Le point commun entre la burqa et l’iPad ? Tous deux accentuent l’incommunicabilité qui gangrène notre société.
Sur RMC , il y a quelques jours, on pouvait entendre, dans l’émission de Jean-Jacques Bourdin, le témoignage d’une musulmane portant la burqa. Sa voix est pointue, presque fielleuse.
Bourdin lui fait une remarque : « Mais si vous allez à la poste totalement voilée, personne ne vous reconnaîtra ! » En guise de réponse, une phrase sort littéralement d’elle : « Mais moi quand je vais à la poste, j’en ai rien à foutre de savoir qui est à côté de moi ! »
Il y a le « voile intégral », mais également « l’écran intégral »
Cette phrase n’a pas seulement pour objet le débat sur la burqa ; elle résonne comme une phrase typique de notre époque. La preuve. Récemment, Steve Jobs, patron d’Apple, a présenté la dernière invention du groupe : l’iPad, fameuse tablette tactile dont on parle depuis des mois. Sur ces keynotes d’Apple, ces réunions annuelles où le patron présente ses nouveaux produits, on a lu ou entendu beaucoup de bien. On parle souvent de « grand-messe », de « génial coup de marketing ».
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En réalité, rien d’étourdissant, tout juste un américain basique en basket qui s’assoit sur un gros fauteuil, tripote son dernier gadget en ponctuant régulièrement ses manipulations par des : « Voyez comme c’est cool cette machine. Vous allez étonner vos amis. » Et la salle d’applaudir comme un seul homme à ces innovations foncièrement inutiles qui, d’ici deux mois, ne feront plus rêver personne.
Alors que quasiment toute la presse s’est extasié sur cette tablette sacrée, un article du « Canard enchaîné » a touché juste. « Il faudra recharger la batterie toutes les 10 heures. Mais ça suffit pour ‘regarder sans s’arrêter des films sur un vol New York- Tokyo’, s’enthousiasme Steve Jobs. […] Nous prenons tous les jours des vols New York-Tokyo. Nous n’avons rien à dire à nos voisins de vol. »
Les distractions engloutissent chaque parcelle de « temps libre »
Il faut observer à travers ces deux phénomènes exactement la même tendance : une société qui engloutit, seconde par seconde, les minutes de liberté et de « temps de loisir » qu’il reste aux individus la composant, par de nouvelles inventions ; un progrès technologique qui n’a pour objet que de s’emparer purement et simplement de la sphère la plus personnelle des utilisateurs, eux-mêmes soumis comme des agneaux à la vision proposée par les gourous de la technologie ou de l’extrémisme religieux.
Celui qui n’en a rien à foutre des gens qui l’entourent, au fond, déteste son corps, son existence. Tout comme cet autre qui préfère regarder six heures de films dans la mesure où ses voisins sont, selon toute probabilité, des gens comme lui, c’est-à-dire peu dignes d’intérêt. Car au fond, penser que son voisin n’a aucun intérêt revient à penser que l’on n’a, nous-mêmes, aucun intérêt.
Passer son temps à… passer le temps
Ne voyons donc pas là un « retour à l’individualisme », encore moins un « renforcement de l’égoïsme » : nous avons plutôt affaire à une régression nerveuse. Une chute de tension générale, un enlisement, un manque de confiance en soi et en les autres comme premier élément constitutif des êtres, qui passent leur temps à… passer le temps. Rien n’est plus éloigné, chez eux, que la tendance à penser par eux-mêmes, c’est-à-dire à résister aux drogues, à résister, d’une certaine manière au temps qui passe, à se l’approprier singulièrement (c’est-à-dire : à exister).
Heureusement, tout cela n’est pas bien grave. Il est et sera toujours possible aux malins d’être heureux, et même très heureux. On peut juste se désoler (pas trop longtemps) de cette défaite qui se joue.
Crédit photo : flickr / Polar lights
Plus de coups de gueule sur la page principale de Retour d’actu, dont cet article analysant la religiosité qui s’est développée autour d’Apple et de son co-fondateur Steve Jobs.