Comment Orange essaie de faire payer ses petits clients

Voici le témoignage d’un petit client d’Orange, qui a reçu un coup de fil étonnant de la part du service client de son prestataire. Ce petit client se propose, en retour, de mettre à jour la tentative d’Orange de lui extorquer, avec le sourire bien sûr, un euro de plus par mois.

Dressons le portrait d’un client lambda de la téléphonie mobile : foncièrement solitaire, il a un forfait de base depuis plusieurs années, appelle peu mais utilise pas mal de SMS, et ne s’intéresse que très vaguement à tout ce qui concerne les subtilités de son abonnement.

Parfois, comme récemment, il reçoit un coup de fil du service client Orange. Qui lui propose des offres apparemment alléchantes, mais qui sont en réalité des moyens de faire payer, douiller ce petit client qui a le défaut d’être aussi petit payeur. Déshabillons la stratégie mise en place à cet effet, c’est-à-dire l’application d’élémentaires techniques de manipulation (en tout bien tout honneur).

Le client aime qu’on lui parle… de lui

Première question posée par l’interlocutrice : « Êtes-vous plutôt coups de fil ou SMS ? » Ici, le but est simple : il s’agit de faire prendre conscience au client qu’il a tendance à privilégier un mode de communication. Le client pourra se dire : « Ah, tiens, c’est vrai, j’utilise plus souvent les SMS » (cas de notre petit client).

Votre interlocutrice n’oublie certainement pas de vous dire, pour apaiser votre éventuelle méfiance, que « ce coup de fil a pour but de vous remercier de votre fidélité ». Une fois ce lien de sympathie capitaliste instauré, il est temps de lancer la proposition. « Nous vous proposons 30 minutes de coups de fil par mois gratuit pendant un an, ou bien, pour un euro de plus par mois, SMS-MMS illimités pendant un an. » Le gentil piège est évident : on vous fait prendre conscience que vous êtes utilisateur de SMS, puis on vous propose, dans la foulée, par un miraculeux hasard, une offre apparemment géniale pour les SMS-MMS, mais payante. On peut parier qu’ils doivent proposer le contraire à ceux qui sont plutôt consommateurs de coups de fil.

De la manipulation des masses à la manipulation massive de particuliers

La technique de manipulation « sympa » et ultra-rapide est bien rodée ; c’est de la manipulation de masse appliquée aux cas personnels, aux « types de clients », qui s’applique bien au mouvement moderne d’individualisation des modes de consommation (je suis ce que j’achète, d’autant plus qu’on me propose des produits différenciants).

En tout cas, il est assez évident que ces offres alléchantes ne sont pas intéressantes, la plupart du temps, pour les utilisateurs contactés (c’est bien pour cela qu’on nous les propose). Car notre petit client n’utilise pas toujours l’intégralité de son temps de forfait, et en tant qu’utilisateur modéré, ne doit pas être bien dérangé de ne plus pouvoir appeler, parfois, pendant deux, trois jours en fin de mois. A quoi bon lui rajouter 30 minutes de consommation, ce qui pourrait peut-être finir par lui faire prendre un forfait supplémentaire, ou payer un euro de plus pour une petite dizaine de SMS en plus ? Le petit client est intelligent, parce qu’il se méfie tout autant de la société que de lui-même. Il n’entre pas facilement dans le système de la flatterie.

Les bas de laine de milliers de gens sont ainsi sollicités par Orange, et comme les petits ruisseaux font les grandes rivières, cela doit se traduire par des milliers, et peut-être des millions d’euros en plus, acquis en finançant quelque centres d’appels (dont certains sont installés à l’étranger pour bénéficier de conditions de travail plus avantageuses pour l’employeur). Appeler les gens sans qu’ils s’y attendent : encore une fois preuve que les téléphones portables, et les nouvelles technologies en général, sont un excellent moyen de s’immiscer dans nos vies, de nous prendre par surprise, de nous décourager à développer et employer certaines capacités de jugement.

Les consommateurs vaniteux sont bêtes : les publicitaires l’ont bien compris

Par bonheur, donc, notre utilisateur a refusé les deux offres, puisque sa maman lui a toujours appris d’envoyer paître (le plus gentiment possible) les colporteurs, après quoi il lui fut immédiatement répondu que « nous n’allons donc pas vous déranger plus longtemps ». Voilà comment on économise douze euros qui ont failli nous être, non pas volés, non pas extorqués, non, quand même pas. Disons cordialement extirpés. Un peu comme dans ce tableau du Caravage (ci-dessous), intitulé « La Diseuse de bonne aventure », conservé au Louvre. On y voit une bohémienne, pour ne pas dire une rom, dérober avec beaucoup de touché la bague de l’un de ses clients, très fier de lui, à mille lieues d’imaginer qu’il est le dindon de la farce.

"La Diseuse de bonne aventure" (1595), Le Caravage, musée du Louvre. Crédit : Mariano Pastore / Picasa

Moralité : la vanité rend plus bête et moins méfiant, ce qui explique avec quelle application les publicitaires du monde entier cherchent à l’éveiller en nous. Cela donne une bien triste image de l’homme de constater que tant de clients donnent à fond dans ce piège, se précipitant dans les magasins, cherchant à correspondre aux canons hideux de l’époque, et obéissant au doigt, à l’œil et à l’oreille à la caste des marchands.

« La fierté, ce prix de consolation d’un monde qui a perdu la gloire, et même tout simplement la face », comme le pronostiquait Philippe Muray dans Après l’histoire II.

Crédit photo : hamille / Flickr

D’autres coups de gueule sur Retour d’actu, dont cet argumentaire d’un jeune parisien expliquant pourquoi il refuse d’acquérir un téléphone portable.

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