Le grand dramaturge nous avait (malheureusement) bien cernés. Pour preuve : trois siècles après sa mort, les personnages de Molière et leurs défauts restent très révélateurs de notre société… comme le révèle un sondage du Figaro.fr.
Sommes-nous entourés de Tartuffes ? A en croire Jean d’Ormesson et les lecteurs du Figaro.fr, c’est certain. A la suite d’un sondage sur le site, réalisé en avril, les votants ont massivement désigné le faux dévot comme le plus « actuel » des personnages de Molière. Tartuffe donc, comme si notre monde regorgeait, ainsi que l’affirme d’Ormesson, « de gens qui font le contraire de ce qu’ils disent ».
Faut-il y voir, de la part des votants, une réaction de défiance ou de cynisme à l’égard des hypocrites et démagogues contemporains ? Peut-être… Mais contre lesquels précisément ? Nos dirigeants ? Possible… Molière lui-même affirmait que « L’hypocrisie est dans l’État un vice plus dangereux que tous les autres ». Ainsi Nicolas Sarkozy, promettant dans sa campagne présidentielle, qu’avec lui, les dictateurs du monde n’auraient plus voix au chapitre en France… et, sitôt élu, félicitant Vladimir Poutine pour sa victoire, se précipitant en Chine accompagné d’une armada d’industriels et refusant de recevoir le Dalaï-Lama à Paris… Un Tartuffe moderne ?
Ou bien, sans chercher si loin, les votants cherchaient-ils à dénoncer une hypocrisie sournoise et terriblement quotidienne ? Un « faites ce que je dis, pas ce que je fais » dont chacun peut être l’auteur ou la victime dans notre société ? Car au fond, qui n’a jamais menti ou jouer les hypocrites pour obtenir ce qu’il/elle voulait ? Comme le signale Jean d’Ormesson dans son commentaire : « Les Tartuffes de la morale sont corrompus. Les Tartuffes de la paix font la guerre. Ils sont partout ».
Vaniteux, avares et misanthropes
La seconde place est raflée par Monsieur Jourdain. Étonnant ? Pas vraiment. « La vanité reste un travers humain toujours bien présent aujourd’hui » rappelle Le Figaro. Le plus intéressant, encore une fois, serait de découvrir quels « bourgeois gentilshommes » contemporains sont pointés du doigt par les votants, et quelles charges nobiliaires ils sont à même d’obtenir à notre époque. Fils ou fille de… n’ayant pas besoin de distinguer prose et vers pour hériter de situations dorées ? Étudiant(e)s aux moyens larges qui fréquentent de très honéreuses écoles privées quand d’autres doivent travailler pour payer leur ticket d’entrée à l’université ? Ou bien la pique s’adresse-t-elle une fois de plus à nos leaders politiques ? La chose n’est pas à exclure… Sarah Palin, dont l’extrême ignorance n’est plus à démontrée, mais qui n’en annonce pas moins à demi-mot ses ambitions présidentielles, ne serait-elle pas la double féminine parfaite du Monsieur Jourdain de Molière ?
Suivent deux curiosités… Harpagon, le vénal personnage principal de L’Avare –« Ma cassette ! Ma cassette ! »– arrive en troisième position. Quant à Alceste le misanthrope, il s’attribue la quatrième place. Dans le premier cas, note l’auteur de l’article, on peut s’étonner que « le parangon de l’avarice et de l’amour de l’argent n’ait pas obtenu un meilleur score ». Faut-il en conclure avec Michel Bouquet qu’Harpagon peut désormais être vu aussi comme le prudent économe qui met de côté, quand d’autres dilapident sans compter ? Qu’il n’est pas un ancêtre des actuels traders et autres magnats de la finance, et donc qu’on lui pardonne son comportement ?
Le second cas est plus problématique… Comment l’homme qui conçoit « une effroyable haine pour la nature humaine » et préfère finalement s’isoler du monde peut-il être plébiscité à l’heure où Internet et Facebook nous plongent en permanence dans le bain de la communication mondiale ? Faut-il en déduire que ces nouvelles technologies sont également perçues comme une forme de drogue et que celui qui s’en éloigne est un sage ? Que ces réseaux pseudo-sociaux ne nous rapprochent que par le biais d’écrans interposés ? Ou plus simplement que l’Homme n’a jamais été plus haïssable qu’au cours de notre siècle ? … Bien malin qui pourra répondre !
Un hypocondriaque… et quelques fâcheux oublis
Suivant sur la liste : Argan. Surprise encore une fois, car un tel malade imaginaire, copieusement escroqué par ceux qui prétendent le soigner, aurait pu obtenir une bien meilleure place dans une société où certains se payent le luxe de coûteuses psychanalyses au moindre mal-être, où critiquer les honoraires des généralistes est un tabou, où les magazines regorgent de « conseils santé »… et où la médecine n’a jamais autant été un « business ».
Mais soit, oublions Argan et ses angoisses hypocondriaques pourtant brûlantes d’actualité. Il est en revanche d’autres oublis dont les votants se sont rendus coupables ! Quid par exemple de Dom Juan, injustement relégué à la huitième place ? Les séducteurs infidèles n’ont pourtant pas disparu de ce monde. Leur aurait-on pardonné leurs écarts ? Et Scapin, le pauvre fourbe, qui n’obtient qu’un malheureux 6,6% de la part des lecteurs… Il faut croire que les sympathiques escrocs, arnaqueurs, intriguants et débrouillards en tout genre, héritiers d’Arlequin et de Figaro, n’ont plus aujourd’hui les faveurs de la foule.
Mais surtout, il est impardonnable de n’avoir même pas mentionné le Sganarelle de Dom Juan ! Impardonnable, oui, car pas un personnage n’est plus criant d’actualité que ce pauvre bougre sans emploi et impayé à la fin de la pièce. Au pays de Molière et ailleurs, comme Sganarelle, ils sont nombreux à avoir suivi les frasques -certes plus financières qu’amoureuses- de quelques « grands » de ce monde. Et, à présent laissés pour compte, ils peuvent eux-aussi très légitimement s’écrier : « Mes gages ! Mes gages ! »
Crédit photo Quinet Flickr
Pour en savoir plus : un site très complet sur Molière
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