nous n’avons que trop eu l’occasion de le vérifier ces derniers temps… Mais comme le rappelle Ruddy, j’étais davantage dans l’ironie puisque comme tu le dis (« ARF »), le problème est humain, trop humain, c’est-à-dire insoluble.

      @ Romain : tout à fait d’accord sur la société de naïfs. Les progrès de la science font qu’on finit par croire à la science comme on croit à la magie. Que la démarche scientifique soit une fable, j’en doute – même si a priori, je connais beaucoup moins l’histoire des sciences que toi ; on est bien arrivés à des résultats dans certains domaines, non ? Donc cela a existé à un moment ou a un autre, peut-être ponctuellement, peut-être rarement, mais ça a existé. Quant à se mettre à la science, une société est basée sur le partage des tâches. Impossible de tout faire soi-même. Un contrat de confiance demande des scientifiques un minimum honnêtes, c’est quand même pas demander la lune. J’avoue sans problèmes ni honte être encore naïf sur ce plan-là. J’avais la naïveté de croire que les centrales nucléaires étaient construites de manière irréprochable. Mais mon papier est quasiment intégralement ironique, quand même… C’est un faux étonnement, et au fond un constat d’échec.

  3. Ping : Voici venu le temps du simplisme |

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