Paris, la culture dans tous ses états, chapitre 3

Chaque semaine, Lili des Bellons balance coups de cœur et coups de poings sur les évènements culturels qui se tiennent à Paris. Le but : vous donner envie d’aller y voir par vous-même ou de passer votre chemin.

– Le ballet Le Parc, chorégraphié par Angelin Preljocaj, est dansé pour les fêtes par le ballet de l’opéra de Paris. Preljocaj est capable du meilleur comme du pire : Blanche Neige pour le meilleur, Ceci est mon corps pour le pire. Le Parc est une synthèse du style Preljocaj et oscille entre ces deux facettes.

Le meilleur dans ce ballet est certainement le fait que les musiques de Mozart choisies par le chorégraphe s’accordent parfaitement avec l’argument : une promenade dans les labyrinthes de l’amour, du premier regard à l’abandon final. Nous sommes portés par différents mouvements de pièces pour cordes et de concertos pour piano. Et quel bonheur d’entendre l’adagio du concerto pour piano KV488 à la fin de l’œuvre !

Preljocaj explore alors tous les recoins de la relation homme-femme en s’appuyant sur des références littéraires comme la Carte du tendre ou la Princesse de Clèves. La construction du ballet et l’audace chorégraphique sont au service de ce cheminement amoureux. Le spectateur est ainsi invité à suivre, tout au long du ballet, une rencontre amoureuse entre un homme et une femme. Le tableau « Résistance », dans l’acte 2, est particulièrement réussi. A l’issue d’un pas de deux emporté, le personnage masculin brusque la femme jusqu’à la posséder. Elle, déçue et meurtrie, en retour, tape à plusieurs reprises sa tête sur son torse. Ce geste me semble signifier parfaitement la déception causée, chez une femme, par l’empressement masculin. Dans l’acte 3, au moment du fameux pas de deux final, ce même geste sera repris. Mais cette fois-ci, dans un sentiment d’abandon : la rancune a disparu. De nombreux gestes chorégraphiques de ce ballet sont repris de la sorte, et leur signification évolue de tableau en tableau, à mesure que la relation amoureuse franchit des étapes. De nombreux échos sont ainsi créés, et Preljocaj fait montre d’une grande maîtrise de la partition chorégraphique pour guider le spectateur dans le labyrinthe. Le travail sur les costumes est aussi une clé : au fur et à mesure que la relation progresse, les masques tombent et les costumes gagnent en simplicité.

Mais Le Parc reflète aussi par moment le pire de Preljocaj. Certains gestes extrêmement lourds en suivent de très gracieux. C’est le cas des passages réservés aux jardiniers et à l’épisode intitulé «Pamoison», dans l’acte 3, où chaque danseur traîne littéralement sur le sol une danseuse. Pourquoi tant de lourdeur pour exprimer l’évanouissement qui était traité de manière si gracieuse dans l’acte 2 ?

Le pire de Preljocaj, c’est aussi d’avoir cédé les droits du climax du pas de deux final à Air France qui l’utilise dans une publicité. Quand on le voit, maintenant, on ne peut s’empêcher de penser à la publicité. Là-dessus, j’avoue ne pas comprendre. Preljocaj réalise un sublime pas de deux dans lequel tout marque l’abandon ; les gestes sont novateurs ; la musique de l’adagio divine : et pourtant il vend ce moment de grâce à Air France ? Ce pas de deux résume à lui seul Preljocaj : un chorégraphe capable d’associer le meilleur (l’art) au pire (la publicité).

– Une heure de tranquillité : une heure de banalité. Fabrice Luchini joue dans la pièce de Florian Zeller, Une heure de tranquillité, au théâtre Antoine. Zeller dit avoir écrit cette pièce pour Luchini. En effet, le rôle principal est taillé sur mesure pour lui : Michel a déniché un disque de jazz rare au marché au puce et aspire à une heure de tranquillité pour l’écouter. Mais tout l’en empêche. Sa femme, son fils, sa maîtresse, son meilleur ami, le voisin et le plombier défilent dans son appartement. Tous les ingrédients sont réunis pour que le spectateur passe un bon moment : Luchini, comme à son habitude, est déchaîné, n’hésite pas à faire des apartés vers son public. Mais voilà le problème : c’est que c’est «comme à son habitude». Le spectateur assiste plus à un spectacle « Luchini » qu’à une pièce de théâtre, et tout ça sent le réchauffé. Luchini n’innove pas, il joue comme à son habitude le mec exaspéré, et même bute sur les mots, est obligé de se reprendre en faisant passer ça pour une attention spéciale portée au texte (texte qui, soit dit en passant, est de l’ordre du pipi de chat). En sortant, on ne se dit pas «Tiens, cette situation est bien trouvée », « telle citation est parfaite ». Non, on a un peu souri, parce que Luchini a fait son show.

Une question se pose à la sortie : comment Luchini, cet amoureux de la langue française, peut-il accepter de jouer dans une telle pièce ? Il est probable que cela soit pour le fric. Et oui, c’est malheureux à dire, mais le théâtre Antoine est plein, les billets s’arrachent et vu le prix d’une place (la modique somme de 60 euros en orchestre et 33 euros au poulailler) ils doivent s’en mettre plein les poches.

Pour résumer : Une heure de tranquillité est une affaire rondement menée. Attention Luchini ! Certains spectateurs exigeants vont finir par se demander si vous êtes vraiment un amoureux de la langue française ou si votre personnage public n’est qu’une machine commerciale bien huilée.

– Joué jusqu’à dimanche soir au Théâtre de l’odéon-Ateliers Berthiers et en tournée en France, La Bonne âme de Se Tchouan, œuvre de Bertold Brecht, mise en scène par Jean Bellorini, a séduit Retour d’actu. Il y a deux ans, nous avions adoré le travail de Bellorini autour des Misérables dans sa pièce Tempête sous un crâne. Nous retrouvons cette même esthétique sur une pièce sociale. La problématique est la suivante : comment faire le bien dans un monde pourri ? Les dieux recherchent tant bien que mal une bonne âme capable de faire le bien sur cette terre et élisent Shen Té, une jeune prostituée. Avec une somme d’argent léguée par les dieux, elle achète une boutique de tabac qui deviendra le refuge des pauvres de la ville où se situe l’action, Se Tchouan, et le lieu des toutes les intrigues. Shen Te garde comme ligne de conduite de faire le bien mais elle est entourée de sangsues qui profitent de sa bonne âme. Karyll Elgrichi incarne remarquablement deux personnages : Shen Te, la prostituée, mais aussi le riche cousin qu’elle s’est inventée pour subvenir aux besoins de tout ce petit monde. Cette actrice passe du rôle masculin au rôle féminin avec une aisance déconcertante.

Bellorini parvient, grâce à de formidables acteurs, à dépecer la part sombre de l’âme humaine. Pas question, ici, de prendre en pitié les miséreux, mais de montrer à quel point le bien a déserté les faubourgs, malgré les tentatives désespérées de certains personnages pour le faire triompher. Le texte de Brecht, loin d’être naïf, est extrêmement lucide : l’homme est corrompu et il faut composer avec. Comme Bellorini nous avait montré les affreux Thénardiers, il met en scène des personnages ne recherchant que leurs intérêts. La pluie tombe sur Se Tchouan, les stores des hangars claquent : Bellorini nous fait sentir la chaleur moite des quartiers pauvres.

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