Quand le discours gagne sur l’analyse

A un an du premier tour des élections présidentielles, les médias parlent beaucoup des hommes et des femmes politiques, mais souvent trop peu des dossiers de fond.

A un an jour pour jour des élections présidentielles, les médias, les analystes et les sondeurs n’ont jamais semblé si affairés pour savoir QUI va l’emporter. Sera-ce Nicolas Sarkozy, qui joue actuellement les équilibristes pour ne pas perdre les voix de l’extrême droite tout en conservant le centre ? Dominique Strauss-Kahn dont la candidature officielle n’est pas actée ? Un ou une autre socialiste, à supposer que DSK ne se lance pas ? Sachant que les calculs des uns et des autres peuvent être biaisés par la montée de Marine Le Pen, le poids potentiel des écologistes, des représentants du centre droit, de l’extrême gauche, du trublion Mélenchon…

A tourner et retourner ces données dans tous les sens, les médias n’en finissent plus de tenter de visualiser le futur. Ce petit jeu, un an avant l’échéance, finit par remplacer l’analyse par une partie de devinette et de l’information « gadget ». En se focalisant sur les sondages d’opinion et les intentions de vote, les journaux parlent beaucoup plus de l’image des uns et des autres que du fond des dossiers. Ceux-ci, pourtant, mériteraient d’être regardés de près au vu de leur complexité. Ils valent mieux que les slogans dont les habillent les politiques.

Un exemple : le logement, qui est paraît-il l’une des principales préoccupation des Français… Nicolas Sarkozy disait vouloir une France de propriétaires. La phrase sonne plutôt bien. Du reste, qui ne préfèrerait pas posséder son bien plutôt que de le louer ? Mais la réalité qui se cache derrière cette thématique est plus complexe. Ainsi, dans certains secteurs où le marché n’est pas tendu, les réductions d’impôt accordées aux ménages qui construisent débouchent parfois sur l’impossibilité de revendre son bien, faute d’acheteur intéressé. Où la preuve qu’une politique du logement est nécessaire afin d’organiser cette « France des propriétaires ».

Quand cela se couple avec la décision de l’Etat de piocher dans la trésorerie du logement social, et donc de limiter encore plus le nombre de HLM après avoir ponctionné un milliard d’euros sur le 1% logement, on se dit que le thème de l’habitat vaudrait un décryptage complet, une synthèse. Mais ce sujet n’a malheureusement guère été traité par la presse généraliste, si ce n’est sous forme de point d’actualité.

Un traitement trop en surface

Autre exemple avec la réforme des collectivités territoriales, dont les médias ne se sont pas vraiment emparés. Il est vrai que le rapport qui la présente est plutôt dense. Il est vrai également que cette réforme pourrait être radicalement modifiée si les socialistes revenaient au pouvoir en 2012. Pour autant, la fusion -entre autres – des conseillers généraux et des conseillers territoriaux mérite un peu d’attention. Cela soulève plusieurs questions majeures, politiques et techniques à la fois. Quid par exemple de la représentation des conseillers territoriaux dans les organismes extérieurs (ARS, etc…) alors que ceux-ci seront nettement moins nombreux ? Et comment s’organiseront les futures communautés de communes et « métropoles » sur le territoire ?

Mais encore une fois, sur le sujet, les médias ont pour la plupart traité les choses en surface, même si certains ont pu faire exception, comme la Gazette des communes. Ainsi, dans le dossier que L’Express consacre à la réforme, l’avis des politiques apparaît bien davantage que l’analyse des modifications qui s’opèrent sur les collectivités.

Les exemples du même genre ne manquent pas. Ainsi, la réforme du financement de la dépendance a essentiellement été traitée façon « chiffres de la sécu » : quelques grands chiffres souvent répétés (le nombre de personnes dépendantes et leur progression, le coût de l’APA…) mais peu de « focus » sur d’autres questions clé, comme les solidarités familiales.

Face au manque d’analyse de fond, on se raccroche au discours politique

Faut-il déduire de tout cela que nous sommes définitivement entrés dans l’ère du rapide, du pré-mâché, du « facile », un temps où la véritable analyse n’a plus sa place ? Est-on noyé sous une avalanche de données et de chiffres en tous genres qui empêchent de prendre de la hauteur, et d’avoir une vue d’ensemble ? Ou doit-on supposer que les dossiers qui intéressent les Français se sont complexifiés et technicisés à un point tel que les médias n’ont plus le temps -ou les compétences- pour les traiter correctement ?

Le fait est que cette tendance à ne pas aller suffisamment au fond des choses force souvent à se raccrocher à un avis plutôt qu’à une analyse… ce qui permet au politique de tricher avec la réalité. Il est toujours possible de trouver l’événement ou le chiffre qui justifie le reste du discours. Cela transparaît parfois : Libération s’efforce de servir des « désintox » à ses lecteurs. Et récemment, l’un blog du Monde notait le détournement de chiffres dans le discours du secrétaire d’Etat Benoît Apparu.

Mais dans bien des cas, la presse se contente de se calquer sur l’agenda politique et de répéter les déclarations des uns et des autres. L’avis scientifique fait alors cruellement défaut. La chose est particulièrement constatable avec des questions sensibles. Prenons l’exemple de la sécurité. Celle-ci a été presque systématiquement mise en avant par l’UMP lors des élections locales ou européennes. Mais pour quelle réalité ? Les rapports publiés sur le sujet, mais sans doute pas suffisamment exploités et mis en avant par les journaux, montrent que les crimes les plus graves ont tendance à diminuer. Mais « la lutte contre la délinquance » reste pourtant un thème électoral majeur… et porteur.

Autre exemple de sujet épidermique et sur lequel on se prononce sans vraiment savoir : l’immigration, couplée à son coût supposé. On avance souvent que l’afflux d’étrangers sur le sol national doit être limité, arguant qu’on ne peut pas « accueillir toute la misère du monde ». L’immigration a certes un coût en terme de structures d’accueil et d’aides sociales. Mais un journal s’est-il déjà penché sur ce que rapporte l’immigration ? Par exemple en matière d’impôt sur le revenu, ou de TVA ? Jacques Attali avait un peu évoqué le sujet au moment de son rapport sur la relance de l’économie, et quelques journaux ont fait état d’une étude sur le sujet au moment de la Journée sans immigrés. Mais guère plus. Et au vu de la progression actuelle de Marine Le Pen, on peut se douter que, sur ce sujet comme sur d’autres, c’est le discours et non l’analyse qui l’emporte.

Crédit photo : parti socialiste / Flickr

A lire aussi sur ce blog : un point de vue sur la « liberté » que défend Skyrock, et un autre sur le programme frileux du Parti socialiste.

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