CityZen est parti pour plusieurs mois au Nigeria travailler dans l’éducation. Il nous raconte ici son quotidien pas banal dans un pays où « chaque jour compte et la vie n’est pas chère »…
Se lever et saluer le Nigeria au jour le jour, c’est un peu saluer le premier de classe et le cancre, le businessman et le famélique, dans une même poignée de main. On côtoie les plus grosses fortunes du continent et devant leur maison les vendeurs tenanciers. On travaille peut-être avec le premier pays africain à entrer un jour au Conseil de sécurité de l’ONU, qui est aussi un état hyper corrompu.
Maintenant que je vis le pays au quotidien, je souhaite comprendre comment la réalité reflète les chiffres de l’INED, de la Banque Mondiale, de la CEDEAO, etc. Le Nigeria, un pays de chiffres : les dollars du pétrole, le taux d’accroissement naturel, la corruption, l’insécurité, la balance touristique, le rang du pays en Afrique et dans le monde à plus ou moins longues échéances, etc.
Mon impression générale est que le Nigeria a un potentiel énorme du fait de ses deux ressources : le pétrole et sa population, mais que ces richesses ne sont pas mises en valeur, ne sont pas encouragées, ne sont pas investies. Pire, elles constituent le ferment d’une violence intarissable et endémique ; un sentiment que l’on sent de manière latente mais intense au Nigeria.
Le Nigeria, un « far-west sans foi ni loi »
Le quotidien, les nouvelles nationales, les faits divers, les anecdotes, les histoires entre collègues et conversations entre amis ne cessent de rappeler que le Nigeria est un véritable volcan en activité. Dès que la routine semble reprendre ses droits dans notre quotidien, des « piqûres de rappel », c’est-à-dire des incidents (et c’est souvent un euphémisme) viennent réaffirmer que le Nigeria n’est pas un pays de Cocagne mais un far-west sans foi ni loi où la débrouille et la violence sont les réponses obligées à une désorganisation généralisée et à une corruption amère pour le petit peuple.
Il en ressort le tableau d’un pays où les pauvres regardent en haut, se tapent dessus, s’arnaquent mutuellement pour gravir jusqu’au sommet de la pyramide sociale qu’ils n’atteindront jamais. Cette situation créé des tensions sociales énormes qui amènent certains au crime et au cambriolage. Fait-divers de taille au mois d’août, cette attaque
par des bandits de grand chemin d’un bus sur une route Lagos-Abuja. Au barrage, les brigands ont arrêté et cambriolé un bus civil et ont forcé les sinistrés à s’allonger sur la chaussée face contre terre afin de mener à bien leur entreprise de pillage ou pire afin de forcer d’autres véhicules à s’arrêter. C’est finalement un autre bus (sans doute de la même compagnie) qui n’a pas voulu, ou pu s’arrêter et a laissé derrière lui une bouillie de dizaines de morts !
Au jour le jour, 90 % des gens se limitent à la survie, au bricolage, le tout dans une ambiance de superstition et de foi délirantes (la religion comme opium du peuple, c’est toujours vrai ici, où la télévision n’a pas – encore – pris le dessus dans la manipulation et l’abêtissement des masses).
Le président nigérian, mieux payé que Barack Obama ?
Les 10% restant jouissent de conditions de vie que nos présidents mêmes ne pourraient s’offrir. Un Allemand travaillant avec le gouverneur d’Enugu assure qu’on ne peut pas imaginer l’argent qui est brassé et qui circule en cercle fermé. Des montants allant au-delà du commun des mortels ! On dit que Goodluck Jonathan, président du Nigeria, gagne bien plus que Barack Obama. Les parlementaires touchent des millions de nairas à chaque fois qu’ils s’asseyent dans l’hémicycle. Des panneaux politiques douteux couvrent toute la ville et arborent les visages paisibles et vainqueurs des bons satrapes. C’est une vaste mascarade politique et financière amalgamant foi et politique pour le plus grand asservissement des libre-arbitres et des consciences. Plus besoin de promesses, plus besoin de programme ou de réalisation, Dieu veille au grain et reconnaît les siens.
Une police corrompue et pas toujours courageuse…
Est-ce du racisme si, étant blanc, je suis salué poliment lorsque je roule en voiture diplomatique : «What do you have for me, mister ? – My greatest smile, sir !», et si en revanche mon ami nigérian qui me trimbale cahin-caha sur sa moto est prélevé à chaque check-point d’une taxe représentant une demi-journée de travail ? La police nigérianne, c’est une bande de voyous en uniforme, un gang organisé, une mafia officielle qui agit impunément.
Il n’y a pas de barrage plus fréquent et plus coûteux pour les nerfs du pays que ceux des forces de l’ordre. Hier, on racontait qu’un policier à un check-point aurait fait usage de son arme pour vingt nairas (tarif officiel et officieux, 0,1 cent d’€) sur un chauffeur de van récalcitrant. Par contre, le kamikaze qui a causé la mort de 18 personnes au siège de l’ONU à Abuja le 26 août dernier aurait passé deux check-points de police avant d’arriver sur place… si cette information est avérée, nul doute que ses dernières dépenses en ce bas monde soient allées directement dans la poche des policiers. La vérité est que l’on ne peut absolument pas compter sur eux en cas d’attaque. Car dès qu’une kalachnikov retentit, le poulet se fait poule mouillée.
Des policiers armés mais peu dangereux pour les malfaiteurs
Chose vue ! Nous étions avec mon directeur sur la route d’Nsukka pour visiter une annexe de l’Alliance française à 100 kilomètres d’Enugu lorsqu’on nous prévient par portable qu’il y a une attaque de banque en ville et qu’il vaut mieux rester en périphérie. Nous avançons donc lentement puis nous arrêtons là où tous les taxis-brousse sont rangés, dans l’incertitude. Le souffle est court. Un pick-up de police nous dépasse doucement en direction de la ville. À l’arrière du véhicule : trois ou quatre Rambos, bardés de mitraillettes, le regard méprisant, la dégaine virile, le muscle saillant, bandana sur la tête. On croirait de vrais mercenaires, durs comme des hommes en somme.
Deux minutes après, le même véhicule repasse, mais en sens inverse, cette fois-ci à tombeaux ouverts, devant la population, sans donner d’ordre, ni faire aucun signe. Le message est clair : chacun pour sa peau. En effet, on entendait déjà les braqueurs qui couvraient leur fuite en tirant en l’air des salves de kalachnikovs. Les gens sur le bas côté ont juste eu le temps de courir se réfugier derrière de hauts murs ou se jeter dans le fossé pour éviter les balles perdues… Il n’y a pas de problème à avoir peur de braqueurs à crans, prêts à tout et hyper-armés. J’accepte que les forces de l’ordre ne pouvant riposter fuient devant une fusillade. Mais qu’ils ne préviennent pas, qu’ils ne disent pas « cachez-vous » et exposent ainsi les civils par leur arrogance et leur pusillanimité, à des dommages, voilà une conduite d’assassins qui n’ont pas leur place au rang des hommes. Un seul civil aurait été tué ou blessé, ces « policiers » auraient du sang sur les mains.
Après une telle expérience, on est vacciné. Et on apprend à ne rien attendre d’un corps qui a pour devise plus ou moins universelle « protéger et servir ».
« Trouver plaisir à vivre dans une société peu sécurisée »
En conclusion, malgré tout, je dirais qu’on trouve plaisir à vivre dans un monde qui n’est pas assuré. C’est là, je pense, la différence fondamentale qui existe avec le monde occidental sous sédatifs et antidépresseurs qui, nous privant d’expériences, de dépassement de soi et d’insécurité, semble générer des cas de faiblesse et d’infantilisme généralisés dans le corps social.
Le monde nigérian est une adrénaline quotidienne, un challenge répété. C’est un monde certes ultra-sécurisé avec barreaux et barbelés, avec police et kalach … mais c’est un monde sans assurance-vie, sans compensation, sans service après-vente ni service-clientèle… un monde où chaque jour compte et où la vie n’est pas chère.
Crédit photo : CitiZen
D’autres reportages sur Retour d’actu, dont ce premier épisode de la série de CitiZen, une présentation du Nigeria.