Depuis quelques mois, le personnage de Jacques Chirac fait étalage de sa dimension comique. Enfin, il se laisse aller. Son je-m’en-foutisme actuel apporte une jolie pointe d’absurdité à notre si terne vie politique française.
On savait que Chirac n’était pas vraiment de droite. A l’occasion de ses vieux jours, il semble même qu’il se dirige carrément vers le parti des je-m’en-foutiste. Ceux pour qui rien n’a importance, ni Dieu ni maître , et bonsoir.
En effet, selon Le Monde (10/09/2011), quand on lui rappelle sa « longue et belle carrière », sa réaction ne varie pas : « Je m’en fous ! ». Il s’en fout du « Non » à la guerre en Irak, il s’en fout du deuxième tour de l’élection de 2002, il s’en fout du « Non » au projet de constitution européenne en 2005. D’après le Canard enchaîné, quand il s’emmerde au théâtre, il le fait savoir à toute la salle (« Qu’est-ce qu’on s’emmerde ici ! »). Quand on lui tend un micro un an avant une élection présidentielle, il affirme qu’il « votera Hollande ».
Un Jacques Chirac tendance Groucho-Marxiste
Il y a, dans ces saillies chiraquiennes, un petit quelque chose de Groucho Marx. Ou du moins l’esprit d’un personnage à la Louis de Funès, un vieux roublard jouant de son vieil âge pour semer la merde partout où il va. Profitant de son statut de légende vivante de la droite pour se permettre tous les débordements. Enfin, Chirac, après 50 ans d’infâme langue de bois, de discours plus lénifiants les uns que les autres, enfin il opte pour le verbe franc et clair, dit tout haut ce qu’il s’était habitué à penser tout bas.
Et qu’est-ce qu’il est drôle de voir, derrière lui, la meute de « l’entourage », ces pauvres tristes cires qui croient encore à l’ambition, en train de paniquer : « Chirac n’a plus de filtre ! Il dit ce qui lui passe par la tête ! Empêchons-le de s’exprimer, cachons-le ! » Quelle tristesse que cette sphère politique, quelle misère humaine, où dès qu’un type va se mettre à dire ce qu’il pense, les foudres de ses « partisans » s’abattent sur lui !…
Monsieur Chirac, s’il vous plaît, un mot sur votre entourage ? « Qu’est-ce qu’ils m’emmerdent ! » Sobre, franc, direct. Le nouveau Chi-chi ne fait plus de chichis. Franchement, Gad Elmaleh et toute la clique peuvent aller se rhabiller, on a trouvé plus profondément comique.
« J’ai fait des conneries pendant trente ans, et aujourd’hui je suis président »
Mais que veux nous dire Chirac lorsqu’il s’exprime ainsi, sans filtres ? Qu’a-t-il découvert pour ne pas retenir son verbe ? Certainement qu’il faut relativiser énormément la vie politique, l’ambition politique, l’exercice du pouvoir. Ah, toutes les fois où il s’est dit, au fond de lui, que cette vie politique dont il était la figure de proue n’était qu’une vaste mascarade. Mais il ne le disait qu’en privé. Il avait par exemple blagué ainsi avec Moscovici, quand celui-ci avait commis une bourde en tant que ministre : « Vous avez fait une connerie, mais c’est pas très grave. Des conneries, ça fait trente ans que j’en fait, et aujourd’hui, regardez, je suis président de la République. »
Voilà certainement les messages que Chirac fait passer à travers ses récentes provocations : au fond, tout le monde se fout de tout ; ce qui intéresse les gens, ce sont leurs propres ambitions personnelles. Celles-ci gavées, le sort des Français n’intéressent plus grand monde. Gauche, droite, pareil. Aussi chiant. La seule chose d’à peu près agréable dans cette foutue existence, c’est de mater les nanas en coulant quelques cocktails à Saint-Trop’. Je ne suis plus président ? Je suis le délaissé qu’on dit gâteux ? Je suis le petit caniche protégé de ma vieillesse par ma femme Bernadette ? Eh bien allez vous faire foutre, je dis tout, je défiltre, je ventile. Qu’est-ce qu’on s’emmerde ici. Je m’en fous. Je voterai pour le parti opposé au mien. Rien n’est important, puisqu’on est finalement oublié, puisqu’on perd la mémoire, qu’on ne peut plus se déplacer, et qu’en plus on crève à la fin. Allez au diable, mes meilleurs vœux en passant.
Chirac est peut-être en train de dédire tous les discours pompeux qu’il a pu prononcer. Il se dégage, s’échappe, se déleste.
Un bon président est un président chiant
Bien sûr, c’est du fond d’un certain désespoir que Chirac en est là. Le Monde précise qu’il a connu, ces derniers temps, des épisodes dépressifs et anorexiques. Mais on a du mal à imaginer qu’il ne soit pas en train, d’une certaine manière, de s’amuser follement, comme un gamin. Il a le désespoir de la lucidité.
Il se le permet, bien évidemment, parce qu’il n’est plus président. Comme on sait, pour être président, en France, il faut être chiant. Grave. Digne. Responsable. A la hauteur des souffrances des Français. C’est-à-dire qu’il faut être très moral, c’est-à-dire énormément menteur, et ça, il a su le faire. François Hollande a aussi compris qu’il fallait éviter l’humour, toujours peu prisé par les obsédés de l’égalité (une partie non-négligeable de l’électorat français), lui qui se retient depuis plusieurs mois de faire des blagues, alors qu’il était le spécialiste des bons mots.
Une discipline que le chien fou Chirac a suivie toute sa vie. Jusqu’à aujourd’hui, où il n’hésite plus à se foutre publiquement du monde. Et n’est-ce pas là une très bonne définition d’un homme libre ?
Crédit photo : rudenoon / Flickr
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