Entre 55 et 57% d’abstention lors du premier tour des élections cantonales… La démocratie de proximité que beaucoup appellent de leurs vœux a décidément du plomb dans l’aile.
« Le PS en tête, l’UMP talonnée par le FN » titre Le Monde à l’issue du premier tour des élections cantonales des 20 et 27 mars.
Le constat n’est pas inexact, mais il est incomplet : une fois de plus, le véritable gagnant du scrutin, c’est l’abstention. Entre 55 et 57% des inscrits ont « boudé les urnes ». Libération ne manque d’ailleurs pas de rappeler que celles-ci sont surtout « pleines de vide » ce dimanche. Avec la confirmation de la bonne santé socialiste (25% des suffrages), l’effondrement de l’UMP (17%) et la percée du Front national (15%), le syndrome « pêche à la ligne » est l’une des plus importantes informations de la soirée.
Certes, on pourra avancer que les élections cantonales sont loin de faire la une de l’actualité en ce moment, les journaux bondissant plutôt sur tout ce qui concerne le Japon et la Libye. De même, on pourra relativiser ce mauvais score en précisant que le renouvellement des cantons n’était pas « couplé » avec un autre scrutin local plus porteur, tel que des régionales. Pour autant, le fait qu’un électeur sur deux ne se soit pas déplacé est pour le moins paradoxal, alors que tant d’entre eux sont si promptes à dénoncer le « manque de proximité » et « l’éloignement » des politiques. Avec le maire, le conseiller général est en effet un élu en charge d’affaires qui impactent très directement sur la vie du tout-un-chacun.
Routes, collèges, économie…
A bien des égards, il n’est même pas d’élu plus proche que le « cantonnier ». Pour rappel, celui-ci gère la construction et l’entretien des routes départementales que l’on emprunte chaque jour : ce sont plusieurs milliers de kilomètres de chaussée, pas moins, qui dépendent de chaque Conseil général de France. Cela signifie que les élus de ces territoires décident notamment des fameuses déviations, si prisées dans les petits villages et les secteurs de campagne.
Autre affaire d’importance : les collèges. Très concrètement, à part la paye des enseignants, ce sont les conseillers généraux qui ont la main sur tout dans ce secteur : construction de nouveaux établissements, extension et entretien des locaux, équipement en matériel… Ce sont également les Départements qui gèrent l’ensemble des transports scolaires – y compris en ce qui concerne les allers-retours vers les cantines – et qui décident d’attribuer ou non des subventions pour les « extras » : en fonction, les élèves auront, ou pas, la chance d’aller au cinéma, au théâtre, à la piscine…
Côté économie, les compétences ne sont pas moindres non plus. Les « cantonniers » ont la possibilité, entre autres, d’accorder des aides aux entreprises de leur département. Ils peuvent également doter le territoire d’infrastructures susceptibles de le rendre attractif : le développement du haut-débit dans les « zones blanches » n’est qu’un exemple parmi d’autres.
L’action sociale au cœur des politiques départementales
Enfin et surtout, les Conseils généraux sont les chefs de file de l’action sociale dans leur territoire. Généralement focalisés sur les résultats et sur les « têtes d’affiche » au soir des scrutins, les journalistes le rappellent bien peu. Ce qui est fort dommageable en ce temps de crise et de réforme de la dépendance…
Pour rappel, les Conseils généraux assurent la gestion de trois grandes prestations de solidarités : l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) pour les personnes âgées, la Prestation de compensation au handicap (PCH) et la plus grosse partie du Revenu de solidarité active (RSA). Et si ces compétences sont obligatoires, si les élus n’ont pas leur mot à dire sur le droit des bénéficiaires, ils mettent cependant en place les « plus » accompagnant chacune de ces prestations.
Ainsi, en matière de RSA, les conseillers généraux peuvent choisir de s’en tenir au versement de la prestation, ou bien en faire davantage : bilans de santé, actions contre l’illettrisme, travail avec Pôle Emploi… Ce qui multiplie les chances, pour les bénéficiaires, de retrouver un emploi. Les Départements décident aussi des ouvertures de places en maison de retraite. Surtout, via l’aide sociale, ils financent l’hébergement des personnes dépendantes qui n’ont pas les moyens de le payer.
Passons sur la protection maternelle et infantile, également gérée par le Département. Et rappelons tout simplement qu’en cas de coup dur (problème de santé, d’emploi…), les centres médico-sociaux des Conseils généraux sont dans bien des cas le premier recours des administrés.
La démocratie de proximité existe déjà
Inutile d’en rappeler davantage pour constater que les Départements sont en contact direct avec les citoyens. Au vu de leurs compétences, il est même à peu près certain que les choix des conseillers généraux ont plus d’impact sur la vie des Français que nombre de politiques nationales. Mais rien à faire, on continue à ignorer les cantonniers. Le JDD rappelait même que 57% des Français ignoraient avant le scrutin si leur canton était renouvelable ou non. Oups…
Pour rappel, Retour d’actu n’a rien contre l’abstention et a déjà pris la défense des « pêcheurs à la ligne ». Mais en l’occurrence, est-ce vraiment aux politiques qu’il incombe de se rapprocher des électeurs ? Partout, on s’acharne à mettre en place une « démocratie de proximité », dont les conseils de quartier sont le plus bel exemple. Beaucoup de « citoyens » semblent avoir oublié que cette démocratie de proximité existe déjà, et qu’elle est à portée de vote.
Crédit photo : JaHoVil / Flickr
A faire : le quizz du Monde sur les élections cantonales. Voir aussi le résultat des courses au soir du premier tour sur Libération.
D’autres points de vue politiques sur Retour d’actu… en particulier une analyse psychologique de la manipulation des masses et une interrogation lancinante : l’électeur du FN a-t-il un cerveau ? Retour aussi sur le simplisme journalistique…