Le port du voile intégral est officiellement interdit dans l’espace public depuis le 11 avril dernier, suscitant des réactions passionnées. Religion et liberté n’ont pourtant pas grand chose à voir avec ce débat… qui soulève plutôt des questions communautaires et sexuelles.
Si l’actualité fonctionnait comme le CAC 40, la cote du voile intégral atteindrait des sommets. Depuis le lancement du débat sur son interdiction dans l’espace public, et plus encore depuis l’entrée en vigueur de cette interdiction lundi dernier, les médias se sont soudain découverts une passion pour les quelques 3000 femmes concernés en France.
Certains font leurs choux gras des premières verbalisations. D’autres se penchent sur les témoignages de femmes voilées, ou reviennent sur d’obscures menaces lancées par quelques imbéciles sur des forums en ligne, tandis que les militants pro-voile ne manquent pas de se manifester. Les journaux étrangers ne sont pas en reste : certains, comme The Observer ou The Independant, critiquent vertement la position du gouvernement sur le port du voile intégrale.
Celui-ci, visiblement, leur obstrue la vue à tous. Le débat ne se réduit pas à un affrontement de valeurs, à une opposition entre laïcité à la Française et « liberté » religieuse. Le voile intégral soulève d’autres questions. Il n’a rien ou pas grand chose de religieux, quoiqu’en disent celles qui le portent. Il est d’abord un symbole éminemment communautaire et sexuel.
« Ma soeur » : la marque du communautarisme
La seule manière dont on se désigne devrait suffire à mettre sur la voie. Certains des primaires qui se déchaînent sur le net et menacent d’en venir aux « actes » font référence à leurs « sœurs » (voir l’article du Point ci-dessus). Même choses sur des forums où les termes sont pourtant plus mesurés. Ainsi, sur yabiladi.com, à l’occasion d’un débat sur les femmes qui souhaitent travailler voilées, une internaute lance à une autre : « Salam ma sœur. Je te comprends parfaitement et je peux dire que c’est juste une énorme injustice en France ».
Les exemples fourmillent. On ne s’est rencontré que par le biais d’un forum, mais on se reconnaît comme « frères » et « sœurs »… avec tout ce que laisse supposer ce champ lexical familial. Celui-ci prend place dans un discours de victimisation qui donne encore plus de force à la nécessité du regroupement. Dans la plupart des posts de la discussion citée plus haut, il est fait mention de « ce que nous sommes » face aux « occidentaux »… L’ensemble donne le sentiment d’avoir affaire à une communauté -pour ne pas dire une secte- qui aurait « trouvé la voie » et affirmerait mordicus cette identité face au reste du monde.
Quant à ceux qui ne partagent pas la croyance, ce sont des « cœurs perdus », des « égarés »… Ces expressions toutes faites renforcent l’impression d’un groupe qui choisit de pointer du doigt l’impureté des autres pour mieux se mettre à part. On baigne bien plus dans le communautarisme que dans l’expression religieuse. Dans ce contexte, les plaintes contre un monde qui ne comprend pas ce « choix » apparaissent comme autant de barrières de protection supplémentaires et comme la marque d’une auto-exclusion voulue et assumée.
Selon Lapeyronnie : un moyen de garder ses femmes
Si, au-delà du bon sens, la caution scientifique est nécessaire, il faut lire ce qu’écrit sur ce sujet le sociologue Didier Lapeyronnie (Ghettos urbains). Ayant passé plusieurs années dans une banlieue-ghetto, il explique que le voile, dans cet univers, est avant tout un moyen pour les hommes de garder leurs femmes. Voilées, celles-ci indiquent leur indisponibilité affective et sexuelle à l’ensemble de la gent masculine, et montrent qu’elles n’appartiennent qu’aux hommes de la communauté. Ce qui, évidemment, est générateur de conflit. Une femme « sexuellement disponible » qui masque son visage et son corps suscite au mieux la méfiance, au pire le rejet.
Cela, du reste, est bien souvent d’un discours passéiste sur les relations hommes-femmes. Dans de nombreux témoignages, les femmes voilées insistent sur la « protection » qu’offre leur vêtement. Une protection au sens physique du terme, contre la libido des hommes… et sans doute une manière supplémentaire de se distinguer, dans une société où le nu est montré et assumé. Là encore, l’opposition entre la pureté des uns et la débauche des autres permet de dresser d’invisibles barrières entre les communautés.
L’un des aspects les plus frappants de cette « mode » du voile intégral est qu’elle touche notamment des jeunes filles issues des classes moyennes et dont les parents, pratiquants ou non, sont loin d’encourager cela. Difficile de cerner les raisons d’un tel comportement. Mimétisme ? Pression sociale ? Colère d’une génération qui refuse d’accepter le manque de réussite sociale de certains parents ?
Le fait est en tout cas que le discours de légitimation du voile vise aussi les jeunes femmes. On lira pour l’exemple cet effrayant texte de propagande diffusée sur Facebook (« Mon voile, ma fierté »), qui met en avant « la beauté » de la « sœur voilée », et qui insiste sur le rempart que celui-ci offre face à la menace que constitue quelques jeunes qui boivent et fument des « substances illicites ». L’argumentaire donne de surcroît l’impression d’offrir une réponse aux questions de l’adolescence : celle qui est masquée est « en paix », « sereine »… L’auteure (mais s’agit-il bien d’une femme ?) n’insiste évidemment pas beaucoup sur ces livres qu’elle dit avoir lu et qui convaincraient du bien-fondé du voile intégral.
La question du clivage communautaire
Reste la question cruciale : ces quelques centimètres carré de tissu en trop menacent-ils la paix sociale ? Sur ce point, il convient d’être mesuré. Le voile intégral suscite un tel rejet, tant dans l’espace public que professionnel, qu’on le voit mal faire des dizaines de milliers d’adeptes. Celle qui se voile trouve peut-être place dans ce qu’elle estime être sa communauté d’origine, mais elle paye pour cela un lourd tribut : celui de devenir une paria pour le reste de la société.
Il n’en reste pas moins que le voile est certainement susceptible de faire des ravages dans des quartiers où les communautés musulmanes sont fortement implantées. Quoiqu’elles en disent, les jeunes filles et les femmes qui y habitent peuvent être soumises à une pression sociale forte autour de la question de son port. A terme, cela peut mener à une xénophobie encore plus marquée à l’égard des communautés arabes, et donc à une exclusion renforcée et des affrontements.
A ceux qui, bec et ongle, défendent pourtant le voile intégral comme le respect d’une identité culturelle, on pourra répondre la chose suivante… Des sociologues de l’école de Chicago expliquent que certaines formes de regroupement communautaire ne sont pas néfastes, dans la mesure où elles préparent les individus au « monde extérieur ». Des études en ce sens ont été menées sur des quartiers d’immigrés aux États-Unis, montrant qu’ils permettaient à ses membres de ne pas se couper de leurs racines tout en leur fournissant les moyens de s’affirmer dans le reste de la société.
Il est à craindre cependant qu’un regroupement autour d’une ligne dure de l’Islam (dont le voile est l’un des éléments) ne joue pas en ce sens. Celui-ci ne fonctionne pas comme un « sas d’intégration » vers l’extérieur. Bien au contraire, il isole ses membres. A ce titre, sans s’en alarmer, il est légitime de surveiller de près la progression du voile intégral. Celle-ci permet de mesurer l’enfermement social voulu ou subi par une partie de la communauté musulmane.
Crédit photo : siobh.ie / Flickr
A lire aussi sur ce site : notre époque a décidément peur de ses femmes. Par ailleurs, un point de vue sur l’iPad et la burqa, « isolants sociaux », et un coup de gueule sarcastique sur les propositions de Rachid Nekkaz…
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