La contestation fait rage en Iran, le pouvoir ne cède pas… Premier article d’un dossier consacré au pays persan.
L’Iran s’achemine-t-il vers un scénario catastrophe ? On peut le redouter… La contestation sociale et politique prend chaque jour plus d’ampleur, les manifestations se multiplient à Téhéran et dans les grandes villes, les pays occidentaux pressent le régime du pays persan de revenir sur les douteuses élections présidentielles qui ont confirmées Mahmoud Ahmadinejad dans ses fonctions… Mais malgré le grondement populaire et les avertissements de l’étranger, la République islamique n’a pas choisi la voie du dialogue. Loin s’en faut.
Le régime tente plutôt de museler l’opposition, en particulier les partisans de Mir Hossein Moussavi, perdant officiel des élections, et réprime toutes les formes que peut prendre la contestation. La presse du pays a été durement rappelée à l’ordre : interdiction formelle de parler d’un sujet banni par le ministère de la Culture et de l’Orientation islamique… et notamment de critiquer les résultats des élections présidentielles. Il y a quelques jours, Reporters sans frontières dénonçait l’arrestation de plusieurs blogueurs contrevenants, dont certains seraient actuellement retenus dans des services psychiatriques d’hôpitaux. Les journalistes étrangers risquent quant à eux très gros en couvrant le mouvement de contestation. La plupart ont été expulsés. Dernier exemple en date : celui de Jon Leyne, correspondant permanent de la BBC en Iran, forcé de quitter le pays après avoir été accusé par le pouvoir de « soutenir les émeutiers » (source : Le Monde).
Pas de changement de cap
Téhéran a par ailleurs vertement répliqué aux critiques émises par les pays occidentaux sur les résultats du scrutin et la violence exercée par l’Etat iranien. Mahmoud Ahmadinejad a ainsi dénoncé les « déclarations indignes » des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne, menaçant même explicitement de rompre tout lien avec les trois derniers. Enfin et surtout, le pouvoir en place a Téhéran n’hésite pas à réprimer violemment les manifestations. Depuis le début du mouvement, la police et les forces anti-émeute se sont plusieurs fois attaquées à la foule. Le bilan pourrait s’élever à 150 morts selon des chiffres avancés par la chaîne américaine CNN et repris par Le Monde.
En imposant Ahmadinejad à la présidence et en tenant l’opposition en respect, les conservateurs qui dirigent actuellement le pays persan -et notamment Ali Khameini, Guide suprême de la Révolution- envoient un message très clair à leur population et à l’occident : le cap ne changera pas. Aucune ouverture sociale ou politique n’est à attendre, en particulier en ce qui concerne les droits des femmes. La mainmise des autorités religieuses chiites sur l’ensemble des structures politiques du pays ne sera pas remise en cause. Les autorités avaient d’ailleurs annoncé avant les élections leur intention de faire barrage à tout candidat remettant en cause les préceptes nés de la Révolution islamique de 1979.
De même, aucun changement n’aura lieu en matière de politique étrangère. L’Iran va continuer à s’imposer comme la puissance montante du Golfe, à alimenter le Hamas et le Hezbollah en argent et en armes, et à développer son inquiétant programme nucléaire en ignorant les menaces du reste du monde… Le pouvoir en place à Téhéran a montré sa volonté de résister envers et contre tout. Les manifestants, partisans de Moussavi et autres, pourraient en payer le prix fort dans les jours à venir.
Le risque d’une guerre civile
En jouant la carte de la répression totale et du populisme -les conservateurs espèrent séduire grâce au thème de la réaffirmation nationale sur la scène régionale et mondiale- le régime prend pourtant un risque énorme : celui de faire face à une révolte de grande ampleur. Car la contestation iranienne n’est pas seulement née d’une énième élection truquée. Elle s’enracine dans un contexte économique et social plus large.
La grande majorité de la population ne profite pas des revenus tirés de la vente de pétrole et de gaz naturel. Paradoxe : incapable de distiller lui-même son or noir, le pays doit importer son essence. Les pénuries régulières provoquent d’interminables files d’attente devant les stations services. Par ailleurs, frappée par les sanctions économiques et gérée au rythme de plans gouvernementaux inefficaces, l’économie iranienne se trouve tirée vers le bas par le chômage et l’inflation. Une situation qui prive notamment de nombreux jeunes de perspectives d’avenir.
Les autorités iraniennes doivent également composer avec l’émergence d’une classe moyenne, de plus en plus urbaine… et dont une grande partie, laïque, ressent les interdits religieux comme une intrusion dans la vie privée. De surcroît, depuis la révolution de 1979, les Iraniens ont été de plus en plus nombreux à se rendre à l’étranger pour leurs études… ce qui favorise l’apparition d’un regard plus critique sur le pouvoir en place.
Enfin, l’affirmation de la culture iranienne, attestée par des succès littéraires et cinématographiques récents, à l’instar du Persepolis de Marjanne Satrapi, est de moins en moins compatible avec le cadre religieux qui régente le quotidien des Iraniens. En bloquant méthodiquement toute réforme politique et sociale, le pouvoir joue donc avec le feu. Et crée de toutes pièces les motivations d’une contestation qui pourrait dégénérer en révolte, voire en guerre civile.
Pour en savoir plus :
Le fonctionnement du système politique iranien sur Euronews
L’utilisation du Web par les opposants sur le Figaro
Des précisions sur Mir Hossein Moussavi sur Libération
L’avis d’un fondateur des Gardiens de la révolution en Iran sur le Monde
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