Critique ciné : Tintin, le pari réussi de Spielberg

Le célébrissime reporter de Hergé est de retour à l’écran. En animation numérique s’il vous plaît… Une réussite.

Ne boudons pas notre plaisir. Ne crachons pas dans la soupe, ni encore moins dans le Whisky si prisé du capitaine Haddock.

On aimerait bien sûr pouvoir se gausser, affirmer haut et fort que si les Ricains savent faire beaucoup de choses en matière de cinéma, transposer le célébrissime personnage de Hergé à l’écran est hors de leur portée. Mais manque de pot, ça aussi, ils savent le faire. En tout cas quand il s’agit de Spielberg, qui parvient à donner une vie numérique à Tintin, notre héros (presque) national.

Sortie ce mercredi 26 octobre dans les salles françaises, cette adaptation du Secret de la Licorne -probablement l’un des meilleurs albums- est pourtant pourfendue par quelques critiques. Notamment Bruno Podalydès, dans Le Monde, qui reproche à Spielberg d’avoir fait du reporter à la houppette un héros trop érudit et conservant chez lui les coupures de presse de ses propres aventures. C’est quand même vraiment chercher la petite bête… Car précisément, Spielberg a gardé ce Tintin-là suffisamment intact pour plaire aux inconditionnels tout en lui insufflant une salvatrice dose de modernité.

Fidèle à la BD…

L’intrépide baroudeur est naturellement toujours accompagné de son fidèle Milou, lequel ne joue pas seulement un rôle de figuration dans le film. Comme dans les albums, il est reporter sans jamais écrire la moindre ligne (même si l’on entraperçoit un numéro du Petit Vingtième dans le film) et ne fréquente pas la moindre femme. Il conserve toute l’innocence que lui avait donné Hergé, sa naïve soif de découverte (« Sapristi ! Que pouvait-il bien y avoir dans le mât de ce bateau ? »). Ainsi que son agaçante perfection, son inaltérable capacité à savoir absolument tout faire.

Le Tintin de Spielberg, comme celui de Hergé, sait passer un message radio depuis un navire, conduire un side-car, jouer les acrobates sur les toits d’une ville marocaine… et même piloter un avion quand cela s’avère nécessaire, encore qu’il peine tout de même davantage que son modèle de BD. Il est entouré de méchants proches de ceux imaginés par Hergé (dont le fourbe Allan). Et surtout des mêmes amis, dont l’indispensable Haddock qui crache son quota syndical de « Mille Sabords », des Dupont et Dupond égaux à eux-mêmes, et un Nestor parfaitement imité.

Enfin, ce Secret de la Licorne revu et corrigé par Spielberg n’hésite pas à picorer dans les albums pour y retrouver quelques répliques cultes : « Le pays de la soif moussaillon, le pays de la soif… » d’Haddock ou les « Je dirais même plus » des Dupondt. De bon augure pour plaire aux tintinophiles.

… et quelques libertés avec l’œuvre originale

En bon Ricain, Spielberg a cependant fait en sorte de se réapproprier le personnage de Hergé en même temps que l’ensemble de l’œuvre. Il met en scène un Tintin plutôt plus combattif et alerte que dans la bande dessinée, parfois carrément en mode Indiana Jones. Il présente un héros qui peut douter, et qui a besoin d’un capitaine Haddock -au rôle agréablement renforcé- pour retrouver la voie. Parallèlement, Spielberg ne lésine pas sur les scènes d’action à l’américaine. Ainsi, la traque sur le navire, la prise en chasse par un avion et l’atterrissage forcé dans le désert, la course poursuite dans les rues d’une improbable cité arabe, le combat de grues… et même l’apparition de Rackham le Rouge au milieu des flammes, dans un style qui n’est pas sans rappeler Pirates des Caraïbes.

Tout cela détourne certes un peu la manière dont Hergé avait conçu son personnage, mais confère au film un rythme plaisant emprunt de loufoquerie. Et tant pis si les Dupondt ne sont pas aussi drôle qu’en image. Et tant pis si ce Tintin-là n’est pas prétexte à présenter la vision qu’Hergé avait du monde et de certaines nations. Et tant pis, enfin, si Spielberg pioche allègrement dans différents album (il glisse notamment dans son film de nombreux éléments du Crabe aux pinces d’or et des personnages d’autres épisodes, réservant même une apparition à la détestable Castafiore).

Qu’importe si l’ensemble dénature sans doute un peu l’idée qu’Hergé se faisait de son héros. Tintin trouve dans cette version un souffle qu’il n’avait jamais eu au cinéma. Réussir à concilier tradition hergéenne et modernité deux heures durant n’est quand même pas rien, surtout quand on songe aux précédentes tentatives d’adapter à l’écran les aventures du reporter à la houppette (cf, le désastreux Tintin et les oranges bleues).

Tout juste pourrait-on reprocher à Spielberg de ne guère faire évoluer son héros. Mais après tout, celui de Hergé a eut besoin de plusieurs décennies et de 23 albums (sans compter l’inachevé Tintin et l’AlphArt) pour subir des transformations morales et sociales. Le Tintin colonialiste du Congo n’est pas le Tintin découvreur et altruiste du Tibet. Steven Spielberg a encore deux autres films après ce pari réussi. Reconnaissons qu’il a réussit son coup, et laissons-lui une chance.

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Crédit photo : Gianfranco Goria / Flickr

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