« Tout est de la faute des journalistes ! » Les gens qui éructent ainsi se rendent-ils compte que ces remarques naissent où naît le plus médiocre des racismes ? C’est-à-dire dans la jalousie.
L’affaire DSK a été une nouvelle occasion d’entendre le célèbre poncif suivant : « tout est de la faute des journalistes », ou l’une de ses multiples variantes, « tout est de la faute des politiques », tout comme on savait tous, déjà, que « la crise c’est la faute des banquiers », etc.
Il faudrait tout de même rappeler que ce genre de propos, largement impunis (ce qui n’est pas scandaleux), et même facilement excusés, sont une forme light de misérable « racisme » (nous mettons entre guillemets ce mot devenu presque trop honorant pour ce qu’il désigne). Car qu’appelle-t-on, finalement, « racisme » ? Isoler une catégorie de gens et leur apposer telle ou telle responsabilité, tel ou tel critère, de manière stricte. C’est une folie douce, qui naît de la jalousie.
« Ceux-là jouissent plus de la vie que moi… »
La preuve ? Tous les arguments « racistes » partent du principe qu’on « abuse de nous ». Les immigrés violent nos femmes… Ils sont polygames… Ils profitent des allocations familiales… Ils paient moins d’impôts… Les Juifs sont riches… Ils tiennent le pouvoir… Les politiques sont des pervers qui se protègent mutuellement… Ils jouissent bien de la vie, eux… Les journalistes sont proches d’eux…
Ils « abusent de nous », autrement dit : « ils jouissent plus que nous ». Cette caste de gens jouit davantage de la vie que moi, alors que je le mérite tout autant – avec l’erreur de raisonnement suivante : il est bien évidemment impossible de quantifier la jouissance de quelqu’un, encore moins celle d’un groupe de personnes, et donc impossible de trouver un moyen de la comparer à la sienne. Mais souvent, cette crainte de ne pas réussir sa vie, c’est-à-dire de jouir peu, remonte à tellement loin dans l’histoire personnelle qu’elle échappe parfois à la conscience de celui qui en est l’objet.
Le « racisme », un échappatoire parfait
C’est ainsi un échappatoire très confortable : au lieu de se concentrer sur sa tache, d’avoir la vie que l’on a toujours intimement désirée, on va pointer du doigt tel ou tel groupe de personnes qui nous gâchent la fête. Simple. Au lieu d’oser aller draguer la nana qui nous plaît vraiment, d’avoir le job de nos rêves, d’avoir mieux orienté sa vie, d’assumer la charge de l’existence et son lot de souffrances, on va désigner un ou des moutons noirs. Le « racisme », c’est la noblesse qui rend les armes, c’est le regard qui perd son brillant et sa touche personnelle, bref un beau constat d’échec qui n’ose pas dire son nom et prend, comme toujours quand la faiblesse de caractère intime commande, des attitudes de victime et parle « morale ».
Aujourd’hui, cela ne choque personne, et encore une fois ce n’est pas bien grave, que l’on accuse les « journalistes » dans l’affaire DSK. Il en irait évidemment autrement si l’on avait dit que c’était de la faute des Juifs, ou des Arabes. Mais ce que l’on appelle le « racisme » prend des formes différentes selon la période, selon la configuration des pouvoirs en place. Le fait que l’on attaque impunément les journalistes, alors qu’ils ont déjà un genou à terre vu les difficultés financières actuelles du secteur de la presse, montre en tout cas qu’ils ont beaucoup moins de pouvoir qu’on ne leur en prête (l’opinion publique n’attaque quasiment jamais un pouvoir dominant, toujours un pouvoir diminuant).
Un argument imparable pour montrer à quel point le journalisme est une profession plutôt en situation de victime, dans le contexte actuel : dans quel autre secteur serait-il possible d’imposer une concurrence déloyale (car les journaux gratuits sont incontestablement une concurrence déloyale) ? Imagine-t-on une baguette de pain gratuite, du tabac gratuit, du papier-toilette gratuit ? Non, et c’est normal. C’est évidemment interdit. Sauf dans le journalisme. Mais à part ça, on trouvera toujours des énergumènes pour estime que les journalistes forment une caste très puissante… Le racisme, comme l’amour, rend totalement aveugle, on le savait déjà.
Koulaks, Tutsis, Juifs… on a les coupables qu’on peut
De leur côté, les Communistes avaient décidé, au siècle dernier, que les paysans riches, les Koulaks, étaient la plaie de leur société. Direction Goulag. Au Rwanda, en 1994, les méchants profiteurs à exterminer au plus vite pour rendre le monde meilleur, c’étaient les Tutsis. On a le « racisme » qu’on peut, mais l’ultime résultat est toujours le même : un massacre inutile, si ce n’est à soulager pour un temps tous les cinglés de la planète.
Autrement dit, et pour conclure, le racisme est tout naturel, permanent, protéiforme, il relève d’un réflexe profondément humain de toujours avoir l’impression intime – pourtant fausse – que certains « autres » jouissent davantage que nous. Ce réflexe est censé s’amoindrir dans les zones civilisées de la planète, mais il semble que son pouvoir soit largement supérieur à toutes les lois du monde, et même que toutes les consciences et les bonnes consciences du monde… A un certain niveau de souffrance personnelle, la plupart des gens n’encaissent plus : ils lâchent la bride à ces pulsions intimes qui n’ont alors plus honte d’elles-mêmes.
Crédit photo : A Siegel / Flickr
D’autres points de vue sur Retour d’actu, dont ce papier discutant de la responsabilité des journalistes dans l’affaire DSK, ceci sur le manque de sens du tragique à notre époque, ou ce petit résumé de Psychologie de masse du fascisme du psychanalyste allemand Wilhelm Reich.