Antilibéraux de gauche et de droite, unissez-vous !

Pour lutter efficacement contre le libéralisme, il faut que les antilibéraux de gauche comme de droite oublient leurs querelles, discutent et fassent front commun.

Pour le dire d’une manière volontairement provocatrice, je crois que nous n’avons pas la moindre chance de menacer sérieusement l’ultralibéralisme sans parvenir à une sorte de front commun anti-libéral que l’on pourrait définir ainsi : Nuit debout-Manif pour tous.

Tout le monde sera d’accord pour dire que le libéralisme est un mouvement totalitaire et rapide de dérégulation. Le libéralisme veut des individus plutôt égocentriques et isolés, sans culture, manipulables. C’est pourquoi il dérégule. L’économie bien évidemment, mais aussi les mœurs. L’un ne va pas sans l’autre. Il faut retirer aux individus toute possibilité de faire société, de s’enraciner professionnellement, moralement, sexuellement, intellectuellement, géographiquement. Le libéralisme vend cela sous le nom de « donner sa liberté à chaque individu », alors qu’il s’agit surtout de faire de nous des « déambulants approbatifs », pour reprendre Philippe Muray. Des mous déracinés.

Bien souvent, les gens dits « de gauche », selon moi, attaquent le libéralisme d’un côté, mais le défendent de l’autre. Leur position n’est donc, à mon sens, pas totalement crédible. La réflexion anti-libérale n’est pas poussée à bout. Car on ne les entend jamais, ou trop rarement, s’inquiéter de l’eugénisme, de l’homme augmenté, du commerce des mères porteuses, de l’augmentation des divorces, des familles décomposées, de la ridicule théorie du genre, etc. Pourquoi ? Parce ce que ce n’est pas dans l’ADN de cette gauche-là. Parce que, selon cette gauche, ce sont les « réacs de droite » qui pensent cela. Parce que la gauche défend par dessus tout la « liberté individuelle ». Ils ne perçoivent pas que tout cet aspect de leur pensée est contaminé par l’idéologie libérale, qui, je le répète, n’offre pas de liberté individuelle, mais de l’abrutissement généralisé par l’édification d’une société complètement atomisée, où les réseaux de solidarité et d’entraide traditionnels (dont le premier, le plus puissant, le plus salvateur, la famille) sont tout simplement laminés. La gauche est très individualiste, paradoxalement, et elle est ainsi, visiblement sans le savoir, très libérale, et fait puissamment vivre le libéralisme qu’elle dénonce, malgré ses contestations et ses indignations qui pèsent finalement très peu sur le devenir concret de notre société.

Bien sûr, la remarque peut être retournée. Car de la même manière, chez les gens dits « de droite », on défend la famille, mais par ailleurs on défend bien souvent le capitalisme et le libéralisme économique. Parce que les gens de droite sont souvent plutôt bien lotis. Position, à mon sens, intenable. Défendre la famille et les « valeurs », ou encore défendre une certaine vision des « valeurs chrétiennes », est totalement incompatible avec le goût de l’argent, de la réussite sociale, de la compétitivité. Le pape François le rappelle d’ailleurs régulièrement, avec les réactions de rejet que l’on sait dans son propre camp.

Je caricature, bien sûr, mais il me semble malgré tout qu’il y a ici matière à réfléchir. Car il me paraît difficile de soutenir l’esprit libéral à 100% sur un point, et à 0% sur un autre. Le libéralisme, ce n’est pas à la carte. Face à une idéologie à visée totalitaire, il faut se demander si l’on est fondamentalement en accord avec elle, sur son principe. Et, selon la réponse, en tirer toutes les conséquences. Si l’on est contre l’esprit marchand, il faut s’opposer à la GPA. Si l’on veut défendre les personnes fragiles, il faut s’opposer à la sélection des embryons et toute forme d’eugénisme à venir. Si vous êtes contre les délocalisations, il vous faut soutenir l’idée de souveraineté nationale et le rétablissement de certaines frontières. Si l’on est pour l’idée de solidarité sociale, il faut défendre l’institution de la famille.

Si l’on ne va pas au bout de nos prises de position anti-libérales, notre critique ne portera pas bien loin et ne dérangera pas grand monde (ce que l’on peut constater très facilement ; les journaux sont remplies de tribunes indignées « de gauche », depuis des années, et cela ne sert strictement à rien). Si vous dites au libéralisme que vous le soutenez à mort sur l’une de ses propositions fortes (par exemple, la libéralisation absolue des mœurs), il y a peu de chances pour qu’il tremble devant votre contestation sur d’autres points. Il commencera à s’inquiéter quand vous l’attaquerez sur tous les fronts à la fois. Parce que cela signifiera que vous aurez enfin découvert de quoi il est vraiment le nom, quelle est son ambition profonde, et en quoi il est fondamentalement dangereux.

Il faudrait peut-être que chaque camp sorte de ces petits affrontements stériles entre « progressistes » et « réacs ». Il faudrait que chaque camp comprenne qu’il ne détient pas la vérité, qu’il détient, au mieux, la moitié de la vérité, et que pour gagner son combat il a besoin de l’autre moitié. Mais chacun est bloqué par son idéologie, son petit catéchisme sécurisant. Il faut que chacun se remette profondément en question et fasse des sacrifices intellectuels et moraux parce que si une idéologie politique détenait à elle seule la vérité absolue, ça se saurait depuis longtemps. Continuer à s’envoyer des anathèmes gauche-droite est irresponsable, n’est pas à la hauteur des enjeux, et c’est ça qui fait le jeu du libéralisme, plus que tout. Parce que cette idéologie totalitaire compte bien continuer à se servir de ses deux jambes pour avancer, la gauche et la droite.

Crédit photo : Nicolas Vigier, Flickr

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