Au lendemain des cantonales et à un an de « l’épreuve reine » de la politique française, Nicolas Sarkozy est donné perdant par la presse. Qu’en était-il de tous ses prédécesseurs de la Cinquième République, 365 jours plus tôt ?
Ca n’a évidemment pas raté. Un an presque jour pour jour avant les élections présidentielles, le naufrage de l’UMP aux élections cantonales a provoqué un déferlement d’éditoriaux particulièrement cinglants pour le chef de l’État.
La mesure de la défaite du camp (encore) majoritaire amène la presse à remettre en cause la légitimité de Nicolas Sarkozy à être candidat à sa propre succession. 20 minutes va jusqu’à se demander si, pour lui, il n’est pas déjà trop tard pour 2012. Et de souligner que jamais Président de la République ne s’est retrouvé auparavant confronté au spectre d’une défaite dès le premier tour, comme c’est le cas actuellement.
De nouveau vainqueurs ou battus, les candidats à leur propre succession ont en effet toujours atteint le second tour, sans connaître le déshonneur d’une sortie par la petite porte. Le cas s’est présenté quatre fois (1965, 1981, 1988, 2002). Pour autant, la presse ferait bien de se montrer prudente et de considérer à deux fois l’histoire de la Cinquième République avant d’enterrer un sortant. Un an avant l’élection présidentielle, les candidats n’ont pas toujours eu les faveurs de la foule, ou même de leur propre camp. Tour d’horizon…
Un an avant 1965 : de Gaulle dans un fauteuil
Sans doute l’élection la plus prévisible de toute la Cinquième République. Depuis 1958, le parti gaulliste est ultra-majoritaire à l’Assemblée nationale et Charles de Gaulle bénéficie d’une popularité écrasante. Élu Président en 1958 par 78% des grands électeurs, il a mis un terme à la guerre d’Algérie en 1962. La même année, il fait adopter une réforme des institutions. Celle-ci prévoit que la nation élit désormais son Président au suffrage universel direct.
Le projet, toutefois, ne passe pas comme une lettre à la poste. La gauche s’organise, et l’Assemblée nationale rejette le projet, renversant au passage le gouvernement par une motion de censure. Implacable, le général dissout l’Assemblée. Il sort vainqueur de la crise politique qui s’en suit en remportant coup sur coup le référendum sur son projet et les élections législatives.
Le rapport de force n’a guère évolué trois ans plus tard. De Gaulle est l’incontestable patron de son camp, mais incarne aussi un véritable leader aux yeux du peuple français, notamment en gardant la main sur la politique étrangère. Lors des élections présidentielles en décembre 1965, il fait face à une gauche unie, représentée par François Mitterrand. Le Président sortant ne se sert pas de la totalité de son temps de parole à la télévision. Mis en ballotage par Mitterrand, de Gaulle obtient néanmoins 44,65% des voix au premier tour, et est confortablement réélu au second avec 55,20% des suffrages.
Un an avant 1969 : Pompidou, le dauphin désigné
En 1968, le pouvoir gaulliste est toujours puissant, mais il vacille. Les élections législatives de 1967 ont marqué un recul de ses représentants face à la gauche. Et surtout, les événements de Mai 1968 ont entériné le divorce de de Gaulle d’avec les Français. Son Premier ministre Georges Pompidou s’est peu à peu imposé comme le dauphin du général, en menant la campagne des législatives. Aux yeux de l’opinion, il a surtout, mieux que son maître, su gérer le conflit de Mai 1968 en parvenant à y mettre un terme avec les accords de Grenelle.
Lorsque De Gaulle démissionne après un référendum manqué en avril 1969, Pompidou a été depuis quelques mois « mis en réserve de la République » à la suite de divergences avec le Président. En digne successeur, il reçoit cependant le soutien de l’UDR, le parti gaulliste qu’il a contribué à rajeunir, en vue des élections présidentielles de juin. Il donne de lui-même l’image d’un homme moderne, contrastant ainsi avec son mentor, tout en conservant le bénéfice de l’onction gaulliste. Une position que résume son slogan de campagne : « Le changement dans la continuité ».
Très logiquement, Georges Pompidou arrive nettement en tête au premier tour, avec plus de 44% des voix. Il devance de plus de 20 points son rival le plus direct, le centriste Alain Poher, et le communiste Jacques Duclos. Le second tour est une formalité : Pompidou devient le second Président de la Cinquième République avec plus de 58% des voix.
Un an avant 1974 : Giscard, pas vraiment à la barre
Le soir du 2 avril 1974, les médias annoncent la mort du Président en exercice. Malade depuis longtemps, Georges Pompidou n’a jamais communiqué sur son état de santé. Les dernières élections législatives, en 1973, ont permis au parti gaulliste de garder la main sur la vie politique. Mais le Président n’a pas eu le temps de préparer sa succession… ce qui donne une carte à jouer à la droite non-gaulliste, et à son représentant, Valéry Giscard d’Estaing, ministre de l’Economie et des Finances durant les années Pompidou.
Depuis quelques temps, « VGE » a pris ses distances avec le camp gaulliste, appelant notamment à voter « non » lors du référendum de 1969. Il cultive une image « d’homme du centre », celui qui vise la classe moyenne (les « deux Français sur trois ») pour l’emporter. Mais quand survient la mort de Pompidou, rien n’est joué pour Giscard d’Estaing, qui fait face à une gauche unie regroupée derrière François Mitterrand, mais également à l’un des poids lourds du gaullisme, Jacques Chaban-Delmas, ancien résistant et Premier ministre.
Toutefois, auteur de plusieurs maladresses dans sa campagne, « Chaban » ne convainc pas. Surtout, une partie des gaullistes, emmenés par le jeune Jacques Chirac, rejoint le camp de « VGE » et achève de « torpiller » la candidature de l’ancien Premier ministre. Lors du premier tour, celui-ci réalise à peine 15% des voix, se plaçant loin derrière Mitterrand (43%) et Giscard d’Estaing (32%).
Le second tour, particulièrement indécis, est marqué par l’affrontement télévisé des deux candidats et une série de « petites phrases ». Mitterrand rappelle autant que possible les inégalités sociales et le bilan de son adversaire au gouvernement, « VGE » lui renvoyant son image d’homme du passé et de la Quatrième république. La mobilisation des électeurs est particulièrement forte (plus de 87% des inscrits votent). Giscard d’Estaing, à 48 ans, gagne au second tour avec tout juste 425 000 d’avance sur son adversaire socialiste, soit 50,81% des suffrages.
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Un an avant 1981 : la gauche n’était pourtant pas au mieux
En 1981, François Mitterrand ne se présente pas aux élections présidentielles en position de force. Certes, le futur Président a conquis le PS. Mais l’Union de la gauche a implosé en 1977, et les divergences entre socialistes et communistes ont été l’une des causes de la défaite face à la droite lors des législatives de 1978. Le programme commun est rompu. Plusieurs sondages réalisés avant les élections présidentielles montrent par ailleurs que les Français approuvent la politique de Valéry Giscard d’Estaing sur une majorité de thèmes. L’un d’entre eux donne le Président sortant largement vainqueur face à un candidat de la gauche.
Oui mais… La crise économique est passée par là. La France a goûté à l’inflation et au chômage de masse. Une situation qui joue en faveur de François Mitterrand, lequel s’est appliqué à « siphonner » les voix communistes sans devenir prisonnier du PCF. Il incarne une « Force tranquille » dans une France à la sociologie politique modifiée, en quête de changement. La droite part quant à elle très divisée entre Giscard d’Estaing et Chirac.
Au premier tour, Mitterrand (25%) et Giscard d’Estaing (28%) devancent Marchais et Chirac… Ce dernier, au second tour, ne soutient que du bout des lèvres celui dont il fut Premier ministre. Malgré les mésententes entre le PS et le PCF, le report des voix est suffisant pour permettre à François Mitterrand d’être élu le 10 mai 1981, avec 51,86% des suffrages. Dans la foulée, le nouveau Président dissout l’Assemblée nationale et obtient une véritable « vague rose ». Une victoire totale et historique pour une gauche désunie et que l’on disait battue un an auparavant.
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Un an avant 1988 : la droite au pouvoir, la gauche en embuscade
Tout a changé en 1988. L’audacieux programme de nationalisations du PS n’a pas permis d’endiguer le chômage. La gauche s’est muée en une machine gestionnaire, acquérant une culture de gouvernement qu’elle n’avait pas, et prenant finalement le parti de la rigueur économique. Le projet de loi Savary sur l’enseignement a rencontré une vive opposition. Plusieurs affaires, dont celle du Rainbow Warrior, minent le PS de l’intérieur et pour la première fois, le Front national réalise une percée lors des élections européennes.
En mars 1986, la droite est logiquement majoritaire lors des élections législatives, et arrive au pouvoir avec un programme résolument libérale. Jacques Chirac est nommé Premier ministre lors de cette première cohabitation. Mais son camp s’use à son tour à l’exercice des responsabilités. En 1986, le projet Devaquet visant à réformer l’université provoque des manifestations. La police et la section des « voltigeurs » -les forces de l’ordre à moto- sont impliquées dans la mort du jeune étudiant Malik Oussekine. Un coup dur dont l’opinion se souvient longtemps.
Mitterrand n’a pas hésité à se montrer aux côtés des manifestants, et à jouer la carte d’un « Président-opposant », ce qui lui permet de reprendre la main en 1988. Lors du premier tour, en avril, il devance nettement Jacques Chirac (34% contre 19). Après un duel télévisé où la haine apparaît palpable entre les deux candidats, le sortant l’emporte avec 54% des suffrages. Selon les sondages parus avant les élections, François Mitterrand n’a jamais semblé menacé par son concurrent. Il n’obtient cependant pas de seconde « vague rose » à l’Assemblée nationale.
Un an avant 1995 : le « Chi » revient de loin
L’élection des sondages par excellence… Quand sonne l’heure du départ pour un François Mitterrand malade, Jacques Chirac tient sa candidature prête depuis longtemps. Il a laissé son « ami de trente ans » Edouard Balladur assurer la seconde cohabitation à Matignon. Mais au vu de sondages favorables, « l’ami » se mue en rival, et les deux hommes se présentent sous les couleurs de la droite. Un temps, on imagine que Chirac pourrait renoncer tant il part de loin. Il ne parvient à reprendre la main qu’en mars 1995, soit un mois à peine avant les élections, après une campagne efficace sur le thème de la fracture sociale.
Le second tour face à Lionel Jospin, candidat du PS, est paradoxalement presque plus facile pour Jacques Chirac. La gauche , usée par 14 ans de pouvoir, se trouve « à la fin d’un cycle » et n’a pas encore complètement réalisé son inventaire des années Mitterrand. Jacques Chirac est logiquement élu avec plus de 52% des voix. Un succès de courte durée, puisque le « Chi » perd sa majorité à l’Assemblée nationale deux ans plus tard en voulant régler ses comptes avec le camp balladurien.
Un an avant 2002 : l’affrontement annoncé qui n’eut jamais lieu
Chirac le Président contre Jospin le Premier ministre… Le duel est attendu, décrypté par les médias qui en oublient le premier tour. Les Guignols de l’info caricaturent la situation en montrant un Jospin hilare qui affirme « ne pas connaître » les autres candidats. Dans la presse, l’affrontement a débuté très tôt. L’Express analyse les chances des candidats dès… 1999.
Les médias oublient que la gauche part en ordre dispersé, et que l’élection compte pas moins de 16 candidats, soit une plus forte possibilité d’éparpillement des voix. Jusqu’en avril, seul le second tour fait l’actualité (comme le montre un article du Parisien)… avec le résultat que l’on sait.
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Crédit photo : dalbera / Flickr
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