Présenté il y a quelques jours, le programme du PS suscite des réactions mitigées. Avec un œil nostalgique, on ne peut que constater que le socialisme n’a décidément plus pour ambition de modifier en profondeur les bases de la société.
Il y a quelques temps, Éric Le Boucher, co-fondateur du magazine en ligne Slate, publiait une chronique au titre grinçant, mais parfaitement clair : « Le PS n’a aucun programme ».
Avec la récente présentation du projet socialiste pour 2012, l’ex « Monsieur économie » du Monde a de nouveau sorti l’arme lourde pour tirer sur Aubry et ses camarades. Oui, le PS a bien un programme. Mais celui-ci est « sérieusement décevant ». Et de s’appuyer sur des chiffres tels que le déficit extérieur de la France pour démontrer à quel point il ne tient pas la route.
Trop orientées idéologiquement pour la plume libérale d’Éric Le Boucher, les mesures sont au contraire jugées trop laxistes par d’autres. Et certains économistes ne se privent pas de rappeler que le chiffrage du projet ressemble davantage à du bricolage qu’à un travail sérieux. Mais au-delà de la querelle sur l’orientation et la faisabilité, il est un autre reproche que l’on peut faire au Parti socialiste : celui n’a décidément plus l’ambition de changer la vie.
1981 : l’abolition de la peine de mort, les nationalisations, la décentralisation…
« Changer la vie », tel était le slogan de François Mitterrand et des socialistes au pouvoir en 1981. Entrés en force à l’Elysée et à l’Assemblée, ils ambitionnèrent clairement, avant de se heurter à la crise économique, de bâtir cette nouvelle société imaginée plusieurs années plus tôt dans un projet défini avec le Parti communiste.
Le changement, alors, en fut vraiment un. On se souvient bien sûr de l’audacieux programme économique socialiste : nationalisation des principales banques et de plusieurs grands groupes industriels, augmentation du SMIC de 10% et des allocations familiales et logement de 25%, création de l’impôt sur les grandes fortune, semaine de 39 heures, instauration d’une cinquième semaine de congé payés, retraite à 60 ans…
A se souvenir de mesures dont la simple évocation provoque l’effroi aujourd’hui jusque dans les rangs du PS, on en oublierait presque que les socialistes de l’époque Mitterrand avaient également voulu faire sauter d’autres barrières, sociales et culturelles celles-là. Les années 1980 furent celles des radios libres, de la première fête de la musique, de l’abrogation du délit d’homosexualité encore en vigueur, de la loi sur l’égalité salariale entre hommes et femmes…
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De même, le pouvoir socialiste s’évertua à faire de la démocratie de proximité une réalité avec les lois Deferre sur la décentralisation. Un temps, la politique fut bel et bien perçue comme cet instrument qui permet de modifier en profondeur les bases de la société. Du reste, si caricatural que semble aujourd’hui l’hymne socialiste de 1977 (ci-dessus), le message qu’il portait suscita un engouement autrement plus fort que tous les programmes et toutes les élections qui suivirent. « La France qui se lève tôt » de Nicolas Sarkozy a convaincu, mais elle n’a pas jeté sur les Champs Elysées une foule en délire convaincue que le monde changeait.
Le changement n’est plus au programme
L’échec, bien sûr, fut à la mesure de l’espoir suscité en mai 1981. Quelques années plus tard, les socialistes qui s’étaient rêvés en une implacable « force tranquille » s’abimaient dans les affaires et se muaient en gestionnaires. Il n’empêche : malgré ce retour sur terre, le coup d’œil dans le rétroviseur est douloureux, au regard de ce que tenta d’être le PS et de ce qu’il est aujourd’hui. Sans doute à la veille de reconquérir un pouvoir perdu de manière traumatisante en 2002, les socialistes n’ont en effet jamais semblé aussi peu en mesure de changer la vie.
Leurs 30 propositions pour 2012 ne proposent rien d’autre qu’un léger rééquilibrage en faveur des classes moyennes et populaires, auxquelles on promet par ailleurs un minimum de protection supplémentaire face aux excès de la mondialisation. Un programme qualifié de « vague » par Martine Aubry elle-même sur un malheureux lapsus…
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La mesure la plus emblématique de cette forme d’abnégation -pour ne pas dire de défaitisme- est la création de 300 000 « emplois d’avenir », variante des emplois jeunes de la période Jospin. Certes, un travail en rapport avec l’action sociale ou environnementale vaut certainement mieux que le chômage. Mais il ne s’agit jamais là que d’un énième emploi aidé qui, sans doute comme les autres contrats de ce genre, peinera à remplir sa fonction de tremplin.
Cela se combine à autant de mesures économiques respectables si l’on s’en tient à la tonalité, mais bien souvent vagues : développer les énergies renouvelables, soutenir la pêche et l’agriculture de proximité, répartir plus équitablement les richesses… Qui pourrait être contre à cette heure ?
Aucun bouleversement majeur
Surtout, les propositions ne bouleversent en rien les schémas actuels, et ne tendent pas à s’approcher de ces modèles économiques et sociaux tellement mis en avant au cours de ces dernières années : ceux de l’Allemagne ou des Pays nordiques. Ainsi, réinvestir une partie des profits pétroliers, pratiquer une TVA éco-modulable ou mettre en place un « parcours autonomie » pour les jeunes… Tout cela indique une volonté progressiste, mais en aucun cas un désir de changement profond.
Quant à une banque publique d’investissement qui travaillerait avec les régions, pourquoi pas, mais pour quel impact sur l’économie ? On peut se poser la même question pour d’autres mesures, comme le plafonnement des loyers, l’imposition du capital au même titre que le travail, la remise de l’hôpital au cœur du système de santé ou encore l’appel à la solidarité nationale pour financer les retraites : jusqu’à quel point et pour quels changements réels ? Ne faut-il pas voir dans ces propositions des effets d’annonce permettant de surfer sur des thèmes de préoccupation actuels ?
Enfin, en matière d’avancées sociales, on a connu le PS plus inspiré. « Généraliser le CV anonyme » et « expérimenter l’attestation de contrôle d’identité » ne fait pas vraiment rêver. Et là encore, on a droit à du (très) vague : renforcer la démocratie locale, pratiquer une politique d’immigration « juste et efficace », mettre en place un nouveau « pacte éducatif » dans des écoles qui manquent avant tout de moyens… Tout au plus peut-on saluer quelques signes de bon sens, comme une loi contre la concentration dans les médias, et le développement de l’accueil en crèches et à l’école à partir de deux ans.
Mais quid d’autres questions essentielles ? La santé, par exemple, ne devrait pas être abordée uniquement par le biais de l’hôpital. Elle inclut d’autres enjeux fondamentaux, comme la désertification médicale dans certains secteurs, et le coût des soins pour les publics les plus défavorisés. Que disent là dessus les socialistes ?
Même chose pour la question urbaine : quelle politique de la ville pour demain ? Quelle réflexion pour les banlieues ? Pour les ghettos ? Sur ce sujet également, c’est le silence radio. Une majorité de Français, selon les instituts de sondage, soutient la plupart des propositions du PS. Il y a cependant peu de chances qu’elles les expédient de nouveau, ivres de joie, sur les Champs Elysées, en cas de victoire socialiste dans un an.
Crédit photo : silabox / Flickr
A lire aussi sur ce blog : la démocratie, une mascarade ? Ou encore un regard sur les élections présidentielles de la Cinquième république depuis 1965.
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