Faut-il lyncher les banquiers ?

En ces temps de crise et de débat sur la dette, on est prompts à critiquer les banques et les agences de notation. Les politiques ont pourtant une lourde responsabilité dans l’affaire. Et, par conséquent, les électeurs. (Avec Ernst Calafol)

 

Tirer sur les banquiers et les agences de notation est à la mode. L’Europe elle-même s’y est mise récemment. Certes, le monde de la finance a donné, au cours des dernières années, plus que des bâtons pour se faire battre. De véritables battes de baseball. Les banques ont provoqué l’une des pires crises économiques qui soient en diffusant ou en achetant les « junk bonds », ces fameuses « actions pourries » basées sur des crédits à l’immobilier irremboursables. Quant aux agences de notation, elles ont accordé avec beaucoup de légèreté des « triple A » à ces produits financiers qui ont secoué le système bancaire dans son ensemble.

Avec le débat actuel sur la dette, il paraît donc d’autant plus légitime de « flinguer » les financiers, au regard de l’influence qu’ils peuvent avoir sur les politiques. Un geste des détenteurs de la dette, une menace voilée des agences sur le triple A hexagonal (qui paraît-il, ne le vaut pas), et voici les ministres qui élèvent immédiatement les taxes et tranchent massivement dans le budget. Eux qui s’étaient pourtant fait élire sur la relance de la croissance par une baisse des impôts…

La France creuse sa tombe son déficit depuis 40 ans

Mais est-il justifié pour autant de s’en prendre maintenant aux magnats de la finance ? Sont-ils les plus à blâmer ? Ce n’est pas si sûr. Comme dirait le très philosophe terroriste du film V pour Vendetta : « Si vous cherchez un coupable, commencez par vous regarder dans le miroir. » Pour rappel, la dette française se situe aujourd’hui à un niveau qui avoisine les 1 700 milliards d’euros. Depuis les années 70 et les chocs pétroliers, elle n’a cessé de se creuser. Aujourd’hui, face aux crises grecque et italienne, la France semble se réveiller. Elle prend conscience que le remboursement des intérêts de sa dette est aujourd’hui le premier poste de dépense de l’État. Et que demain, son crédit risque bien de lui coûter encore plus cher (oubliant quand même au passage que la dette n’est pas QUE mauvaise et que le débat, comme le rappellent certains économistes, est un peu plus subtil).

La France se rend compte aussi qu’il faudra dorénavant composer, au mieux, avec une croissance faiblarde, qui ne permettra pas de dégager de massifs excédents budgétaires. Bref, elle prend conscience qu’elle n’a plus vraiment le choix. Qu’il lui faut composer avec la rigueur, de droite ou de gauche, que la présidentielle de 2012 sera de toute façon placée sous le signe de l’austérité.

La France a choisi de vivre à crédit

Mais aujourd’hui, la France hurle contre ses banquiers, au lieu de faire sa thérapie. Une attitude franchement immature. Car ce ne sont pas les banquiers qui ont choisi de mettre au pouvoir, depuis 40 ans, des hommes et des femmes qui ont creusé la dette. Ou, du moins, qui n’ont jamais proposé les moyens de pratiquer une autre politique, n’ont jamais réformé en profondeur la fiscalité française, et ont voté des budgets basés sur des perspectives de croissance souvent trop optimistes. Ce ne sont pas non plus les banquiers qui sont descendus dans la rue dès qu’un gouvernement a employé le mot « rigueur ».

La France s’est choisie des dirigeants qui, bon gré mal gré, ont conservé un modèle de protection sociale efficace, mais couteux, sans le réformer. Les Français ont par ailleurs habitué ces dirigeants qui souhaitaient rester en poste de ne surtout pas changer d’un iota ce modèle de plus en plus mis à mal par le nouveau contexte de mondialisation. Un Chirac, par exemple, on le sait, avait la hantise de déclencher une manif. Nous l’avons élu pour douze ans, autant d’années de retard en plus.

Quand les agences notaient « AAA », on n’en parlait jamais

Face à la désindustrialisation, face au chômage de masse, la France a choisi la voie du crédit. Jusqu’à ce que celui-ci représente plus des trois quarts de la valeur de son PIB. Les banquiers et les agences de notation en sont-ils responsables ? Non. En l’occurrence, ils sont les tyrans à qui l’on a accepté de donner du pouvoir. Quand les agences notaient tout le monde « AAA », qui hurlait contre elles ? Personne. Si la France avait choisi l’équilibre -certes sans doute au prix de sacrifices considérables-, elle aurait pu se permettre de mépriser ceux qui tiennent à présent en main une partie de son destin, et la contraignent à faire des choix précipités et douloureux.

Au passage, notons que les discours politiques des uns et des autres fleurent bon la démagogie. De tous ces candidats qui veulent à présent avoir le courage de « dire la vérité aux Français », lequel s’est depuis dix ou vingt ans montré constant dans la volonté de réduire les déficits ? Aucun. Presque tous, de droite ou de gauche, ont au contraire contribué à l’augmenter, avec la bénédiction de leur électorat. Il est presque cocasse d’accuser aujourd’hui le système financier qui, dans son ensemble, a accepté de financer ce qui apparaît aujourd’hui comme des excès. La France a tout du syndrome du malade qui casse son thermomètre. Thermomètre dont la fiabilité est peut-être douteuse, mais qui indique tout de même bien l’état général du patient.

Finalement, tout le monde s’est mis la tête dans le sable pendant 40 ans, autant les banquiers que les politiques ou les électeurs. On ne voit pas pourquoi il y aurait, maintenant, une catégorie à sortir du lot.

Crédit photo : secretlondon123 / Flickr

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1 réponse à Faut-il lyncher les banquiers ?

  1. lemoldu dit :

    article 104 du traité de Maastricht  » Il est interdit à la BCE et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées “banques centrales nationales”, d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions ou organes de la Communauté, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la BCE ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite. »
    Le même dans l’article 123 du traité de Lisbonne…et aussi le même principe avec la loi du 3 janvier 1973 en France par VGE (voir http://www.facebook.com/notes/francoise-bellut/echange-entre-aj-holbecq-et-v-giscard-destaing-%C3%A0-propos-de-la-loi-pompidou-gisca/10150338995897285).

    Les banquiers sont clairement responsables ! Abrogeons ces obligations créées de toutes pièces et rendons aux états le droit de frapper monnaie sans devoir payer des intérêts aux banques privées. Vous verrez que la dette s’effacera d’elle même comme les pertes des banques en 2009 ! D’ailleurs le film « Argent Dette » de Paul Grignon permet une compréhension aisée du phénomène.

    Aucun politique au pouvoir depuis cette période n’a remise en cause ce principe…en France ou en Europe…

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