Le 9 juillet dernier, le danseur Nicolas Le Riche a fêté son départ de l’Opéra de Paris. Une soirée empreinte de gratitude et de générosité. Et un nouveau commencement.
S’il y avait une image à retenir des adieux de Nicolas Le Riche, le 9 juillet 2014, cela pourrait être celle de ce danseur chevronné à l’âge de la retraite (42 ans) qui danse son dernier Boléro de Béjart en souriant. De manière furtive, un sourire est en effet venu éclairer, à plusieurs reprises, le visage de cet homme, alors qu’il dansait cette œuvre difficile qui lui va si bien (la vidéo est accessible ici).
Quel magnifique culot, en quelque sorte, que de sourire pour ses « adieux ». De sourire en accomplissant, sur cette scène de l’opéra Garnier qu’il fréquente depuis trente ans, sa dernière performance artistique en tant que membre de la troupe. Ces derniers gestes du Boléro auraient pu être empreints d’une certaine mélancolie. Ils signent au contraire une sorte de renaissance. Ce sourire de Le Riche, ce soir-là, m’a fait penser à celui de Charlot à la fin des Lumières de la ville de Chaplin : c’est le sourire de celui qui a toujours donné sans compter. Le Riche sait probablement qu’il est déjà sauvé et qu’il peut avoir toute confiance en l’avenir, lui qui consacre sa vie à servir la beauté. Que pèse le mot « retraite » à côté de ce que Nicolas Le Riche a à donner ? Que pèse le chiffre quarante-deux ? Que pèsent, même, trente ans passés au ballet de l’opéra de Paris ? Tout cela pèse moins qu’un sourire comme celui-là, un sourire de pur présent, de pure jouissance d’être en dansant.
Nicolas Le Riche n’a pas été bloqué par la fatigue, le manque d’envie, le dégoût, l’égo-manie, mais par une règle un peu bête, celle qui veut qu’un danseur de 42 ans, à l’opéra de Paris, prenne sa retraite. La joie qui a émané de sa soirée d’adieux est un joli pied-de-nez à cette règle un brin désuète.
En souriant à la fin de son dernier Boléro, quels messages Le Riche laisse échapper ? Qu’il aime au delà de tout partager son amour pour son art ; au delà, notamment, de sa situation personnelle. Mais il laisse aussi entendre, poliment, que si l’opéra l’a énormément nourri, il se sent aujourd’hui en mesure de voler de ses propres ailes et de tirer parti, sur le plan artistique, de sa « mise à la retraite ». Il sait que son public l’attend. Dans ce sourire, Le Riche a montré qu’il était lui-même plus « grand » que l’opéra de Paris. Pas « plus grand » dans un sens individualiste, ce qui n’aurait aucun sens, mais plus grand dans la mesure où ses attentes, sa curiosité, son envie d’aimer et de partager dépassent le cadre de l’institution.
Nicolas Le Riche n’a donc fait aucun adieu, comme nous pouvions nous y attendre. Il a eu, par là-même, cette politesse exquise de nous éviter d’avoir à pleurer amèrement, ce à quoi nous aurions été condamnés s’il avait décidé d’arrêter une fois pour toute de danser. Notre bonheur, c’est que Le Riche veut à présent rendre tout ce qu’il a appris, et plus encore. Nous aurons donc, spectateurs, – et c’est l’essentiel – de nombreuses autres occasions de le remercier.