C’est presque une obsession : à chaque élection présidentielle, la « République irréprochable » revient sous une forme ou une autre…
En 2007, c’était la « République irréprochable ». Aujourd’hui, « l’honnêteté » est de mise. Chaque candidat, généralement de l’opposition, donne dans « l’exemplarité » et la dénonciation du « système » en place. Garantissant qu’avec lui, c’est promis, tout sera parfaitement transparent. Une République « vie-en-rose » comme on peut la raconter dans les livres destinés aux enfants à l’école primaire.
A quelques mois de conquérir l’Élysée, les socialistes n’échappent évidemment pas à la tendance en dénonçant le « clan » sarkozyste. Cinq ans en arrière, leur adversaire s’était livré au même exercice, peut-être un peu plus subtilement, en nommant des personnalités de gauche au gouvernement. Comprenez : voyez quel démocrate je suis, je vais jusqu’à garder de la place à mes opposants d’hier…
Le plus surprenant est que la rhétorique de l’attitude irréprochable fonctionne encore, alors même qu’elle se conjugue très souvent au futur et presque jamais au présent. Nicolas Sarkozy, qui s’apprête très certainement à briguer un second mandat, voit sa majorité empêtrée dans les affaires Bettencourt et Karachi. Ses prédécesseurs ont été très récemment confrontés aux révélations du « porteur de valise » Robert Bourgi. Quant aux socialistes, ils ont sur les bras les frasques de Dominique Strauss-Kahn et celles de Jean-Noël Guérini.
Morale et politique inconciliables
Et encore ne parle-t-on pas de ces affaires qui peuvent frapper d’autres niveaux de l’administration, comme celle qui touche en ce moment le commissaire lyonnais Michel Neyret, ni d’épisodes politiques sulfureux des temps passés : le Rainbow Warrior, les écoutes téléphoniques mitterrandiennes, les emplois fictifs de la mairie de Paris… Comme tant d’autres promesses, celle de l’honnêteté n’engage bien souvent que ceux qui la croient.
C’est que, comme l’expliquent certains philosophes, morale et politique ne font pas bon ménage. Selon Machiavel, elles sont même rigoureusement inconciliables. Dans Le Prince, il explique que la politique est l’art de conquérir le pouvoir, puis de le conserver. « Un prince bien avisé ne doit point accomplir sa promesse lorsque cet accomplissement lui serait nuisible, et que les raisons qui l’ont déterminé à promettre n’existent plus » explique-t-il. On ne saurait faire plus clair. L’honnêteté en politique apparaît finalement comme une valeur secondaire, un trait que l’on met en avant pour séduire ou convaincre, mais jamais comme un élément à la base d’une politique.
Les réalistes du vingtième siècle ont développé le même argumentaire, mettant notamment en avant le fait que la politique menée par les États au niveau international dépasse de beaucoup les promesses faites « en interne ».
Le poids du réalisme
Du reste, point n’est besoin d’aller jusqu’aux philosophes et aux analystes politiques pour comprendre que des dirigeants ne peuvent pas agir seulement en fonction de considérations morales. Certains auteurs actuels excellent dans le genre. Ainsi, dans les romans de René Barjavel, qui décrit minutieusement des sociétés très avancées, il est bien rare que celles-ci ne s’écroulent pas malgré tout, du seul fait du caractère humain. Le regroupement des individus nécessite et justifie tôt ou tard le contrôle.
Ce que montre très bien Stephen King dans son roman Le Fléau, qui sort actuellement en bandes dessinées : les bâtisseurs de société sont généralement animés des meilleures intentions du monde. Oui mais… Qu’arrive-t-il quand se croisent les perspectives de la liberté individuelle et de la sécurité collective ? Qu’arrive-t-il quand la « machine pouvoir » se met très légitimement en place et se voit obligée de distribuer les postes importants ? Rien de bon, assurément, pour l’idéal démocratique qui place l’honnêteté et la transparence au dessus de toute autre considération.
A la fin du roman, les plus idéalistes quittent la scène. A peu près au moment où leur nouvelle société se met à en croiser d’autres, et où l’on s’interroge sur l’opportunité d’aller voir ce qui s’y passe en envoyant des espions.
Aussi ne faut-il sans doute pas espérer une République plus « droite » à la suite d’un changement de majorité. Même si elle peut s’extraire des affaires, ce qui est tout de même souhaitable, la Res Publica (chose publique) gardera ses secrets et ses lieux d’ombre.
Crédit Photo : Guillaume Paumier / Flickr
D’autres points de vue sur Retour d’actu, en particulier un regard sur la sécurité pour tous, qui n’est pas la liberté de chacun.