Les documents révélés par Wikileaks sont bien embarrassants pour les dirigeants du monde. Mais surtout, ils tendent à prouver que les relations internationales fonctionnent selon les froids postulats du réalisme… et au détriment des peuples.
A qui le tour ? C’est sans doute la question que se pose une grande partie des dirigeants du monde depuis le 28 novembre dernier, date à laquelle le site Wikileaks a mis en ligne plus de 240 000 télégrammes de la diplomatie américaine. Car la correspondance est croustillante. Mahmmoud Ahmadinejad est comparé à Hitler, Angela Merkel « craint le risque et fait rarement preuve d’imagination », Nicolas Sarkozy est « très susceptible et autoritaire », Benyamin Netanyahou « ne tient jamais ses promesses »… sans même parler de ce que les diplomates américains pensent de Silvio Berlusconi ou de Vladimir Poutine.
Depuis peu, le Vatican est également dans la ligne de mire de Wikileaks. Le pape serait « coupé du monde » et réfractaire aux nouvelles technologies, comme le rapporte le site d’Europe 1. Autant d’affirmations bien embarrassantes , qui ont contraint Barack Obama lui-même à fustiger les agissements de Wikileaks et à ménager ses alliés par téléphone, en particulier la Turquie (voir l’article du Monde.fr à ce sujet). Pour autant, ce n’est pas ceci qui porte le plus préjudice aux leaders mondiaux. On survit parfaitement, y compris politiquement, à la réputation d’être craintif, imbécile ou autoritaire.
Mais en dévoilant au grand jour la manière d’agir des États, et en menaçant de recommencer, Wikileaks a sonné un « bas-les-masques » général. Ces communications diplomatiques constituent l’affirmation criante que le monde politique international est éloigné des discours et des idéologies. Il fonctionnerait plutôt selon le plus froid des réalismes, tel que nous l’enseignent des chercheurs comme Hans Morgenthau, Raymond Aron ou Kenneth Waltz. Les postulats qu’ils ont énoncés se vérifient de manière frappante…
– 1/ La raison et les intérêts de l’État priment sur toute autre considération. Et tant pis pour les droits de l’homme. Selon Wikileaks, la diplomatie américaine a ainsi demandé à l’Allemagne de ne pas inculper des agents de la CIA ayant torturé pendant des mois un ressortissant allemand en Afghanistan, lequel avait été confondu avec un homonyme.
– 2/ Les alliances se font et se défont selon les circonstances dans un monde anarchique. On en a la preuve évidente avec ce curieux regroupement anti-Iran, qui intègre les États-Unis, Israël… et des pays arabes comme l’Égypte, jadis ennemi farouche de l’État hébreux.
– 3/ Un Etat recherche à maximiser sa propre puissance au détriment des autres… ce qui se fait par la guerre, le commerce, ou d’autres moyens. Un télégramme de Wikileaks nous apprend que la Chine aurait mené il y a peu une campagne coordonnée de sabotage informatique ciblant les États-Unis et leurs alliés occidentaux.
– 4/ Un Etat n’hésite pas à mentir devant ses citoyens en ce qui concerne ses activités internationales. De fait, le Yémen aurait autorisé les États-Unis à bombarder des camps d’Al Qaida sur son territoire en 2009 tout en faisant passer ces opérations pour les siennes.
Vision hobbésienne du monde
Tout cela, bien sûr, ne fait guère l’affaire des grands de ce monde. Le roi Abdallah d’Arabie Saoudite aurait sans doute souhaité que ses demandes répétées aux États-Unis de bombarder les installations nucléaires de l’Iran restent discrètes. De même, on imagine que les Etats-Unis de Barack Obama -et non plus ceux de George Bush- auraient préféré qu’on ne sache rien de la demande d’Hillary Clinton d’obtenir des informations personnelles sur le Secrétaire général des Nations Unies, Ban-Ki Moon, et sur d’autres dirigeants de l’ONU.
Enfin, Nicolas Sarkozy se serait certainement fort bien passé de la révélation concernant la libération de Clothilde Reiss. Révélation selon laquelle la Syrie, encensée par le pouvoir pour son implication dans la dite-libération, n’aurait rien fait du tout.
L’ensemble de ces télégrammes montre la vision monstrueusement hobbésienne que les dirigeants ont des relations internationales. Pire : cela révèle une forme de double jeu constant de leur part : un visage pour les affaires du monde et un autre, de circonstance, pour leurs concitoyens. Lesquels n’ont évidemment pas vraiment matière à être rassurés : Wikileaks tend à confirmer que l’avenir du monde se décide dans des cabinets noirs auxquels les peuples n’ont pas accès. Le contexte a changé depuis la Guerre froide, ou le pacte germano-soviétique de 1939, mais le machiavélisme demeure visiblement d’actualité.
A cet égard, il n’est donc guère étonnant que l’ensemble des dirigeants du monde s’élève unanimement contre les publications « irresponsables » de Wikileaks et tente d’en interdire l’hébergement sur leurs territoires. Question de crédibilité devant les populations… Jeter trop régulièrement la lumière sur ce qui se passe en coulisse pourrait à terme se révéler dévastateur. « Une société transparente est une société totalitaire » a dénoncé François Baroin, pour justifier la position du gouvernement français sur la question. Curieusement, cela rappelle une affiche placardée par les étudiants en mai 68 : on y voyait la silhouette de de Gaulle, caressant l’hexagone d’une main. Avec ce slogan : « Votez toujours, je ferai le reste ».
Crédit photo Wikileaks : jabka / Flickr
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