Sarko : qui y croit encore ?

Bis repetita… A Grenoble, Nicolas Sarkozy a de nouveau dégainé son discours sécuritaire, avançant des mesures inapplicables ou déjà appliquées. Coup de gueule de celui que le gouvernement traiterait de « gauchiste laxiste »

Comme un air de déjà vu… et déjà entendu. Vendredi dernier, à Grenoble, Nicolas Sarkozy a ressorti pour la énième fois son discours sécuritaire. Tirant de nouveau au (très) gros calibre sur les délinquants, impopularité oblige.

Voici désormais les truands « d’origine étrangère » menacés d’un retrait de nationalité française en cas d’atteinte à la vie d’un policier. Et le chef de l’État de répéter dans la foulée les mots magiques qui animent son électorat : étrangers en situation irrégulière, reconduite aux frontières, peine plancher, peine de prison incompressible, multirécidiviste… Avec au passage une pique aux Roms, petite nouveauté dans un argumentaire mille fois ressassé. Dans la foulée, Éric Ciotti (député des Alpes-Maritimes et secrétaire national UMP en charge de la sécurité) a proposé que les parents d’un mineur poursuivi (et non pas seulement ceux d’un mineur condamné) soient punis de 30 000 euros d’amende et deux ans d’emprisonnement.

Autant d’effets d’annonce si grossiers, si usés à force d’être répétés, qu’on est en droit de se demander qui peut encore sérieusement croire à ce sketch rejoué et dénué de fondement. Sur la déchéance de la nationalité française, si commentée depuis quelques jours, les juristes sont très sceptiques. Certes, comme le rappelle Le Monde, le code civil a permis entre 1945 et 1998 de déchoir un individu de la nationalité française, si celle-ci était acquise depuis moins de 10 ans, en cas de condamnation pour crime.

Mais primo, la loi Guigou est passée par là : impossible désormais de retirer sa nationalité à quelqu’un si cela doit le rendre apatride. Secundo, le Conseil constitutionnel a rappelé qu’un tel jugement devrait respecter le principe d’égalité entre les Français, qu’ils soient ou non d’origine étrangère. Et tertio, la mesure ne pourrait de toute façon s’appliquer que pour des actes exceptionnellement graves, tels que le terrorisme. Étonnant tout de même que l’ancien avocat Nicolas Sarkozy ne soit pas au courant.

Quand Ciotti fait du copier-coller…

Quant à la proposition de punir les parents des délinquants mineurs… elle existe depuis 1984, comme le rappelle le blog d’un juge des enfants sur le site du Monde. « Le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amendes ». Le texte, dans sa portée, rappelle étrangement celui d’Éric Ciotti qui, pour le coup, n’a pas fait preuve de beaucoup d’imagination ! Sans compter que cette loi n’est pas seulement écrite, elle est appliquée régulièrement : 150 à 200 parents sont condamnés chaque année selon l’article.

Le magistrat conclut comme beaucoup d’autres que la seule partie qui se joue en ce moment est celle de 2012 : à coup de racolage sécuritaire, Nicolas Sarkozy drague l’extrême droite et prépare déjà sa réélection. Une habitude. Depuis 2002, il n’a eu de cesse de « partir en guerre » contre la délinquance, particulièrement en période électorale. Le seul point positif de son intervention à Grenoble est qu’on l’imagine maintenant mal aller plus loin… à moins bien sûr d’annoncer le rétablissement de la peine de mort pour les délinquants.

Les réactions outrées ont suivi. Celles de Martine Aubry, de Robert Badinter, du Parti Socialiste et de l’opposition en général. « Faute politique », acte « antirépublicain »… La presse française s’en est naturellement donnée à cœur joie, à commencer par Libération, qui titrait dès vendredi un cocasse : « A Grenoble, Sarkozy dégaine tous azimuts ». La presse étrangère n’a pas non plus manqué l’opportunité de « flinguer » un Président qui joue la carte du scandale pour faire oublier l’affaire Woerth-Bettencourt. Cité par Le Monde, le site américain Foreign Policy dénonce « une grosse annonce suivie de tout petits effets ». On ne saurait mieux dire, tant Nicolas Sarkozy a maintes et maintes fois promis la sécurité, la paix, l’ordre, le châtiment des voyous…

Sarkozy, un « tigre de papier »

Autant de mots sans aucune portée. Le discours de Grenoble, dans sa démarche, rappelle le débat sur l’identité nationale lancé avant les régionales puis proprement enterré. « A aucun moment, en effet, le président ne peut croire que de telles mesures seraient efficaces » note Christophe Barbier dans son éditorial de L’Express. « Quelle crapule se retiendra le bras avant d’agresser un policier en songeant à la perte de son passeport ? Quel adolescent à la dérive éteindra l’allumette juste avant de flamber une voiture en pensant à l’acquisition menacée de sa nationalité ? Envers des populations qui ne votent pas, ou presque pas, qui n’effectuent plus de service national et n’ont que peu d’espoir d’ascension sociale par les voies de l’excellence républicaine, brandir une telle déchéance, c’est lâcher un tigre de papier. »

Les adeptes de l’historien René Rémond concluront peut-être de tout ceci que le chef de l’État a glissé de la droite orléaniste, marquée par le libéralisme politique et économique, à la droite légitimiste, réactionnaire et volontiers teintée de racisme. Plus prosaïquement, on peut noter que Nicolas Sarkozy n’a tout simplement pas les moyens d’être le Président du pouvoir d’achat, ni celui d’un chômage à 5%. En digne représentant de la droite actuelle, il ne peut plus être que le père fouettard de la vie politique française. Le Parti Socialiste peut être serein : si terne qu’il soit, il pourra récolter les fruits de cette déchéance présidentielle.

Photo World Economic Forum / Flickr

A lire aussi sur ce blog : et si Sarkozy perdait en 2012 et l’ascension de Martine Aubry au PS

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