Retour sur le gala « Hommage à Noureev » du 6 mars 2013 à l’Opéra de Paris.
Le 6 mars 2013 s’est tenu, à l’Opéra Garnier, un gala-hommage à Rudolf Noureev, disparu il y a vingt ans. Quelques impressions.
Voir Le Riche-Pujol danser, et puis mourir
Le clou de la soirée fût le pas de deux de Roméo et Juliette dansé par Nicolas Le Riche et Laetitia Pujol. Nous avions déjà été ébloui par cette dernière dans ce rôle en 2011, et la démonstration du 6 mars vient le confirmer : je n’envisage pas un meilleur choix que Laetitia Pujol dans ce rôle. Elle déborde de fraîcheur et d’allégresse. Tout n’est que générosité dans ses gestes, son visage, son sourire… Quant à Le Riche, le voir danser est toujours un moment exceptionnel. Il est rayonnant, comme protégé par les dieux, dès qu’il apparaît. Et on me dit que cet homme-là prend sa retraite l’an prochain ? On ne le verra donc plus enlever ses partenaires-femmes avec sa fougue légendaire ? Pincez-moi, je rêve, ou plutôt je cauchemarde… Le couple avait d’ailleurs l’air en totale symbiose hier soir, et leur complicité, leur émotion au moment des saluts confirment que, eux aussi, ils attendaient avec impatience ce moment de la soirée. Après tout, c’est peut-être la dernière fois qu’ils avaient la chance d’interpréter ces personnages. Le problème, avec des moments comme ceux-là, c’est que l’on ne pourra jamais assez remercier les artistes de nous les avoir fait vivre. On se sent mesquin à ne faire qu’applaudir. Il faudrait se prosterner, se taire pendant trois jours, prier pour eux, enfin quelque chose de ce genre.
Heymann, le retour
L’autre moment inoubliable a été le retour de Matthias Heymann, après une longue absence consécutive à une blessure de fatigue. On l’a retrouvé aussi bondissant et émouvant que d’habitude. Heymann me semble être un artiste complet, à la fois impressionnant athlétiquement, mais aussi très expressif, plein d’abandon. Il est rare de posséder ces deux dimensions à un tel niveau. Je ne connaissais pas la chorégraphie, mais on peut imaginer que la danser a été pour Heymann un grand plaisir : ce plaisir de l’artiste de pouvoir faire semblant de mourir sur scène. Le danseur était au bord des larmes lors du salut face à un public qui lui a exprimé son plaisir de le revoir.
Agnès Letestu, et une diagonale pour conclure
La dernière partie était constituée d’extraits de l’acte III de La Bayadère. J’ai beaucoup apprécié l’engagement de Stéphane Bullion dans le rôle de Solor : on croyait qu’il venait de danser les deux premiers actes du ballet tant il était dans son rôle. Quant à Agnès Letestu, la reine-mère, elle est venue marquer son territoire par une diagonale de pirouettes finale, dont la fermeté d’exécution toute « le-richienne » a éveillé un tonnerre d’applaudissements. Quelle prestance, quelle autorité !
Quelques mentions
Je noterais également la grâce exquise d’Aurélie Dupont dans La Belle au bois dormant, l’autorité d’Isabelle Ciaravola dans le solo de Raymonda. Et je ne peux m’empêcher de noter que j’adore, par principe, voir Dorothée Gilbert danser (elle incarnait le cygne noir du Lac des Cygnes). Enfin, plus le temps passe, et plus j’apprécie l’enthousiasme de Karl Paquette.
Quelques questions
Quelques questions que l’on peut se poser, toutefois, à l’issue de ce gala Noureev : cela ne va pas être simple pour la nouvelle générations de danseuses étoiles de s’imposer quand on voit la qualité de la génération précédente. Letestu, Dupont, Ciaravola, Gillot, Pujol… Que des caractères assez tranchés. Ai-je tendance à les idéaliser ? Mais il me semble que ces magnifiques danseuses que sont Emilie Cozette, Ludmila Pagliero (admirable dans Don Quichotte) ou encore Myriam Ould-Braham, sont un ton en dessous. Je ne vois que Dorothée Gilbert et Alice Renavand (pas encore étoilée) qui tiennent vraiment le coup face à leurs aînées, et Mathilde Froustey dans une certaine mesure. Chez les hommes, le problème se pose moins, me semble-t-il, grâce aux Heymann, Bullion, Carbone, Chaillet (même si Le Riche restera tout simplement hors-pair)…
Enfin, pour l’anecdote : pourquoi Benjamin Millepied, croisé çà et là dans les couloirs de Garnier, errait-il comme une âme en peine ? Il semblait intimidé d’être là, si ce n’est franchement mécontent, visage fermé.
On peut également se demander en quoi des types aussi peu fréquentables que Michel Rocard et Edouard Balladur avaient droit à leur place en optima. Des types comme eux, rappelons-le, ruinent le pays depuis des dizaines d’années (en particulier Ballamou, l’un des pires premiers ministres de la cinquième république). J’ose espérer qu’ils y sont allés de leur poche. Aurélie Filipetti, ministre de la Culture, était là aussi. Passe encore… D’un autre côté, il faut reconnaître que c’est toujours un plaisir de voir la signifiance de responsables politiques réduite à néant par l’intensité de neuf minutes de Le Riche-Pujol.
Plus généralement, le parterre était en mode troisième-âge, et les applaudissements, durant la première partie, m’ont paru bien ternes – heureusement, quelques coupes de champagne très moyen à quinze euros l’unité les ont réveillés pour la deuxième partie. Réalisent-ils, tous ces gens, ce que seraient prêts à donner des centaines de balletomanes pour être à leur place ? Je l’espère. Tout cela me rappelait une phrase du pianiste Aldo Ciccolini dans une interview récemment donnée au Figaro : « J’ai l’intuition que l’Asie est appelée à devenir le gardien de la culture occidentale. Il suffit de voir le silence religieux qui règne, là-bas dans, les salles de concert. Et le public y est si jeune ! »
(Presque) toutes les vidéos de la soirée sur : http://www.youtube.com/user/Operagot?feature=watch
Photos de la soirée sur le blog à petits pas.
Pour des impressions sur le ballet de l’Opéra de Paris, le blog Danses avec la plume.
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