Le dopage, « grand absent » des JO

Nous avons foi aux Jeux olympiques. Et évitons agréablement de nous poser des questions sur le dopage, alors que plusieurs indices convergent pour attester son rôle décisif dans les performances actuelles des sportifs.

« Les sportifs professionnels se dopent tous. » Tout le monde le pressent, plus ou moins. Étrangement, personne ne s’en scandalise ou ne souhaite creuser le sujet. Pourquoi ? Parce que le sport apporte « du rêve » aux spectateurs, et rapporte de l’argent à presque tout le monde. En temps de crise, nous n’allons pas bouder notre plaisir.

Les faits plaidant en faveur du dopage généralisé ne manquent pas. On se souvient des déclarations de Johnny Hallyday sur Zidane, selon lesquelles la légende du foot se faisait des perfusions dans une clinique suisse. Il suffit, encore plus bêtement, de constater les performances surhumaines des plus grands sportifs de la planète pour ne plus se faire d’illusions. Est-il possible de courir comme un lapin pendant 90 minutes sans montrer d’intenses signes de fatigue ? Des centaines de footballeurs y parviennent jusqu’à deux fois par semaine. Est-il possible de jouer près d’une centaine de matches de tennis en un an, sans en perdre plus de dix ? C’est devenu banal pour certains joueurs. Est-il crédible qu’un seul pays réussisse à conquérir, à lui tout seul, les deux premières places sur les podiums hommes et femmes du cent mètres, le podium complet du 200 mètres hommes, la médaille d’or du relais quatre fois cent mètres hommes avec un record du monde explosé à la clé, et on en passe ? On en rêvait, la Jamaïque l’a fait.

« Les mecs qui trichent n’ont même pas peur des contrôles »

Dans une interview réalisée par Mustapha Kessous dans Le Monde (13/08/12), l’athlète français Bertrand Moulinet est clair : « Il y a des substances, aujourd’hui, qui sont indétectables : tu peux aller tranquille au contrôle, tu peux même te faire une piqûre juste avant un prélèvement. Les peptides anabolisants, par exemple, sont fabriqués dans des laboratoires clandestins et sont moins chers et plus faciles à produire que de l’hormone de croissance.  […] La lutte anti-dopage, c’est une blague ! Les mecs qui trichent  n’ont même pas peur du contrôle. S’ils agissent bêtement , on les attrape, mais avec un vrai toubib, on te chopera jamais. »

Encore ? Victor Conte, ex-directeur du laboratoire Balco, au cœur d’un scandale lié au dopage il y a quelques années, estime que 60 % des athlètes aux JO sont dopés. Pour lui, les contrôles anti-dopage devraient avoir lieu 9 mois avant les épreuves.

D’une certaine manière, nous en sommes donc à un point où il ne serait guère surprenant d’apprendre que la majorité des sportifs de haut de tableau ont recours au dopage. Dans un tel contexte, qui considère leurs performances et leurs statistiques sans broncher est un croyant.

Assumons que nous préférons le sport avec dopage

Accepter des résultats atteints grâce au dopage n’est bien sûr pas gênant en soi. L’insupportable est que tout cela reste caché. Assumons donc les goûts de l’époque ! Assumons le fait que l’humain ancien nous ennuie, ne nous convient plus. Que les corps d’antan sont définitivement dépassés. Que nous ne serions pas contre, somme toute, de prendre des pilules qui nous rendraient plus productifs, rapides, efficaces, désirables. C’est probablement ce qui nous attend dans le siècle qui vient.

Disons-le haut et fort pour, au moins, en finir avec cette ridicule omerta. Aujourd’hui, il est tout à fait envisageable qu’une sorte de marché noir des produits dopants soit en pleine expansion. Que la carrière d’un sportif soit déterminée, à 80 %, par la qualité de son dopage. Que des milliers de médecins plus ou moins véreux s’occupent de leurs poulains. Que le premier réflexe d’un sportif, est rentrant à l’hôtel, soit de se faire une intraveineuse de produits louches. Ce n’est pas de la paranoïa que d’imaginer cela, mais du bon sens, et l’application d’une règle de base : là où il y a beaucoup d’argent en jeu, les hommes sont prêts à tout, le plus souvent au pire.

Pourtant, on continue de regarder, d’admirer, sans oser réaliser que nous sommes en train de poser les bases d’une humanité version 2.0 qui, est-il utile de le préciser, ne sera en aucune manière plus heureuse que la première. Quelle absurdité ! Quand on voit qu’en un siècle, les sprinteurs de 100 mètres n’ont gagné qu’une seconde sur la distance, on peut bien se demander à quoi servent tous ces entraînements, ces efforts, ces progrès de la « médecine ». Si le sport est censé donner du plaisir, et que 99 % des spectateurs seraient incapables, à l’œil nu, de voir une différence entre un coureur en 10’6 ou en 9’6, pourquoi toute cette mascarade ? Pourquoi ce dogme du chronomètre ? Parce que nous sommes des cultures en mal de sacré, en mal de sens, et il ne nous reste plus, fourmis travailleuses, techniciens angoissés, qu’à nous prosterner devant nos petites conquêtes chiffrées en mettant sur pieds des sortes d’êtres humains augmentés.

Un Usain Bolt pathétique, dopé à la gloriole

Comme il est rappelé dans le film L’homme qui tua Liberty Valance : vous avez la réalité et la légende, on imprime toujours la légende. Lance Armstrong l’avait bien compris, en servant sa fable du miraculé du cancer ; pour embrouiller les gens, les faiseurs d’histoires le savent bien, sortez-leur la fable dont ils rêvent tous, ils penseront moins aux seringues, finiront même par les oublier. Usain Bolt, dopé ou pas, connaît cette méthode. Il est même le symbole du néo-sport : bling-bling et dépourvu de classe. Nous pouvons ainsi lire ses propos dans Le Monde : « Attendez, j’ai une chose à ajouter. Je suis une légende vivante : dites-le bien partout ! J’insiste bien… Si vous ne dites pas à tous les gens de vos pays, à la télé, à la radio et dans les journaux, que je suis une légende vivante, je ne donnerai plus jamais d’interview. » La salle bourrée de reporters des quatre coins du monde éclate de rire. Il quitte la pièce sous les applaudissements. »

Tout le monde applaudit ? Même les journalistes ? Scène bien déplacée. Athlète pathétique, dopé à la gloriole. Les médias savent ce qu’il leur reste à faire : régulièrement lyncher médiatiquement un type qui aura eu le malheur de se doper moins intelligemment que les autres. Et surtout, en faire des tonnes sur les « chronos légendaires » et les « buts d’anthologie ». Pour ne pas laisser le temps de voir qu’il n’y a là rien d’autre qu’une grosse arnaque portée par des types inspirés par tout sauf l’esprit sportif.

Crédit photo : Bernard LE BRETON / Picasa

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