Copwatch, les Anonymous… Des antigones modernes ?

Via Internet, ils portent des combats jugés légitimes par certains et dangereux par d’autres. Que faut-il en penser ? Discussion très ouverte…

Question : qu’ont en commun la nébuleuse Copwatch et les Anonymous, outre le fait d’agir essentiellement via Internet ?

Réponse : le fait d’estimer qu’il existe au-dessus d’eux des institutions et des lois injustes contre lesquelles il est légitime de se mobiliser. Ce qui, toute proportion gardée, n’est pas sans rappeler le personnage antique d’Antigone.

Pour ceux qui n’auraient pas lu la pièce de Sophocle, la fille d’Oedipe est confrontée à la mort de ses deux frères qui se sont entretués. Le pouvoir en place considère que l’un d’eux est coupable et l’autre innocent. Il rend hommage au premier en l’enterrant et laisse pourrir le corps de l’autre, au nom de ce qu’on appellerait à présent la cohésion nationale. Un thème qui apparaît encore plus clairement dans la version de Jean Anouilh. Antigone, figure de la désobéissance civile, s’élève contre la décision qui vient d’en haut, en enterrant son second frère, quitte à laisser sa vie dans l’affaire.

Désobéissance civile

Jusqu’à présent, ni les fondateurs de Copwatch ni les Anonymous ne sont allés jusqu’à des actions aussi extrêmes. Mais pour ce qui est de la désobéissance civile, ils ont en revanche des leçons à donner… Pour rappel, Copwatch est une nébuleuse d’associations situées au Canada, en France, aux États-Unis et au Royaume-Uni, dont l’objet est de surveiller la police, afin de dénoncer ses dérapages. En France, le mouvement vient de remettre en ligne un site qui entend montrer, photos et vidéos à l’appui, les abus et les mauvais comportements de certains membres des forces de l’ordre. Le site en question s’était déjà attiré les foudres du ministère de l’Intérieur qui l’avait fait interdire. Le voici donc qui renaît de ses cendres, avec une autre adresse.

Quant aux Anonymous, désormais très médiatiques, ils sont constitués d’une armée de hackers qui s’affirment défenseurs de la liberté d’expression sur Internet, et s’affichent de temps en temps dans le monde réel sous le masque du révolutionnaire anglais Guy Fawkes (popularisé par le film V pour Vendetta). Récemment dans leur collimateur : les mesures prises contre le téléchargement et en particulier la fermeture contrainte du site de partage Megaupload. Les Anonymous s’en sont notamment pris au site du FBI, ainsi qu’au site de la présidence de la République en France, et globalement à ceux qui défendaient la lutte contre le téléchargement. L’Express en a du reste fait les frais au passage

Par le passé, plusieurs entreprises dont les actions avaient été jugées condamnables par les Anonymous ont également vu leur site être la cible d’attaques. Les membres du mouvement ont également mené des campagnes en faveur de la liberté d’expression dans certains pays (Arabie Saoudite, Libye, Syrie…).

Deux cas de figure bien distincts donc, mais que rapproche l’antique position d’Antigone : la défiance à l’égard d’institutions qui n’agiraient pas au service du bien commun, et la nécessité d’une résistance « de la base » face à elles. Quand le mouvement Copwatch justifie son action, il parle notamment d’un État qui exerce une « emprise totalitaire » sur la vie des citoyens. Les Anoymous, eux, se définissent parfois comme une conscience de lutte contre les manipulations de l’esprit. Dans un cas comme dans l’autre, l’ennemi est au-dessus de la masse des citoyens, et il a pour lui une loi injuste. Il est donc légitime de s’y attaquer.

D’autres, en leur temps, avaient tenu des discours justifiant la désobéissance civile, en particulier ceux qui arrachaient les plants d’OGM. A ceci près toutefois que ces nouveaux contestataires ont pour eux l’immense force du net : quelques clics, et vous voici plus nombreux que si vous aviez distribué dix-mille tracts. Avec l’énorme avantage que les institutions vous traquent nettement moins facilement dès lors qu’il y a entre elles et vous un écran et un clavier. On peut d’ailleurs parier que dans un futur proche, nombre de mouvements de contestations suivront cet exemple.

La cause défendue n’est pas toujours légitime

Oui, sauf que… N’est pas Antigone qui veut. Certes, l’Histoire ne se fait pas sans remous populaire, sans combat, sans mobilisation de la base contre le sommet, sans contestation de l’autorité en place. Mais peut-on pour cette raison cautionner les actions des fondateurs de Copwatch et des Anonymous ? Car, disons-le tout net… Les premiers menacent directement la sécurité des policier de terrain, quelles que soient les méthodes et la moralité des policiers en question. Les seconds, à travers leur lutte pour la liberté à-tout-va sur le net, défendent notamment le téléchargement, c’est-à-dire le fait de priver un créateur du produit de son travail.

Justes causes ? Ce n’est pas certain. Si les gouvernants n’ont pas toujours raison, il en va de même pour le peuple. On se souvient aisément des cas où le second a montré la voie au premier. On ignore sans doute beaucoup plus les cas où, à l’inverse, les dirigeants ont su faire preuve de sagesse face à des réactions populaires qui peuvent être passionnées à l’excès ou épidermiques. Qui peut garantir qu’il n’y aurait pas de lynchage public s’il n’y avait pas une institution pour rendre la justice ?

Certes, l’institution peut dans certains cas se radicaliser. Ce qui ne signifie pas qu’elle devient dictatoriale. La loi peut, dans certains cas, être particulièrement répressive. Ce qui ne signifie pas qu’elle est injuste. Un flic qui appréhende un peu trop durement un délinquant mérite-t-il de risquer un passage à tabac ? Un type qui télécharge son 150ème film en un mois est-il une « victime » quand il reçoit une amende ?

L’existence même de ces mouvements est utile

D’un autre côté, force est de reconnaître que sans l’existence même de ces mouvements, le débat ne serait pas porté de la même manière ou aussi efficacement. Le fait de dénoncer le comportement de mauvais flics est AUSSI une bonne action. Le téléchargement permet AUSSI une certaine diffusion de la culture. Exemple (mauvais peut-être…) : l’auteur de cet article a récemment vu « Au revoir les enfants » de Louis Malle, deux heures après avoir eu l’idée de le regarder, et ce grâce au téléchargement. Il est à peu près certain qu’il ne l’aurait pas vu s’il avait dû l’acheter ou même le commander en VOD. Cela justifie-t-il (en partie au moins…) le téléchargement ?

De même, le collègue Ernst a déjà eu affaire à des policiers particulièrement peu sympathiques, arguant qu’ils « brisaient la racaille » et autres considérations du même genre. Est-ce là un langage que l’on peut admettre de la part de ceux qui, même confrontés au crime et souvent à un flagrant manque de respect, doivent néanmoins donner l’exemple ? N’est-ce pas une attitude à dénoncer ?

Qu’on le veuille ou non, l’existence de ces mouvements porte donc certainement une forme d’utilité sociale. Il ne faut pas nécessairement leur souhaiter un succès total et inconditionnel. Mais, même sans être des Antigones modernes, ils jouent un rôle d’alerte sans doute non-négligeable. Et contribuent à rappeler que toute société est perfectible.

Crédit photo : alejandro_cortès / Flickr

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1 réponse à Copwatch, les Anonymous… Des antigones modernes ?

  1. Abelforth dit :

    vous avez raison de faire une mis en garde sur ces mouvements. Cependant, vous n’allez pas assez loin dans votre propos. Les décisions récentes (fermeture de Mégaupload) nous montre encore une fois la suprématie des américains soumis aux influences économiques évidentes. Je pose une simple question : De quel droit le FBI, donc un état, décide de fermer l’accès à un site Internet basé hors de ses frontières et ayant des millions de personnes membres ayant déposées leurs données personnelles ? Le scandale est là ! Personne, aucun soit-disant homme politique dit de gauche ne s’offusque de cela puisque nous sommes nous aussi soumis au lobbyisme de nos compagnies…
    Ah liberté de l’Internet…pas si libre que cela..mais chut big brother nous surveille…

    intéressez-vous au projet  » Megabox » qui avait pour but de rémunérer les artistes grâce à la pub et de concurrencer fortement les majors…coïncidence…projet de Megaupload

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