Les apôtres de Christiane Taubira sont souvent des gens fâchés avec l’Église catholique. Retour d’actu se propose de leur rappeler que toutes les valeurs qu’ils défendent sont éminemment chrétiennes.
Est-il possible de faire la liste de tous les soutiens qu’a reçus Christiane Taubira, depuis qu’elle a été l’objet d’ignobles insultes racistes ? Cette liste s’allonge tous les jours (Virginie Despentes, Yann Moix, Hélène Cixous, Marie Darrieussecq, Christine Angot, le magazine Elle vient à son tour de la nommer « Femme de l’année »…). Certains la proposent même pour être notre prochaine Marianne. Elle succèderait ainsi à Inna Shevchenko, chef des Femen – si toutefois il est possible de succéder à une personnalité de cette envergure.
Se ranger du côté de Taubira, qui vient d’être l’objet d’attaques racistes, est une démarche saine et évidente. Ce qui est troublant, c’est l’emphase qu’emploient certains des plus médiatiques soutiens dans leur éloge. Pourquoi faire de Taubira une sorte de Sainte ? Parce qu’elle a défendu le texte sur le mariage gay, texte qui, à mon sens, était moins prioritaire pour le bon devenir de la France qu’une réforme de la fiscalité ou de l’éducation. Taubira a été soutenue pour une deuxième raison, beaucoup plus décisive puisque les éloges les plus passionnés sont apparus à partir de ce moment : elle a subi des attaques racistes de la part d’une poignée de types.
Je trouve cela un peu court pour mériter des panégyriques tels que :
Yann Moix dans une lettre ouverte : « Je crois bien qu’en d’autres temps, Robert Badinter, ou Simone Veil encore, furent confrontés, de par l’ampleur de leur vision sociétale, de par la force de leurs convictions et la puissance de leur volonté, à la haine provisoire des réactionnaires et des moisis. Vous aurez, non sans humour, permis plus d’avancées en quelques mois à la France, que d’autres pendant quelques décennies. » (En réponse, lire la lettre de Juan Asensio à Yann Moix.)
Hélène Cixous sur France Culture : « Christiane Taubira réunit tout, toutes les qualités, toutes les forces, à commencer par la langue, c’est peut-être dans ce gouvernement la personne dont la langue française est la plus riche, la plus énergique, la plus poétique, pour moi elle ramène la puissance de Césaire dans la politique. (…) C’est une femme qui incarne le devenir libre et juste du monde, elle porte en plus évidemment des lois qui défont les oppositions et les frontières, puisqu’elle est porteuse de ce projet de mariage pour tous. »
Virginie Despentes dans Libération : « Nous pensons que vous feriez une formidable présidente de notre République. Nous attendons que vous vous présentiez, parce que nous pensons que vous êtes capable de prendre le pouvoir sans focaliser sur les quatre ploucs qui sortent des vannes moisies quand ils voient quelqu’un qui n’est pas blanc, ni sur les hétéros attardés qui craignent plus le mariage gay que le Fonds monétaire international. (…) L’extrême droite est en train de faire de vous une figure héroïque, historique. »
Les forces du Bien n’existent que par un « Non »
Je m’arrêterai ici dans les citations, pour bien entendre ce que dit l’excitée Despentes (si un homme parlait des femmes comme elle parle parfois des hommes, il aurait certainement un procès). Qui est en train de faire de Taubira une héroïne ? L’extrême-droite, c’est-à-dire l’Ennemi. Autrement dit, les forces du bien, actuellement, n’existent que par un « Non » lyrique envoyé à la face de l’ennemi. Les forces du bien se font esclaves de ce qu’elles considèrent être le mal. Philippe Muray avait analysé cela à l’époque des manif anti-Le Pen d’avril 2002. C’est une posture infantile, qui consiste à attendre patiemment que le monstre-fantoche sorte de sa caverne pour se mettre à hurler tous en chœur, en se tenant par la main. Le but est de ne s’engager positivement dans rien, rester sur ses gardes, et attaquer quand la voie est libre, quand le risque de se tromper de combat est apparemment nul.
Je trouve quand même dommage que tous ces éditorialistes et pseudo-écrivains n’aient pas cherché à nous faire réaliser plus tôt que nous disposions, dans les rangs du gouvernement, d’un Phare spirituel tel que Christiane Taubira. Il a fallu qu’elle se fasse insulter par quelques abrutis pour que nos bons apôtres daignent prendre leur plume. Ne devrions-nous pas, en toute logique, en venir à remercier ces abrutis d’avoir donné l’occasion à ces grands esprits de faire parler leur talent ?
Jaloux du Christ
Mais approchons-nous de notre thèse principale : les apôtres de Taubira sont des ultra-catholiques qui s’ignorent.
Mes bons amis, réveillez-vous : que vous le vouliez ou non, le souci des victimes, l’accueil de l’étranger, le respect des femmes, c’est le Christ qui l’a apporté au monde. C’est lui qui a parlé à la samaritaine, qui a évité le lynchage de la femme adultère, qui a pris sous son aile une prostituée. C’est lui qui nous a réveillés sur le fait que la victime, sur laquelle tout le monde se défoule, est innocente, en occupant lui-même, volontairement, la place de la victime en tant que fils de Dieu. C’est lui qui a dit, le premier, que l’homme le plus détestable pouvait être sauvé parce qu’il y aura toujours une parcelle de divinité en lui, dans la mesure où Dieu s’est incarné en homme.
Nous sommes sauvés, aux yeux du Christ, si nous reconnaissons la vérité de son message, d’autant plus si nous subissons des persécutions à cause de cette reconnaissance. Les modernes, eux, vont encore plus loin : ils disent qu’il suffit d’être victime pour incarner la vérité. C’est-à-dire qu’ils veulent, idéalement, retirer Jésus Christ de sa croix en prenant à leur compte certains des plus décisifs enseignements des Évangiles (une grande partie de la modernité artistique et intellectuelle est obsédée par le Christ : elle le jalouse, comme Nietzsche qui a, en quelque sorte, lancé le bal). Chez ces modernes, ce n’est qu’une fois que la victime a été identifiée qu’ils lui assignent des qualités exceptionnelles, ce qui n’est qu’une manière de se faire briller, eux, en tant que défenseurs des humiliés. Ainsi Taubira qui se retrouve, en quelque sorte, santo subito.
Chez les modernes, par une étrange ruse de la raison, c’est la violence et la perfidie des attaques qui démontre la valeur de l’offensé. Ce n’est pas le cas dans le christianisme, où c’est la foi en la Résurrection qui fait tenir l’édifice, non pas le nombre de coups de fouet que Jésus a reçus – en quoi le message évangélique est l’inverse du ressentiment qui, lui, se polarise sur les crachats, coups de fouets et humiliations diverses.
L’Église est doublée sur sa gauche
C’est ce que René Girard, et d’autres, ont appelé la tyrannie des victimes : l’Église, dans ses enseignements, est doublée sur sa gauche. C’est-à-dire que les modernes ont tellement soif de justice, comme des bébés ont soif de leur lait, qu’ils reprochent à l’Église d’être encore trop discriminante dans ses enseignements, pas assez chrétienne (et ils n’ont pas totalement tort de lui faire ce reproche). Ils lui reprochent d’être persécutrice, exactement de la même manière qu’ils reprocheraient à leur père d’être trop sévère, alors que par les temps qui courent les pères n’osent presque plus élever la voix. Jésus et son Église font trop d’ombre aux petits « moi » des modernistes, ces frères qui veulent renverser l’autorité du Père, ou pire : faire comme s’ils n’avaient pas de Père. Ils s’opposent, en fait, à l’idée de colonne vertébrale, et c’est cela même, ce refus de toute positivité, qui les condamne à n’adorer que ce qui est attaqué par leurs ennemis. Car est-ce possible d’instaurer une morale sans l’appui du Père ? Peut-être, mais cela reste à prouver. Les Yann Moix and co ne sont absolument pas crédibles de ce point de vue.
Par ailleurs, la frénésie anti-raciste finira par jouer contre son propre intérêt : refuser la moindre autorité, c’est un appel inconscient à une autorité renforcée. Ce qui explique pourquoi votre prose, amis taubiriens, qui se veut lumineuse et au service de la justice, est surtout modelée dans le ressentiment. Car cette prose s’appuie, il faut le répéter, sur l’intervention de ce que vous considérez être le Mal. Mais, amis, cela ne pèse strictement rien à côté de trois lignes d’un apologiste chrétien qui, lui, appuie son discours sur l’idée régénérante et éminemment jouissive de la Résurrection. Le ressentiment se reconnaît justement à ce qu’il ne parvient pas, et c’est son drame, à mettre la beauté, l’espoir et l’amour au commencement de tout. Son carburant, c’est l’enfer, c’est la haine, la merde, la jalousie, ou, le cas échéant, des propos racistes. Autant de choses dont il a désespérément besoin pour exister en s’y opposant.
Vous voulez défendre les victimes ? Allez à la messe
Vous voulez défendre les victimes ? Mais bon sang, allez à la messe ! Engagez-vous au secours catholique. Assumez ce que vous pensez, en fait. Allez au bout. Ou reconnaissez clairement que vous n’avez pas la force de vos convictions universalistes, et que votre première conviction est la suivante : « moi » passe avant le monde entier. Reconnaissez que vous avez une revanche à prendre par rapport à un papa ou une maman qui bouche votre horizon intellectuel et moral. Je parierais bien que Virginies Despentes préfère qu’on parle d’elle ou de ses livres plutôt que du Christ et des Évangiles, idem pour les autres. Défendre les victimes, les cathos sont sur le coup depuis deux mille ans : une légère avance sur vous (ce qui ne veut pas dire qu’ils ont été irréprochables, bien sûr). D’où votre besoin quasi-compulsif d’attaquer, dès que possible, la maison-mère de Rome qui doit regarder tout cela avec un sourire navré, comme un père qui voit ses enfants persister dans des erreurs faciles pour ne pas avoir à plonger dans les remous de l’existence, c’est-à-dire s’employer à corps perdu pour une cause, en se rappelant enfin que le monde ne tourne pas autour de notre nombril.
Ce qui n’est pas du tout votre cas, apôtres taubiriens. Votre prise de risque est quasi-nulle : vous tenez à votre peau. Vous n’êtes pas fous du tout, contrairement à ce que vous voudriez faire croire, mais désespérément prévisibles. Avant de vous extasier sur une personnalité, vous vérifiez bien que cela n’entamera en rien votre popularité. Vous ne prenez aucun risque, jamais, et c’est pourquoi je vous refuse la qualification d’apôtres du Bien : vous êtes, au mieux, des apôtres du Même-Pas-Mal (ou, pour reprendre l’expression de Jean-Claude Michéa, du « moindre mal »).
Il faut avoir abdiqué son « moi » pour se permettre de faire la morale
N’est-ce pas dommage de n’avoir la force d’exprimer son admiration envers une personne qu’à partir du moment où elle n’est devenue rien d’autre que défendable ? Le vrai courage, faut-il vous le rappeler, c’est de prendre la défense de quelqu’un qui ne peut pas se défendre, qui est nu, qui est seul. Quand on lit le J’accuse de Zola, on frissonne d’admiration à chaque ligne. Zola, lui, avait vraiment tout à perdre. Vous ressemblez, à côté, à des gamins qui cherchent à attraper un pompon au manège. C’est à celui qui sera le plus indigné, le plus larmoyant, le plus petitement « humaniste », celui qui fera le plus pleurer, non pas dans les chaumières, mais dans les petits salons parisiens, et des larmes de crocodiles.
Vous ne prenez pas la défense d’un Juif emprisonné à l’île du Diable par un pouvoir corrompu, non ; vous prenez la défense d’une ministre de la Justice attaquée par une poignée de débiles qui n’ont aucun pouvoir. Vous ne donnez pas voix à quelqu’un qui n’a aucun moyen de s’exprimer, non : vous appuyez par vos propos l’une des personnes les plus puissantes de France. Saisissez-vous la légère nuance ?
N’essayez pas, je vous en prie, de nous faire passer des vessies pour des lanternes, ni vos torchons scripturaires pour des tours de force littéraires. Et j’insiste : il est indispensable de prendre la défense d’une victime d’attaques racistes. Mais à la condition que la manière de faire ne trahisse pas une désespérante vanité, un confort intellectuel vraiment écœurant. Vous voulez faire la morale ? Mais c’est très exigeant de faire la morale. Il faut s’être brûlé à l’existence et être revenu de ses blessures, pour se permettre de faire la morale. Il faut, d’une certaine manière, avoir sacrifié son « moi » pour être crédible. C’est mépriser un idéal que de croire qu’on peut se permettre de le défendre, comme ça, à la petite semaine, quand le bruit médiatique nous y invite, en restant tout propre sur soi, en ne risquant pas un ongle.
Zola n’a pas essayé de nous faire passer Dreyfus pour un génie
Quand Zola ou Clemenceau défendent Dreyfus, ils n’ont pas besoin, comme vous, d’essayer de nous faire avaler qu’Alfred Dreyfus est un génie des temps modernes. Ils le défendent au nom d’idéaux qui font battre leur cœur, ils le défendent positivement, sans rancune et sans haine pour ceux qu’ils accusent. Et ils ne se font pas la moindre illusion sur la qualité réelle de la personne de Dreyfus, et ne sont pas là pour attirer les projecteurs sur lui, ce qui reviendrait à les attirer sur eux. Quand vous criez « Vive Taubira ! », chers apôtres, le bon lecteur entend : « Vive Moi ! » Quand on lit J’accuse, on entend : « Vive la vérité », ou « Longue vie à une certaine idée de la France ».
Quels sont les vôtres, d’idéaux, Marie Darrieussecq, Yann Moix, Virginie Despentes ?… Quelle est votre certaine idée de la France ? C’est presque insultant à votre égard de se poser la question… D’où parlez-vous donc ? A quoi voudriez-vous que ressemble le monde de demain ? Je veux dire, au-delà du petit rêve communisant du type « on sera tous frères » ? Nous sommes incapables de le dire en vous lisant, ce qui est quand même problématique. Preuve de ce manque d’assise culturelle : à quelques manies stylistiques près, vos interventions en faveur de Taubira sont interchangeables. Ne sont-ce pas vous, finalement, les bourgeois, c’est-à-dire les confortés ? Ceux qui sont, une fois pour toutes, installés ? Ceux qui risquent le moins de changer d’avis, à l’avenir, ce qui est la marque des bornés ? Mais au vu des applaudissements qui accompagnent vos déclarations qui sont le bégaiement l’une de l’autre, nous comprenons mieux que vous ne voudriez changer d’avis pour rien au monde.
France moixie vs France éternelle
Cette tendance marquée pour l’inanité intellectuelle transparaît particulièrement dans la lettre ouverte de Yann Moix à Christiane Taubira. Un document qui, je l’espère pour la postérité de son auteur, se verra un jour ou l’autre consacré en figurant dans un bêtisier. Notre écrivain y prend en effet à partie l’idéal français, plus récemment gaulliste, de « France éternelle ». Pour Moix, cette France-là n’existe pas, et il en ressent un « grand bonheur ». Je cite son texte : « une France éternelle qui, pour notre grand bonheur, n’eut jamais la moindre réalité et (…) n’existera jamais. »
On se frotte les yeux. Mais, mon pauvre Moix, si Zola et Clemenceau, pour garder le même point de comparaison, ont défendu Dreyfus, c’est précisément parce qu’ils étaient portés par l’idée de France éternelle, d’une France qui se devait, en tant que nation et de par son histoire, de respecter une certaine éthique. Idem pour de Gaulle, Jean Moulin, mille autres qui, sur le plan de l’amplitude de la vision, l’engagement à corps perdu pour une cause qui les dépasse, nous font assez facilement oublier que vous, Yann Moix, êtes un jour né quelque part.
D’autre part, quand on se veut écrivain, comme vous, ne devrait-on pas penser à ceux qui ont donné leur vie, la force de leur esprit, tout au long des siècles, pour cette France éternelle, permettant ainsi à la langue française de traverser le temps ? Même un Céline, que vous croyez pouvoir vous permettre d’évoquer comme une source d’inspiration, mais qui vous aurait certainement conchié en bonne et due forme, a écrit aussi par amour pour la France éternelle, même si en l’occurrence cela ressemblait plus à un désespoir amoureux (je parle du Céline qui s’engage volontairement dans l’armée, de celui qui se désole de l’état de la France après-guerre, de l’amoureux de la langue française). Sans France éternelle, mon pauvre Yann, vous n’existeriez probablement pas et vos livres ne profiteraient pas du privilège finalement indu d’avoir été imprimés.
Je vous invite donc, Yann Moix, dans un souci de probité intellectuelle qui vous ferait honneur, de cesser d’employer la langue française pour écrire vos œuvres. J’ai la faiblesse de croire que ce n’est pas elle qui y perdra le plus.
Nous sommes passés de la France éternelle à la France moisie. Nous en arrivons aujourd’hui à la France moixie. Celle qui se rend esclave de la bassesse raciste au lieu de se faire serviteur de la beauté, de l’éclat de la vérité, de la grandeur. De ce qu’on a appelé la France éternelle, mais qu’on pourrait tout à fait appeler autrement si le terme nous paraît trop pompeux. Même les révolutionnaires de 1789 parlaient de la France comme de la Grande Nation. Tout cela était d’un tout autre souffle que nos humanistes de bac-à-sable, acteurs de premier plan de cette France minable qu’ils croient dénoncer.
Vous n’êtes, en tout et pour tout, que de bons vieux prétendants. Même pas des antéchrists, comme Nietzsche (qui l’a prouvé en s’abandonnant à la damnation, en basculant dans la folie, et il fallait un courage immense pour cela), mais de pauvres caricatures du Christ. Vous rêvez d’être vus comme apôtres de la souffrance du monde. Mais le rôle a déjà été pris, infiniment mieux que vous.
Défendre Taubira, c’est aussi bon pour le moral (et pour la réputation)
Apôtres de Taubira, je vous vous dire un autre secret : il y a des personnes qui sont encore plus dans la détresse que Christiane Taubira. Qui, tous les jours, subissent des attaques racistes, ou autre. Qu’attendez-vous pour les aider ? Il y a du boulot, et vu que vous avez un cœur gros comme ça…
Par exemple, le SDF en bas de chez vous, que vous ignorez probablement du regard, comme tout un chacun, chaque matin et chaque soir, pour n’avoir pas la peine au cœur. Avez-vous, ne serait-ce qu’une seule fois, parlé un quart d’heure avec lui, ou avec un mendiant ? De la même manière, en vous levant le matin, vous demandez-vous : « Aujourd’hui, comment vais-je concrètement rendre le monde meilleur ? » (Je crains que vous ne vous demandiez plutôt : « Comment vais-je rendre le monde meilleur en faisant parler davantage de moi ? ») En tout cas, défendre Taubira depuis sa page Facebook ou en écrivant une tribune dans un grand média de centre-gauche, ne coûte pas grand chose et rapporte beaucoup en termes de réputation sociale. Car, amis taubiriens, auriez-vous écrit vos si pathétiques tribunes si Taubira était de droite ? Probablement pas, cela aurait représenté un risque pour votre réputation d’homme de Bien. Sarkozy, par exemple, avait été insulté. Mais votre inspiration n’en avait pas été déclenchée. Au mieux, vous vous seriez petitement indignés, peut-être d’un tweet, sans plus, puisque partout où il y a des plumes à perdre, on n’aperçoit tout juste que le bout de vos petits nez.
Autre chose qui aurait pu ternir votre réputation ? Par exemple, publier sur Facebook la photo et la biographie détaillée de la femme de ménage noire qui nettoie, tous les soirs, les toilettes de votre lieu de travail, et vide votre corbeille remplie de papiers que vous avez imprimés par flegme d’avoir à les lire sur votre écran. Les exemples de ce genre, il y a en a des milliers, nos vies en sont remplies, et je crois que les éloges larmoyants pseudo-humanistes dont on nous abreuve sont là pour les faire oublier.
Le message du Christ est trop beau à porter pour les Modernes
La défense excessive de Taubira par ces gens, c’est l’arbre « humaniste » qui cache la forêt des milliers de souffrances individuelles à l’égard desquelles ces apôtres de l’égalité et de la liberté, pour la plupart, ne remuent pas leurs petits doigts, trop occupés à jeter sur papier les quelques considérations prédigérées qui constitueront l’armature de leurs prochains écrits.
Ce n’est finalement qu’un manque d’ambition, un manque d’orgueil, qui vous caractérise, apôtres taubiriens. Ce qui est d’ailleurs un admirable effort d’humilité grâce auquel vous mériteriez presque le qualificatif de punaises de sacristie. Le message du Christ, sa fraîcheur malgré deux mille ans écoulés, c’est un honneur trop lourd à porter pour vous, derniers des hommes, et vous le sentez au plus profond de votre chair. Une peur du grand saut, et le contentement de soi dans un monde étriqué, d’un « soi » guidé par la moraline dénoncée par Nietzsche et sevré de cette fameuse bienpensance, qui s’active au franchissement du seuil de l’appartement où vous êtes convié pour porter des toasts à la gauche au pouvoir, au temps qui passe, à la lueur de bougies bobos à l’encens. On a les messes qu’on peut.
La France, un pays raciste dont la ministre de la Justice est noire (cherchez l’erreur)
Et puis, qui connaît Christiane Taubira ? Il y a neuf chances sur dix qu’elle soit ni mieux ni pire qu’un politique habituel. On doit retrouver du Jean-François Copé en Christiane Taubira. Quant au fait de dire que la France est un pays raciste, il suffit de répondre que c’est donc une sacrée performance, pour un pays aussi raciste que le notre, que d’avoir élevé si haut une personne qui a la peau noire. Nous devrions alors nous féliciter de l’efficacité du système français. Chose que je n’ai lue dans aucune des tribunes susdites de ces professionnels de l’indignation sélective.
J’ajouterais que de nombreux autres exemples que la défense acharnée de Christiane Taubira, dans notre société, prouvent que les modernes sont des sortes d’ultra-catholiques qui s’ignorent.
Le culte de la maigreur chez les femmes, par exemple, n’a pas grand chose à envier à certaines pratiques masochistes qu’adoptent ou qu’ont adopté certains religieux. Cultes de la maigreur et de la jeunesse imposés par une institution que l’on pourrait appeler l’institution du Spectacle, légèrement plus influente de nos jours que l’État du Vatican, qui exige des filles maigres pour qu’elles soient considérées comme valables par le marché. Tout cela avance sous couvert d’hédonisme : soi-disant gérer son corps comme on le veut, être désirable, etc. Il n’est pourtant pas besoin d’avoir la hauteur de vue d’une Christiane Taubira pour identifier là un penchant très éloigné de tout hédonisme, mais si proche d’un catholicisme dégénéré, d’un plaisir de se faire souffrir parce que l’on n’arrive jamais à jouir comme on le voudrait de son corps, de sa vie.
La rengaine est pourtant si connue… C’est exactement ce dont les anti-cathos accusent les cathos en permanence : devenir maso parce qu’on n’arrive pas à jouir à fond. Mais les cathos n’y sont pour rien là-dedans : au contraire, ils tentent depuis des siècles de limiter cette souffrance qui touche tous les humains dès leur naissance et qu’ils ont qualifié de péché originel. Mais les modernes confondent visiblement l’action de nommer un mal-être avec celle d’en être à l’origine. Cela explique également la tentation de la « sur-humanité », celle qui serait enfin libérée des contraintes du corps, délivrée du péché originel, etc. Tout cela est de l’ordre du serpent qui se mord la queue, la moindre expérience de l’existence suffit à le prouver. En général, un grand romancier arrive à ce constat (Proust, Céline, Dostoïevski, Flaubert…).
L’Ordre nouveau ne tolère plus que des êtres sur-performants
D’autres exemples de la bigoterie des modernes ? Ils ne sont que trop nombreux ! Le culte du sport, le succès des blockbusters et des séries télé, les passions amoureuses, le désespoir ambiant, que sais-je ?… Et que dire de l’eugénisme à venir ? La sélection des embryons ? Tout cela constitue un immense appel au sacré, au Salut. Il n’y a partout qu’appels vers Dieu qui s’ignorent, qui se dénient eux-mêmes en tant qu’appels à l’aide avant de parvenir à la conscience. L’Ordre nouveau est le suivant : un être sur-performant comme l’exige le Spectacle n’a pas à reconnaître qu’il a besoin d’aide, sinon le marché n’en veut plus. Il n’est plus photogénique. Il n’éveille plus aucun fantasme. Qu’il crève ! Croire en Dieu, c’est aussi ne plus chercher en permanence son reflet dans le regard des autres. Ce qui serait catastrophique pour la croissance économique, puisqu’elle se nourrit presque intégralement des pulsions narcissiques et de la peur d’être soi. Être soi impliquant de ne pas se soucier plus que ça de savoir qui on est.
Lorsque des appels vers Dieu immédiatement refoulés, déniés, sont mis en mots, c’est sous forme de discours peu éloignés des discours paranoïaques : la défense, d’une intensité démesurée, de pseudo-humiliés tels que Christiane Taubira. Et la tendance quasi-obsessionnelle à dire du mal du judéo-christianisme dès qu’on en a l’occasion, alors même que l’institution en elle-même n’a qu’un pouvoir de domination très limité. Ce qui revient, en fait, à agir et penser exactement comme l’institution du Spectacle l’exige.
Finissons avec Saint-Jean Chrysostome
Je finirai (puisque le juge de paix, en toute situation, est de voir quelle quantité d’amour un homme est capable d’exprimer, et avec quel style) sur des extraits d’une homélie de Saint-Jean Chrysostome sur Saint-Paul. Christiane Taubira appelait de ses vœux une « belle et grande voix » : la voici. Foi ou pas foi, ce texte est infiniment plus inspiré et inspirant que les pourléchages cités plus haut (j’ai même un peu honte d’oser les comparer, mais il faut bien rappeler, un jour, preuve à l’appui, aux médiocres qu’ils le sont, puisqu’ils n’ont pas l’air de s’en apercevoir). Quand les soutiens de Christiane Taubira arriveront à porter l’intensité de leur éloge au centième de ce qui est ici atteint (j’aurais pu tout aussi bien citer du Rimbaud), ils feront taire nos ricanements :
« Non, ce n’est pas de cette bouche seulement, mais de ce grand cœur (celui de Saint-Paul) aussi que je voudrais voir la poussière ; on dirait la vérité en appelant ce cœur le cœur de toute la race humaine, la source inépuisable des biens, le principe et l’élément de notre vie. (…) Ce cœur était si large qu’il renfermait des cités tout entières, des peuples, des nations; car, dit-il : «Mon cœur s’est dilaté.» Cependant, ce cœur si large, s’est resserré, bien souvent contracté par cet amour même qui le dilatait : «C’était dans une grande affliction, dit-il, avec un serrement de cœur que je vous écrivais alors.» Je voudrais voir la cendre de ce cœur embrasé d’amour pour chacun des malheureux qui se perdent ; de ce cœur qui ressentait, pour les enfants avortés, toutes les douleurs d’un enfantement nouveau ; de ce cœur qui voit Dieu, car, dit l’Écriture :«Les cœurs purs verront Dieu » ; de ce cœur devenu victime : «C’est une victime pour Dieu, qu’un esprit contrit» ; de ce cœur plus élevé que le plus haut des cieux, plus large que la terre, plus resplendissant que les rayons du soleil, plus ardent que le feu, plus solide que le diamant, de ce cœur qui versait des eaux vives : car, dit l’Écriture : «De son cœur jailliront des fleuves d’eau vive» ; de ce cœur d’où jaillissait une source qui n’arrosait pas seulement la face de la terre, mais les âmes ; d’où ne sortaient pas des fleuves seulement, mais aussi des larmes coulant jour et nuit ; de ce cœur où palpitait la vie nouvelle, non la vie que nous menons : «Et je vis, ou plutôt ce n’est plus moi qui vis, mais c’est Jésus Christ, dit-il, qui vit en moi » ; oui, le cœur de ce grand Paul, table du Saint-Esprit et livre de la grâce, ce cœur qui tremblait pour les péchés des autres. »