« Du point de vue d’une femme, chaque homme est une bête égoïste », par Gilbert Keith Chesterton

Gilbert Keith Chesterton est sceptique quant aux éventuels effets bénéfiques de la mixité des sexes dans les écoles. Car, selon lui, « les différences entre un homme et une femme sont tellement têtues et exaspérantes qu’elles ne peuvent pas être dépassées ».

[La version originale de cet article est disponible ici : http://www.cse.dmu.ac.uk/~mward/gkc/books/Common_Man.html#iron. La traduction ci-dessous a été réalisée par mes soins.]

En discutant une proposition telle que celle d’établir la mixité des sexes dans les écoles, il est tout d’abord souhaitable de formuler clairement le but que nous recherchons. Car la chose peut être défendue pour des raisons opposées. La mixité peut être supposée renforcer les bonnes manières entre les sexes, ou les diminuer. Elle peut être valorisée comme étant un environnement propice à développer des sentiments, ou comme un étouffoir pour les sentiments. Mon opinion sur le sujet dépend donc des objectifs visés par ses défenseurs.

En ce qui me concerne, je pense que la mixité sera sans effets. Bien sûr, tout le monde doit être en faveur de la mixité pour les très jeunes enfants ; et je ne peux pas croire que cela ferait même beaucoup de mal aux aînés. Mais je vois les choses ainsi parce que j’estime que l’école n’est pas une chose aussi importante que les gens le pensent aujourd’hui. Le foyer est la chose réellement importante et le restera toujours. Les gens pensent que les pauvres négligent leurs enfants ; mais un petit garçon des rues porte davantage les marques d’avoir été élevé par sa mère que de s’être entendu enseigner l’éthique et la géographie par un instituteur. Et si nous suivons ce parallèle avec le foyer nous pouvons voir, je crois, exactement ce que la mixité peut faire et ce qu’elle ne peut pas faire. L’école ne fera jamais des garçons et des filles des camarades ordinaires. Pas plus que ne le fait le foyer. Les sexes peuvent aller à l’école ensemble comme ils peuvent prendre le petit-déjeuner ensemble ; mais rien ne changera le fait que les garçons se laissent aller à des manières de garçons que les filles trouvent dégoûtantes, alors que les filles se laissent aller à des manières de filles que les garçons trouvent complètement folles. Mettez autant de mixité que vous le voudrez, il y aura toujours un mur séparant les sexes jusqu’à ce que l’amour ou le désir ne l’abatte. Votre terrain de jeu mixte pour les adolescents ne sera pas un endroit de camaraderie asexuée. Cela sera un endroit où les garçons déambuleront, par groupe de cinq, en grognant boudeusement à la vue des filles, et où les filles se promèneront deux par deux en dédaignant les garçons.

Si vous acceptez cet état de fait et en êtes satisfaits comme étant le résultat de la mixité, je suis de votre côté ; je l’accepte comme l’un des premiers faits mystiques de la Nature. […] Mais si vous pensez que la mixité ferait davantage que provoquer deux fois par jour des parades des sexes l’un devant l’autre, si vous pensez que cela détruira leur profonde ignorance les uns des autres ou leur donnera envie de comprendre rationnellement les choses, alors je dirais tout d’abord que cela n’arrivera jamais, et je dirais en second lieu que je serais extrêmement contrarié si cela arrivait.

Je puis exposer mon avis d’une autre manière. […] Ma vision est la suivante : les différences entre un homme et une femme sont, au mieux, tellement têtues et exaspérantes qu’elles ne peuvent pratiquement pas être dépassées, sauf s’il existe une atmosphère de tendresse et d’intérêt mutuel entre eux. Pour en faire une métaphore, les sexes sont deux morceaux de fer bornés ; s’ils l’on veut les souder l’un avec l’autre, il faut d’abord les mettre en fusion. Toute femme doit découvrir que son mari est une bête égoïste – car du point de vue d’une femme, chaque homme est une bête égoïste. Mais laissez-la découvrir l’existence de cette bête pendant que les deux amoureux vivent encore l’histoire de La Belle et la bête. Chaque homme, de la même manière, doit découvrir ce que sa femme est réellement – c’est-à-dire, une personne sensible et délicate au point d’en devenir folle : car chaque femme est folle, selon les standards masculins. Mais laissez-le découvrir qu’elle est folle pendant que sa folie mérite beaucoup plus de considération que la santé mentale de n’importe qui d’autre.

Ceci n’est pas une digression. La valeur des relations entre un homme et une femme réside dans le fait qu’ils ont commencé à se critiquer quand ils ont commencé à s’admirer. Et c’est une bonne chose. Je dis, avec la pleine conscience de la responsabilité de cette assertion, qu’il est préférable que les sexes ne se comprennent pas jusqu’à ce qu’ils se marient. Il est préférable qu’ils n’aient pas la connaissance avant qu’ils n’aient le respect et la charité. Nous ne voulons pas de ces savoirs immatures, de cette attitude infantile visant à acquérir un « savoir absolu sur les filles ». Nous ne voulons pas que les hauts mystères d’une distinction divine soient compris avant qu’ils ne soient désirés, et usés avant qu’ils ne soient compris. […]

Reste la question de savoir ce que les défenseurs de la mixité visent réellement. S’ils ont des objectifs modestes, par exemple s’ils visent à faciliter l’organisation du quotidien scolaire, à provoquer quelques petites améliorations dans l’attitude, ils en savent plus sur ces matières que moi. Mais s’ils ont des ambitions larges, je suis contre eux.

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