Europe : le mythe a vécu

L’Irlande se prononce de nouveau vendredi sur le traité de Lisbonne. Il n’est pas certain qu’un « oui » sorte l’Union de l’ornière, tant le rêve européen semble aux oubliettes…

Presque le remake d’un mauvais film. Vendredi 2 octobre, les Irlandais vont voter. Ils sont appelés à se prononcer sur le traité de Lisbonne… qu’ils avaient rejetés à 53% le 12 juin 2008. Certes, entre-temps, la trame a été bouleversée. Le journal Le Temps, cité par le Monde.fr, rappelle que le « tigre celtique » a été durement touché par la tempête financière. Et que l’Union européenne, dédaignée il y a un an, pourrait à présent prendre des allures de bouée de sauvetage.

Il n’empêche : pour justifier ce flash back électoral douteux, l’Union a été forcée d’adapter son scénario aux goûts irlandais. Non, my fellow Irish friends, Bruxelles ne fera pas de vos médecins des avorteurs, ne touchera pas à votre neutralité militaire, et n’augmentera pas vos impôts. Et, à supposer que la projection européenne ne soit pas stoppée une seconde fois par ces entêtés d’Irlandais, c’est avec la très eurosceptique République tchèque que l’UE devra composer. Après avoir péniblement fait accepter son traité de Lisbonne par les parlements des 27. Et pas par leurs peuples -celui de l’Eire faisant exception- dont on redoutait qu’ils donnent un avis défavorable, comme les Français et les Néerlandais en 2005.

L’Europe loin du cœur

Au delà de la comédie démocratique – Vous avez mal voté, recommencez ! – cette situation illustre un paradoxe : l’Union européenne n’a jamais concentré autant de pouvoirs, et dans le même temps, elle n’a jamais été plus absente du cœur de ses citoyens. Certes, il y a ces frontières que l’on peut traverser sans passeport. Il y a ces douanes qui laissent passer biens et services sans les taxer. Il y a ce droit communautaire qui s’applique dans tous les Etats membres. Il y a même cette monnaie unique. Mais il y a surtout un échec cuisant : celui de croire que l’économie et le droit suffisent à créer une identité commune. L’Europe souffre de lacunes trop importantes pour faire croire en l’illusion d’un « peuple européen ».

En premier lieu, la crise a montré que le territoire de l’UE n’est pas un havre de paix économique. Pays « historiques » de l’Union ou nouveaux entrants de l’Est : tous ont été touchés. Pire : l’Union, dont l’économie est supposée être la grande force, n’a pas su mobiliser les ressources de ses membres pour bâtir un plan de relance cohérent, ou exiger qu’un certain pourcentage des PIB nationaux soit consacré au traitement de la crise. Les réactions sont venues des Etats.

Les lacunes sont également démocratiques. L’Europe, à 27, est très loin de ses citoyens. Et ne les laisse élire que quelques centaines de députés aux pouvoirs très restreints. Enfin, en matière sociale, elle n’ajoute rien aux protections que peuvent offrir les différents Etats membres. Preuve parmi d’autres de ce désamour : David Cameron, le leader des conservateurs britanniques, a promis un référendum sur la question du traité de Lisbonne -déjà ratifié dans son pays- s’il remportait les prochaines élections législatives en juin prochain. Qu’il tienne parole ou non, cela en dit long sur la popularité de l’UE chez certains Européens.

Incapacité à se réinventer

Surtout, la grande faiblesse de l’Union est de nature idéologique. L’Europe « de la paix », voulue par Monnet et Schuman, a vécu. Cette paix -que l’on doit sans doute davantage au Plan Marshall et à la logique des grands blocs de la guerre froide qu’à la CECA– est acquise depuis longtemps à l’intérieur de ses frontières. Elle ne peut plus servir d’objectif à l’Europe et à ses peuples. Pourtant, l’UE reste incapable de se fixer de nouveaux grands desseins politiques.

Dans ce contexte, il n’est guère étonnant que l’on préfère s’attacher mordicus à son Etat. Ni que l’Europe soit forcée de négocier son traité au pied-à-pied avec des Irlandais soucieux de préserver leur particularisme national. A arracher quelques pouvoirs de plus –fut-ce la création d’un « président » européen- sans se préoccuper davantage de ses citoyens, l’Europe obtiendra peut-être son « oui ». Mais elle perdra à la fin du film.

Pour en savoir plus : pourquoi le président tchèque rejette l’Europe, sur le Monde.fr

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