Sept coups de coeur à voir à Florence – 1ère partie

Première partie d’une série de coups de cœur lors d’un séjour à Florence (Italie). Brunelleschi, Fra Angelico, Masaccio, Donatello, Michel-Ange…

 

 

 

Il duomo de la cathédrale de Santa Maria del Fiore, par Brunelleschi (1377 – 1446)

Florence et la Renaissance ne seraient pas ce qu’elles sont sans  le magistral duomo de la cathédrale Santa Maria del Fiore imaginé par Filippo Brunelleschi (achevé en 1436). Cet édifice constitue la boussole de l’époque, son principal élan de fierté magnifiée, exemple de l’équilibre trouvé à cette époque entre la volonté d’étonner le monde et le goût le plus exquis. Ce dôme, c’est la voile principale de ces grandes décennies.

Vue de Florence depuis le Sud de la ville. De gauche à droite : le Palazzo Vecchio, le Campanile et la cathédrale de Santa Maria del Fiore et son dôme par Brunelleschi (1436).

Crédit photo : Retour d’actu (tous droits réservés)

Saint-Georges, Donatello (1386 – 1466)

Musée du Bargello

Ce Saint-Georges, œuvré par l’un des premiers grands sculpteurs de la Renaissance, Donatello, dépasse le débat stérile de savoir si l’esprit l’emporte sur la force. Il n’est pas question, dans cette œuvre, et de manière plus générale pendant la Renaissance qui fut une époque d’épanouissement de la virilité guerrière (comme par hasard, c’est aussi le cas de la Grèce classique, autre sommet de l’activité artistique), il n’est pas question, donc, de discuter sur le bien-fondé de la violence et de la guerre. Il s’agit de donner une image victorieuse et équilibrée de l’homme.

St-Georges de Donatello (1416). Musée du Bargello, Florence.

Le Saint-Georges (1416) ci-dessus est assurément intelligent, inventif, confiant. On ne l’imagine pas défait au combat ou faire preuve de la moindre lâcheté, au contraire. Il semble disposer d’une immense réserve de puissance intérieure. Bien que n’apparaisse ici que son bouclier, il ne fait aucun doute qu’il manie tout aussi bien l’épée. Il a le goût de l’esprit tout autant que celui du combat. Regardons sa main droite, légèrement crispée, indiquant qu’il brûle d’envie d’en découdre pour prouver sa valeur. Alors que sa main gauche, délicate, ressemble à celle d’une femme, détendue, tranquille. Ici, l’alliance intelligente de la force et de l’esprit donne naissance à un combattant sans égal, un « surhomme » pourrait-on dire, aussi souple que tranchant. Très peu nombreuses sont les images de l’homme atteignant, de ce point de vue, une telle sérénité. Image de la victoire, et même image de l’homme en tant que victoire.

Crédit photo : Bob Swain / Picasa

Le couronnement de la Vierge, Fra Angelico (1387 – 1455)

Couvent San Marco

Cette fresque du moine béatifié Fra Angelico orne l’une des nombreuses cellules de moine du couvent San Marco. La peinture de cet artiste avait pour objectif d’aider à la méditation. Si le visiteur ne sera pas forcément porté à méditer sur le sort du Christ, il sera pour le moins charmé de l’ambiance de sérénité dans laquelle baignent les œuvres de Fra Angelico.

Le Couronnement de la Vierge, Fra Angelico. Couvent San Marco, Florence.

Comme dirait Rimbaud, Fra Angelico semble avoir « trouvé le lieu et la formule ». Des compositions équilibrées, des drapés relativement simples, une grande finesse dans l’expression des visages, peu de gestes démonstratifs ou de virtuosité mal placée, des couleurs toujours lumineuses, profondément généreuses tout en restant sobres (voir ci-dessus l’ineffable beauté du blanc des robes du Christ et de Marie). Les personnages semblent réellement habités d’une sagesse solaire qui rayonne sur nous. Fra Angelico s’attache à l’essentiel de la même manière qu’il vit essentiellement de sa foi profonde. Sa peinture, c’est une magnifique et émouvante économie de moyens pour décliner les mille subtilités de l’amour que lui inspire sa piété. Il suffit d’être un peu sensible pour, face à une série de Fra Angelico, se surprendre à avoir envie de devenir chrétien.

Crédit photo : Bob Swain / Picasa

Le Tribut, Masaccio (1401 – 1428)

Santa Maria del Carmine

Masaccio est un génie relativement méconnu. Il est l’un des tout premiers peintres à appliquer la perspective mathématique dans ses tableaux. Pour la première fois, il arrive à aérer une peinture, à lui donner de l’espace, du souffle, à donner plus de crédibilité, d’expressivité et de cohérence à ses personnages. Ses œuvres, bien qu’il soit mort jeune, seront recopiées par tous les maîtres qui suivront (Michel-Ange, par exemple), et jusqu’à nos jours n’importe quel critique d’art reconnaît en Masaccio celui qui fait passer la peinture dans la modernité. Il faudra attendre le cubisme, au vingtième siècle, pour semblable révolution. Le Tribut (1427), fresque ci-dessous, est l’œuvre la plus célèbre de Masaccio. Elle est extraite de l’ensemble de fresques de la chapelle Brancacci de l’église Santa Maria del Carmine, sur lequel trois peintres ont officié (Masolino, Filippino Lippi et Masaccio).

Le Tribut de Masaccio (1427) constitue la partie supérieure de ce mur de fresques. Santa Maria del Carmine, Florence.

Face à cette peinture, on est d’abord frappé par l’utilisation de l’espace, qui donne du volume aux figures et décors. Quels progrès quand on repense aux figures figées qui prévalaient auparavant en peinture ! On peut se faire une idée assez claire des distances qui séparent les choses les unes des autres. Ce tableau respire, et on partage son air. Les gestes des personnages sont simplement compréhensibles, les drapés peu complexes mais sûrs, les couleurs pleines, les silhouettes bien dessinées, et la figure du Christ magnifiquement mise en valeur. Le prophète est serein, confiant en sa victoire, et cette sérénité nous est aussi communiquée par l’impression d’aération qui se dégage de l’œuvre.

Adam et Ève chassés du Paradis. Santa Maria del carmine, Florence.

La fresque ci-dessus, montrant Adam et Ève chassés du Paradis, est peut-être aussi célèbre que celle du Tribut. Elle a cela de magnifique qu’elle s’applique littéralement à tous les âges, tant les expressions et la gestuelle des personnages traduisent intensément, si justement, la tristesse intemporelle d’une certaine vision de la condition humaine. Par exemple, en voyant l’attitude d’Ève, on ne peut s’empêcher de songer à cette photo montrant des femmes nues, dans une forêt du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, cacher tant bien que mal leur corps derrière leurs bras avant d’entrer dans la chambre à gaz. Masaccio, c’est là son génie, a concentré en quelques coups de pinceaux l’essence de la détresse humaine. Au moment même où il invente une nouvelle manière de peindre, il semble du même coup en épuiser les possibilités émotives, le tout avec une sublime économie de moyen. Loin de se contenter d’innover sur un plan purement technique, il a apporté une touche d’affectivité très personnelle et incroyablement puissante, profonde. Il peint pour les siècles, mais sans façons. La Renaissance, à travers la figure de Masaccio, montre à quel point, malgré ses immenses mérites, elle reste infiniment modeste.

Crédit photo : profzucker et carulmare / Flickr

La Sainte Famille, Michel-Ange (1475 – 1564)

Galerie des Offices

Voici la Sainte Famille (1504), le seul tableau (à notre connaissance) de Michel-Ange exposé dans un musée (la quasi-totalité de son œuvre peinte conservée est constituée des fameuses fresques de la chapelle Sixtine, au Vatican). Par le modelé des corps, la répartition puissante des couleurs intenses, on sent bien que Michel-Ange est un sculpteur dans l’âme.

La Sainte Famille de Michel-Ange (1504). Galerie des Offices, Florence.

Le souffle incomparable de l’art de Michel-Ange ressort parfaitement dans cette peinture, à travers le gigantisme de la figure de Joseph (voir l’énormité de ses jambes, plutôt disproportionnées), les délicieux bras musclés et admirablement peints de cette Vierge assez masculine, ou le ventre légèrement trop long de cette même Vierge (on suppose que c’est parce que le tableau était fait pour être vu d’en dessous). On notera le tempérament taquin du petit Jésus juché sur l’épaule de sa mère comme un petit animal, ou l’irruption, en bas du tableau, de trois mignons orteils du pied gauche de Marie. On reste comme hypnotisé par la charmante et complexe position de ses deux bras, qui contraste avec le sentiment de plénitude émanant de son visage délicatement relevé et compréhensif.

La Sainte Famille verse sur l’amateur une sorte d’énergie lumineuse, colorée, charnelle, lui communique un peu de son énergie bienfaisante. Tout respire l’épanouissement dans ce tableau, et, même si c’est un sacrilège, on aurait presque envie de tomber amoureux de cette Vierge-là.

Crédit photo : fotosaula / Picasa

La Naissance de Jean-Baptiste, Ghirlandaio (1449 – 1494)

Santa Maria Novella

Domenico Ghirlandaio n’est peut-être pas un génie comme a pu l’être Michel-Ange – qui fût son élève -, mais ses œuvres témoignent d’un brillant équilibre trouvé entre les différents acquis de la Renaissance : utilisation de la couleur, de l’espace, de la lumière, goût du raffinement. Il est célèbre pour ses fresques de l’église Santa Maria Novella (1490), dont nous avons extrait la peinture ci-dessous, représentant la naissance de Jean-Baptiste.

La Naissance de Jean-Baptiste par Ghirlandaio (1490). Santa Maria Novella, Florence.

Comme on peut le voir, Ghirlandaio est arrivé à une peinture épanouie, et nous donne des informations sur les manières de vivre de son temps. Dans le tableau ci-dessus, qui ne constitue qu’une petite partie des œuvres peintes de l’église de Santa Maria Novella, on remarquera la beauté du personnage de femme au centre, et plus généralement la qualité de la construction globale de l’œuvre. Mais c’est surtout le personnage de servante, sur la droite, d’une exquise grâce, qui satisfait l’œil (une citation directe d’un tableau de Fillipo Lippi commenté par ailleurs sur Retour d’actu).

Détail de la fresque ci-dessus. Quelle grâce...

L’ondulation régulière du corps, son maintien dans ce mouvement mélodique, ce bleu-blanc aérien qui contraste avec la luxuriance charnue du panier de fruits, cette sérénité dans le regard porté vers l’horizon, la légèreté de ces fruits que l’on sent à peine peser sur les cheveux du personnage… La pirouette du foulard blanc qui vient caresser son bras gauche… Cette silhouette est un poème.

Crédit photo : richardwhitfield80 / Flickr

La Vierge de l’Impannata, Raphaël (1483 – 1520)

Palais Pitti

Raphaël n’a pas son pareil pour décliner par son art toutes les modulations de la tendresse. Cette magnifique Vierge de 1513 ne fait pas exception. L’influence de Vinci est visible dans la manière avec laquelle Raphaël joue avec les contrastes entre les zones de lumière et d’obscurité (également, le doigt pointé par Saint-Jean Baptiste, en bas à droite, rappelle ce Saint-Jean Baptiste, peint au même moment, ou la Vierge aux rochers). L’influence de la Sainte Famille de Michel-Ange (voir plus haut) est également visible dans la gaieté du petit Jésus, la complexité de la construction et le regard noble de la Vierge.

La Vierge de l'Impannata de Raphaël (1513). Palais Pitti, Florence.

On notifiera la manière délicieuse avec laquelle Sainte-Catherine semble taquiner à Jésus, et son visage d’une rare beauté, d’un raffinement extrême : sa bouche, en particulier, respire la bonté, la maturité. On ne peut évoquer Raphaël sans rappeler l’infinie douceur, l’indescriptible beauté des mains de ses personnages. La main gauche de Sainte-Catherine, dans la pénombre, est tout à la fois légère et précise, délicate mais racée. Il y aurait encore un livre à écrire sur un tel tableau, au sein duquel tout est élevé à un rare degré de maîtrise.

Crédit photo : Bob Swain / Picasa

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