Vallaud-Belkacem a rapproché Arthur Rimbaud de la mouvance LGBT. Depuis son exil africain, le poète légendaire a accepté de nous donner une courte interview entre deux expéditions commerciales.
Harar, Éthiopie. Assis à la table d’un boui-boui, j’attends. Arthur Rimbaud est en retard, comme d’habitude. Rendez-vous avait été pris pour 14h00, sur la place principale. Sous la chaleur, j’étouffe. Une demi-heure passe, une silhouette se détache à l’horizon. Grand, bien bâti, démarche rapide et un peu raide. Son célèbre regard bleu-gris détonne avec son teint buriné, résultat de plus d’un siècle d’exposition au soleil africain. Il s’assoit, commande une liqueur. Sans un mot, il attend mes questions. Il y répondra le regard perdu vers sa gauche, regardant passer les gens, levant parfois les yeux au ciel.
M. Rimbaud, tout d’abord merci de nous offrir ces quelques minutes. Najat Vallaud-Belkacem, ministre du Droit des Femmes…
(Il coupe) Je n’aime pas les femmes. L’amour est à réinventer, on le sait. Elles ne peuvent plus que vouloir une position assurée. La position gagnée, cœur et beauté sont mis de côté : il ne reste que froid dédain, l’aliment du mariage aujourd’hui. Ou bien je vois des femmes, avec les signes du bonheur, dont, moi, j’aurais pu faire de bonnes camarades dévorées tout d’abord par des brutes sensibles comme des bûchers… Un bel avantage, c’est que je puis rire des vieilles amours mensongères et frapper de honte ces couples menteurs. J’ai vu l’enfer des femmes, là-bas.
…nous aurons l’occasion de reparler de vos relations compliquées avec les femmes, M. Rimbaud. Mais si vous le voulez bien, nous allons suivre un fil conducteur. Je disais donc que Najat Vallaud-Belkacem, dans une interview au magazine gay Têtu, vous a relié à la mouvance LGBT (lesbian, gay, bi, trans). « Aujourd’hui, les manuels scolaires s’obstinent à passer sous silence l’orientation LGBT de certains personnages historiques ou auteurs, même quand elle explique une grande partie de leur œuvre comme Rimbaud. » Êtes-vous heureux de voir que votre souvenir est aujourd’hui associé à une avancée majeure comme celle-ci ?
Le progrès. Le monde marche ! Pourquoi ne tournerait-il pas ?
Voyons, M. Rimbaud ! Votre idylle avec Verlaine a fait tourner la tête de générations de lycéens ! Un mot sur Verlaine ?
Pitoyable frère ! Que d’atroces veillées je lui dus ! Et, presque chaque nuit, aussitôt endormi, le pauvre frère se levait, la bouche pourrie, les yeux arrachés, — tel qu’il se rêvait — et me tirait dans la salle en hurlant son songe de chagrin idiot.
Voyons, cette vision de votre relation avec le pauvre lélian n’est-elle pas trop négative ?
Sans doute la débauche est bête, le vice est bête ; il faut jeter la pourriture à l’écart. L’ennui n’est plus mon amour. Les rages, les débauches, la folie, dont je sais tous les élans et les désastres, – tout mon fardeau est déposé. Apprécions sans vertige l’étendue de mon innocence.
Des rumeurs évoquent un « char Arthur Rimbaud » à la prochaine Gay pride. Une réaction à chaud ?
Pendant que les fonds publics s’écoulent en fêtes de fraternité, il sonne une cloche de feu rose dans les nuages.
Voyons, que diront les progressistes de tous poil si je leur évoquais votre manie de répondre à côté des questions ?
Oui, j’ai les yeux fermés à votre lumière. Je suis une bête, un nègre. Mais je puis être sauvé. Vous êtes de faux nègres, vous maniaques, féroces, avares. Marchand, tu es nègre ; magistrat, tu es nègre ; général, tu es nègre ; empereur, vieille démangeaison, tu es nègre : tu as bu d’une liqueur non taxée, de la fabrique de Satan. – Ce peuple est inspiré par la fièvre et le cancer. Infirmes et vieillards sont tellement respectables qu’ils demandent à être bouillis. – Le plus malin est de quitter ce continent, où la folie rôde pour pourvoir d’otages ces misérables.
C’est un peu facile de critiquer une société qui, aujourd’hui, vous voue un véritable culte. On ne compte plus le nombre de revues littéraires vous consacrant des numéros spéciaux…
N’oublie pas de chier sur La Renaissance, journal littéraire et artistique, si tu le rencontres.
Bon, changeons de sujet : que pensez-vous de votre œuvre, aujourd’hui défendue et enseignée par tout un corps professoral, au même titre que les plus grands poètes français – dont certains étaient, comme vous, des visionnaires de la cause LGBT ?
Je suis un inventeur bien autrement méritant que tous ceux qui m’ont précédé ; un musicien même, qui ai trouvé quelque chose comme la clef de l’amour. À présent, gentilhomme d’une campagne aigre au ciel sobre, j’essaye de m’émouvoir au souvenir de l’enfance mendiante, de l’apprentissage ou de l’arrivée en sabots, des polémiques, des cinq ou six veuvages, et quelques noces où ma forte tête m’empêcha de monter au diapason des camarades.
Arthur Rimbaud, si vous étiez un jeune européen, aujourd’hui, qu’écririez-vous ?
Je suis un éphémère et point trop mécontent citoyen d’une métropole crue moderne parce que tout goût connu a été éludé dans les ameublements et l’extérieur des maisons aussi bien que dans le plan de la ville. Ici vous ne signaleriez les traces d’aucun monument de superstition. La morale et la langue sont réduites à leur plus simple expression, enfin ! Ces millions de gens qui n’ont pas besoin de se connaître amènent si pareillement l’éducation, le métier et la vieillesse, que ce cours de vie doit être plusieurs fois moins long que ce qu’une statistique folle trouve pour les peuples du continent.
Pour conclure, Arthur Rimbaud, avez-vous un message à faire passer à Najat Vallaud-Belkacem ?
Je suis le piéton de la grand’route par les bois nains ; la rumeur des écluses couvre mes pas. Je vois longtemps la mélancolique lessive d’or du couchant. Je serais bien l’enfant abandonné sur la jetée partie à la haute mer, le petit valet suivant l’allée dont le front touche le ciel. Les sentiers sont âpres. Les monticules se couvrent de genêts. L’air est immobile. Que les oiseaux et les sources sont loin ! Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant.
Crédit photo : ornieres / Flickr.com
ENFIN! Quel bonheur d’entendre du Rimbaud alors qu’à l’école seule sa relation avec Verlaine intéresse et que dans les fameux manuels scolaires ils mettront Roman, ma Bohème ou le Dormeur du val mais n’oserons jamais présenter une ligne de la Saison en Enfer. Personne n’y comprend rien et les gens qui se réclament de lui et proposent ce char-Rimbaud pour la Gaypride n’auraient jamais pu le supporter. Qui a vraiment lu ce poète? Qui est capable d’être à l’écoute de sa langue nouvelle? Qui peut supporter d’être méprisé par Rimbaud? Enfin des mots, du sens, du langage au moment où les mots s’effritent pour devenir des sigles à plaquer sur les auteurs!