Selon Le Parisien, de plus en plus de Français ont recours aux tests ADN pour connaître les risques médicaux qui les guettent. Une pratique très discutable… et dangereuse.
Le sujet fait la une du Parisien / Aujourd’hui en France de ce lundi de Pâques : de plus en plus de particuliers ont recours à des tests ADN réalisés hors de France, afin de savoir quels risques sanitaires les guettent.
La méthode est relativement simple : pour une petite centaine d’euros, n’importe quel internaute peut commander auprès d’un laboratoire privé -le plus souvent américain- un « kit » de prélèvement de salive. Un simple crachat dans l’éprouvette livrée par la Poste, et l’on peut réexpédier le tout à l’envoyeur. Quelques semaines plus tard, le résultat est disponible sur le site du laboratoire, dans un espace personnel. On apprend alors si l’on est susceptible d’être victime d’une crise cardiaque, de mourir de tel ou tel cancer, de développer la maladie de Parkinson ou d’Alzheimer… La « science du futur » est à portée de clic du premier quidam venu.
Bien entendu, comme pour toute question d’ordre éthique, celle-ci bénéficie d’un discours de justification : connaissant mieux les risques auxquels on est soumis, on serait en mesure d’agir en amont sur les facteurs déclencheurs. Découvre-t-on que les problèmes cardiaques nous pendent au nez ? On peut surveiller son alimentation. Que ses poumons sont fragiles ? Il est temps de limiter sa consommation de cigarettes. Pourquoi pas… mais Le Parisien note aussi que les généralistes s’inquiètent de cette pratique qui se développe.
Vers le déterminisme génétique ?
Et pour cause, puisque le processus est fortement anonymisé. On imagine aisément les dégâts psychologiques que peut provoquer la lecture d’informations médicales du type : « Votre échantillon de salive révèle une forte probabilité de développement d’une tumeur au cerveau d’ici deux ans ». Jean Leonetti, médecin et député UMP spécialiste des questions éthiques, rappelle par ailleurs que les résultats obtenus grâce à un échantillon de salive reposent d’abord sur la loi des grands nombres. En clair, ce n’est pas parce que le risque existe que la maladie se développera. Celle-ci est toujours multifactorielle et son déclenchement ou non repose tout autant sur le mode de vie que sur une prédisposition génétique.
Mais au-delà de tous ces aspects déjà largement problématiques, cette croyance dans un déterminisme inscrit dans l’ADN est révélatrice d’une tendance sociale plus grave. Se livrer au calcul du risque futur, par définition incertain, peut générer toute sorte de dérives. On retrouve là la thématique de l’étrange et effrayant univers du film d’Andrew Niccol, Bienvenue à Gattaca.
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Dans cette société futuriste qui pratique ouvertement l’eugénisme génétique grâce à quelques cellules prélevées à la naissance, seuls ceux qui disposent d’un « ADN sain » sont amenés à avoir des responsabilités. Les autres sont relégués aux tâches subalternes, leur code génétique leur interdisant toute ascension sociale. Perspective peu réjouissante que celle d’un monde qui ne laisse nulle place au caractère individuel, au volontarisme et au dépassement de sa propre condition… Dans le film, les jeunes filles qui flirtent vont jusqu’à faire analyser un cheveu du garçon fréquenté afin de savoir si celui-ci a un avenir, et donc si la relation mènera quelque part. Sympathique perspective !
On n’en est bien sûr par encore là. Mais sans aller aussi loin que Niccol, on peut néanmoins se montrer raisonnablement pessimiste devant cette programmation établie du futur de chaque individu. Par exemple, les sociétés d’assurance se priveront-elles toujours d’un tel outil pour appliquer leurs tarifs ? Et les banques au moment d’accorder un crédit ? On imagine déjà les scènes. Voulez-vous une complémentaire santé ? Pas de problème, mais vu votre ADN déplorable, vous allez douiller… Êtes-vous intéressé par un prêt pour construire votre maison ? Étant donné que vous avez 50% de chances de développer une maladie cardiaque dans les trois prochaines années, on y regardera à deux fois avant de discuter du remboursement des intérêts…
Et en allant encore plus loin ? Demain, des CV et des lettres de motivation incluant des échantillons d’ADN ? Avec la mention : « Au regard de mon code génétique, que vous trouverez ci-joint, je vous certifie que je bénéficie de 72% de chances de rester en bonne santé dans les 25 ans à venir ».
Tenter de connaître son futur, une liberté ?
Dans les pages du Parisien, certains intéressés s’empressent évidemment de démentir. Mais au vu des sommes en jeu, on peut se permettre de douter un peu de la seule moralité des entreprises pour éviter toute dérive. Après tout, des exemples pas si anciens montrent que certaines se sont déjà montrées capables de recueillir et de conserver des informations confidentielles sur leurs clients : Acadomia par exemple.
Et d’un point de vue plus individuel ? Sous l’article du Parisien, certains internautes affichent leur scepticisme. D’autres au contraire jugent que les tests génétiques relèvent de la liberté individuelle. On ne peut leur donner entièrement tort. Qui, après tout, ne serait pas tenté de décacheter l’enveloppe où une lettre annonce la date et les circonstances de sa mort ? Mais paradoxalement, et sans même parler des éventuels abus développés plus haut, tenter de lever le voile sur sa propre fin, c’est d’une certaine manière se reconnaître une liberté limitée face à un « destin génétique » supposé. On n’est pas encore à Gattaca. Mais la logique qui y mène est déjà en place.
Crédit photo : nada_que_decir / Flickr
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