L’exposition sur Casanova à la bibliothèque à la BNF (Paris) rappelle qu’il était un grand écrivain. Et plus que cela, un homme aux multiples facettes que l’on s’est fait un plaisir de caricaturer…
« Être un Casanova » : pourquoi n’entend-on parler de cet écrivain que par cette expression qualifiant un séducteur et un libertin ? Pourquoi ne nous parle-t-on jamais du voyageur européen, de l’inventeur de la loterie, de l’écrivain et surtout de l’homme de goût ?
Se pencher sur les petites affaires des hommes avant de s’intéresser à leurs talents : c’est là l’un des défauts de toutes les époques. La falsification du personnage de Casanova en est la plus belle des preuves. Jamais étudié en lycée ou en fac de lettres, cet écrivain est passé sous silence, et son image réduite à un coureur de jupon comme les générations en fournissent par millions. Quelle grande perte pour notre époque qui aurait tellement à apprendre de celui-ci ! Certes il s’agissait d’un séducteur, d’un homme à femmes (et à hommes aussi, rassurez-vous il y en aura pour tous les goûts). Mais quelle personnalité ! Quel tempérament ! Quelle signe de courte vue que de s’arrêter là !
Cette vie passionnante est relatée dans Histoire de ma vie, ses mémoires écrites en français, sans que Casanova ait pensé à les rédiger : « Digne ou indigne, ma vie est ma matière, ma matière est ma vie. L’ayant faite sans avoir jamais cru que l’envie de l’écrire me viendrait. » La bibliothèque nationale de France (BNF) rend actuellement hommage à cet écrivain ivre de liberté dans son exposition Casanova, la passion de la liberté.
Casanova, 1m88, le teint basané, le verbe facile
Au départ, il y a un enfant, né le 2 avril 1725, et qui n’a pas toutes les chances de son côté : à la santé fragile, il a de nombreux saignements de nez. Sa famille ne peut a priori rien miser sur lui. Son premier souvenir d’enfance est celui de sa guérison par une sorcière à Murano que l’emmène voir sa grand-mère adoptive : une enfance entourée de femmes et sa première rencontre avec la magie.
Après de brillantes études, il se consacre en 1740 à une carrière ecclésiastique. Son premier sermon sur deux vers d’Horace (un auteur pas très catholique, mais il obtient une autorisation spéciale, la première d’une longue série) lui vaut les applaudissements de ses auditeurs. Et nous voilà face au fils de comédien qui préfère les applaudissements au véritable sens de la prêche. Et c’est l’une des premières choses que l’histoire passe sous silence. Cet homme, déterminé, arrive à ses fins, quelles qu’elles soient, par ses propres moyens, par sa volonté et par son art. Son art de manier les mots. Il s’introduira toute sa vie auprès des plus grands, Frédéric II, Louis XV, le pape Clément XIII. Il n’a besoin de personne, ce colosse de 1 mètre 88, taillé comme Hercule et à la peau basanée. Une simple apparition de lui dans une salle et tout le monde se retourne.
Il est assez évident qu’une période comme la nôtre, fille de la Révolution, obsédée par l’égalitarisme et la méritocratie, souhaite à tous prix effacer des mémoires un tel homme.
Mœurs dissolues, mais chrétien convaincu
Inquiété en Italie pour avoir participé à l’enlèvement d’une jeune fille, il doit s’exiler à Constantinople mais en rentre rapidement. Gros problème : là-bas, les femmes sont voilées… Tiens, tiens, encore un sujet délicat et légèrement actuel. Et oui, Casanova s’ennuie à Constantinople, tente d’arracher le voile d’une femme pour voir ce qu’elle peut bien cacher. Encore une fois, voilà qui dérange. L’amour simple, immédiat du corps, l’attirance naturelle pour la peau, la chair. Notre époque, elle, ne fait que montrer tout cela mais qui n’en dit, au fond, jamais rien. Quand nos enfants apprennent la sexualité à travers les films pornographiques sur leurs iPhone, iPad et compagnie. Ne vaudrait-il pas mieux leur donner Histoire de ma vie de Casanova ? Au moins, en lisant, ils se fabriqueraient leurs propres images.
Après plusieurs voyages, retour à Venise. Il s’y fait rapidement une réputation sulfureuse en séduisant notamment la religieuse surnommée « M.M. », maîtresse de l’ambassadeur de France à Venise. Mœurs dissolues, ce qui ne l’empêche pas d’être un chrétien convaincu : « Je suis non seulement monothéiste, mais chrétien fortifié par la philosophie, qui n’a jamais rien gâté. Je crois à l’existence d’un DIEU immatériel créateur, et maître de toutes les formes ; et ce qui me prouve que je n’en ai jamais douté, c’est que j’ai toujours compté sur sa providence, recourant à lui par le moyen de la prière dans toutes mes détresses ; et me trouvant toujours exaucé. »
Décidément, ce type échappe à tous nos codes. Libertin sans cruauté ; religieux mais libertin ; aimant la vie mais opposé à la Révolution, qu’il vit comme un drame.
Cela ne pouvait pas rester impuni. Casanova est emprisonné sous les Plombs le 26 juillet 1755, mais ne manque pas de s’en échapper un an et demi plus tard. Il creuse d’abord un trou dans le plafond peint par Véronèse (heureusement pour les amateurs d’art, il ne le traverse pas) ; on le change donc de cellule, et là il rivalise d’ingéniosité avec ses geôliers pour finalement s’échapper par le toit. Quelle aventure à raconter aux enfants avant de dormir que celle de cet écrivain s’échappant par le toit du palais Ducal de Venise. Vous ne connaissiez pas cette histoire ? Normal, on ne la raconte jamais. Et pourtant elle vaut de loin l’évasion du Comte de Monte-Cristo !
L’européen en action
L’exil de Venise est un déchirement pour Casanova mais les voyages et les rencontres continuent. Casanova ou l’européen en action : Paris, Londres, Berlin, Prague… Il est passé partout et a laissé son empreinte dans chaque ville. Mais pas uniquement sur les femmes ! C’est lui l’inventeur de la loterie. Oui, quand vous jouez au Loto, ayez une pensée pour Casanova !
A Paris, il est l’un des premiers écrivains à se positionner contre la peine de mort après avoir assisté à la condamnation à mort d’un criminel en place de Grève. C’est rare qu’on nous l’apprenne : en général on mentionne plutôt les combats de Victor Hugo contre la peine de mort ou autres écrivains du XIXème siècle. Il apprend l’alchimie en deux jours pour plaire à Madame d’Urfé et abuse de sa crédulité. Encore une fois l’homme de théâtre mais aussi la détermination en action. Sa conviction ? Croire que l’on peut y arriver seul et dans n’importe quelle situation. C’est sans doute cela, l’élégance de Casanova. Tout en portant ses habits de petit marquis, ses bijoux, ses jarretelles, ses perruques et ses étoffes raffinées, il portait toujours une paire de pistolet. Duels fréquents obligent. Et dans tous les domaines il excelle. Il apprend, expérimente et tente le coup comme sur une table de jeu. Sa richesse, conquérir et chérir sa liberté.
Pour finir, et avant de se quitter, imaginez Mozart et Da Ponte, à Prague, en 1787, et Casanova contribuant au livret de l’opéra Don Giovanni. Quelle image délicieuse que l’union de ces hommes de goût, de ce raffinement si loin de nos préoccupations. Cette histoire n’a jamais été racontée… Avis aux cinéastes, aux écrivains, aux hommes de talents qui oseraient relever ce défi.
Crédit photo : Emmanuel25 / Flickr
NB : Allez jeter un œil sur cette chronique de Philippe Sollers sur le triomphe de Casanova.