Sur Le Chemin de l’école, documentaire de Pascal Plisson, est un hommage bouleversant à la vie simple, à l’entraide, la camaraderie, l’apprentissage et la vie en communauté.
Vous avez certainement entendu, quand vous étiez enfants et que votre assiette de haricots verts n’était pas encore vide, cette fameuse phrase : « Pense aux petits Africains qui n’ont rien à manger ! » Ou à cette autre quand vous soupiriez en faisant votre cartable le dimanche soir : « Pense à ceux qui n’ont pas la chance d’aller à l’école !» Fille de profs, moi-même prof, je l’ai entendue, cette phrase, et je l’ai prononcée. Mais pour la première fois, à 28 ans, je viens de réaliser ce qu’elle voulait dire et je le dois au documentaire Sur Le Chemin de l’école de Pascal Plisson.
Ce documentaire suit, pendant une journée, cinq enfants allant à l’école, de nos jours. Où vivent-ils ? Dans des lieux désertiques et pauvres : Carlos et Micalea vivent sur les plateaux de Patagonie en Argentine, Samuel et ses deux frères en Inde, Jackson et sa sœur Salomé au fin fond de la savane kényane, Zahira dans les montagnes du Haut-Atlas au Maroc. Chacun d’entre eux a la chance d’aller à l’école. Mais à quel prix ! Au prix de 15 kilomètres à pied à travers la brousse pour Jackson et sa sœur Salomé, 22 kilomètres pour Zahira et ses amies dans les montagnes, 18 kilomètres à cheval dans la lande pour Carlos et sa sœur Micalea. Enfin, Samuel, jeune paraplégique, est tiré et poussé sur son fauteuil roulant par ses deux frères sur 4 kilomètres de chemins terreux, parsemés de ruisseaux. Pourquoi va-t-il à l’école ? Un jour, il veut devenir médecin et soigner les enfants paralysés comme lui. Précisons que ces enfants ont entre 8 et 12 ans ; ils ont tous conscience de la chance qu’ils ont d’aller à l’école et prennent volontiers la route.
Mais l’originalité du film Sur Le Chemin de l’école, c’est qu’il insiste davantage sur le trajet pour aller à l’école que sur la vie à l’école. Comme si le trajet comptait autant, voire plus, que l’objectif final. Quelle belle idée d’être allé à la rencontre de ces enfants-marcheurs pour montrer que le véritable apprentissage se fait tout au long de la marche ! Et c’est là que le spectateur réalise ce que voulait dire la phrase : « Pense à tous ceux qui n’ont pas la chance d’aller à l’école. » L’important n’est peut-être pas l’école, c’est de s’y rendre. Une fois qu’on a envie, l’essentiel est fait, l’apprentissage coule de source. N’entrez point sans désir !
Et c’est là seule leçon de l’école, et plus largement de tout apprentissage : on n’apprend que d’un effort, d’un cheminement, avec d’autres, au sein d’une communauté d’âmes. A contrario, on n’apprend rien en consultant son smartphone. Rimbaud a écrit : « Je suis un piéton, rien de plus. » Sur Le Chemin de l’école nous rappelle que c’est déjà immensément beau de n’être « rien de plus » qu’un piéton.
De l’importance des rituels
Avant d’aller à l’école, Jackson lave son uniforme dans un trou qu’il creuse et remplit deux bidons d’eau. Un pour lui, l’autre pour sa sœur. Carlos se coiffe méticuleusement ; Zahira et ses amies enfilent leur blouse avant de rentrer en classe et Samuel, toujours avec l’aide de ses deux frères, sa chemise. Ils sont beaux.
Que faut-il dire à nos élèves français qui viennent en classe la casquette vissée sur la tête, les écouteurs pendant au dessous des oreilles, en jean délavés (délavés grâce au travail obscur, sous-payé, de travailleurs de pays pauvres, pourquoi pas la mère de l’un des personnages du film ?), troués, avec le string ou le caleçon bien mis en valeur par la coupe taille basse ? Est-il encore possible de leur faire comprendre qu’à force d’être obsédés par leur apparence, ils sont en train de passer à côté de leur existence ? Ils ne se préparent pas pour apprendre, ils se préparent pour parader. Il n’y a rien à tirer d’un être qui ne pense qu’à parader. Il faut savoir gré à ce film de nous le rappeler, puisque plus personne n’ose le dire aujourd’hui par peur d’être traité de ringard.
De l’importance de la sphère familiale
Les grands absents de nos sociétés occidentales, les parents, sont omniprésents dans la vie de ces enfants, et exigeants avec eux. La famille entoure l’enfant et l’encourage avant le départ. Les magnifiques scènes de repas où la famille se rassemble simplement autour du couscous, de la viande argentine, du riz. Les parents qui ne prennent plus le temps de dîner avec leurs enfants devraient aller voir, avec eux, Sur Le Chemin de l’école. En arrivant à l’école, le premier geste de ces cinq enfants est de hisser le drapeau national et de chanter l’hymne, en chœur avec tous les élèves. Le petit Jackson doit hisser les couleurs et ne pas arriver en retard ! Les éléphants qu’il rencontre sur sa route ne lui feront pas obstacle.
Devant tant de bon sens de la part de gens qui construisent leur existence sur une culture simple mais solide, que répondre à notre Éducation Nationale qui nous demande à présent de faire des cours de morale laïque ? Que répondre aux gens qui font un drame dès qu’un drapeau français est un peu trop voyant ? Et ne parlons pas de chanter l’hymne national… L’homme moderne peut mesurer l’étendue de sa détresse spirituelle à l’aune de la simplicité pour ainsi dire biblique du propos de ce film.
De l’importance de la religion
Dans chaque famille, le père bénit son enfant, prie avec lui avant le départ et lui confie un porte-bonheur pour le protéger sur la route. Les enfants prient aussi en route : Micalea et Carlos vont jusqu’à descendre de cheval pour prier près d’une statuette. Les enseignants aussi remercient Dieu car le chemin s’est bien passé pour les écoliers. Et moi, professeur de français, je repense à cet inspecteur de l’Éducation nationale qui, dans une école privée catholique, au moment de l’entretien après une heure passée à observer un cours, n’a eu qu’une seule question à poser : « Pourquoi y a-t-il une croix au-dessus de la porte ? » Le pauvre homme !
De l’importance de la marche à pieds
De l’importance du temps de la marche à pieds pour se rendre à l’école, ou même n’importe où. Saint-Exupéry, dans Le Petit Prince, l’avait formulé ainsi. Le petit prince rencontre un scientifique qui lui vante les mérites d’une pilule permettant de ne plus avoir besoin de boire durant une semaine. « On gagnera cinquante-trois minutes par semaine ! », se félicite-t-il. Et le petit prince lui répond : « Moi, si j’avais cinquante-trois minutes à dépenser, je marcherais tout doucement vers une fontaine… » Le drame de l’homme moderne : il a oublié qu’un jour, il avait appris à marcher.
Le miracle de ce film, c’est ça : ces gamins de douze ans nous font la leçon, à nous, pseudo-adultes. C’est nous qui avons à apprendre d’eux. Nous sommes devenus plus mous et inconséquents que des gosses qui ont la bêtise d’aimer aller à l’école, voilà tout.
De l’importance d’avoir peur
A l’heure où nous ne jurons que par la sécurité, que penser de ces parents qui laissent partir leurs enfants dans la nature pour deux heures de route ? Quelle irresponsabilité ! Que fait Manuel Valls ? Ces parents savent que leurs enfants auront peur mais que cette peur est constructive et renforcera les liens dans la fratrie.
Jackson, sentant le danger des éléphants approcher, dit à sa sœur : « Si j’étais seul, j’aurais peur » ; Micalea s’accroche au sweat de son frère quand le cheval qui les porte descend une pente très escarpée ; les frères de Samuel n’ont de cesse de rassurer Jackson lorsque son fauteuil se retrouve coincé au milieu d’un ruisseau ; Zahira rassure son amie Noura qui a très mal aux pieds. Bravo à la caméra qui a réussi à capter ces instants de fragilité et qui nous rappelle que la peur fait partie de l’éducation pour former à l’entraide. A l’heure où chacun est enfermé dans sa bulle informatique, où dans le métro chacun se concentre sur son téléphone pour jouer à des jeux ineptes, que penser de ces regards, de ces mains tendues vers l’autre, des gens qui en route vont aider ces enfants ?
De l’importance de la volonté
A la fin du film, chaque enfant expose son souhait pour « quand il sera grand ». Jackson rêve de devenir pilote pour voir la nature depuis le ciel, Micalea veut être institutrice, Carlos vétérinaire, Samuel médecin et Zahira sensibiliser les familles à envoyer leurs filles à l’école. Des rêves impossibles à réaliser ? Pas plus que ceux de mes lycéens qui veulent faire médecine comme papa. Tous ces enfants sont déterminés à réussir et peu importe la longueur du chemin. On comprend ainsi qu’insister à ce point sur les conditions sociales, comme nous le faisons en occident, pour expliquer les réussites et les échecs, est en partie un leurre. Le tout, c’est le ciment culturel qui nous unit et nous renforce, et nous permet d’aller au bout de nous-mêmes. Mais en s’exprimant ainsi, aujourd’hui, on a l’impression de parler chinois.
A aucun moment ces gamins ne renoncent à marcher : la rivière, les éléphants, les girafes, la cheville fragile, la pierre dans le sabot ne les arrêteront pas. Ils marchent avec détermination sans qu’arrêter d’avancer soit une option. A l’heure où «être posé» dans un «lieu sympa» est l’objectif ultime des bipèdes de par nos contrées, que penser de la passion de ces enfants ? Sont-ils fous ? Ou sommes-nous devenus des guignols ?
Alors oui, ce film m’a permis de comprendre ce que signifiait la phrase : « Pense à ceux qui n’ont pas la chance d’aller à l’école. » Mais je pourrais tourner la phrase ainsi : « Pense à ceux qui n’ont pas conscience de la chance qu’ils ont d’aller à l’école. »
Voir la bande-annonce du film en cliquant ici.