2011, encore un tour de manivelle pour le Festival de Cannes. Combien d’années devrons-nous encore supporter ce désolant spectacle de morale et de fric ?
Ah, la magie du festival… Chaque année, quand les beaux jours arrivent, on guette les robes, les sourires, les couples, parfois les films… Et la montée des marches !…. Les nuées de photographes… Le sein gauche de Sophie Marceau…
Bien sûr, dans un contexte si heureux, au beau milieu de toutes ces paillettes, de ces décolletés intouchables, de ces sourires brillants, de ces dollars pleuvant et de ces culs qui ont fait dix heures d’avion pour se faire photographier auprès d’autres non moins célèbres culs, il faudra quand même penser à récompenser des films. Comment le « président du jury » et ses acolytes vont-ils s’y prendre ? Eh bien, la plupart du temps, il vont décorer des films dépressifs, morbides, déprimants.
Ceci est d’ailleurs tout à fait logique : à l’endroit où le paraître et la médiocrité atteignent un tel niveau de puissance, d’impunité, où l’exhibitionnisme béat et bêta est érigé en norme, on sent naturellement le besoin pressant de se soulager de toute mauvaise conscience en récompensant des films, pardon des œuvres, donnant une voix aux « sans-voix », aux exclus, aux malheureux, aux résistants, aux crevards du monde entier.
Suicide, meurtre, guerre, maladies… Bienvenue à Gattacannes !
Nous exagérons ? D’un rien.
Palme d’or 2010 : Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures, qui raconte l’histoire d’un apiculteur d’une soixantaine d’année, qui souffre d’insuffisance rénale et se prépare à mourir. Un scénario plutôt guilleret qui n’est pas sans rappeler celui de la Palme d’or 1998, l’inoubliable L’Éternité et un jour, qui met en scène un écrivain célèbre n’ayant plus que quelques jours à vivre. Heureusement, quelques coupes de Champagne auront tôt fait d’ôter toutes idées noires aux vénérables membres du jury.
Vous en voulez encore ? Allez voir ou revoir ce film désopilant, L’Anguille, primé en 1997, qui nous propose de méditer sur le sort d’un type qui a assassiné sa femme adultère de plusieurs coups de couteau. Ou encore, dans un registre beaucoup plus léger, Le Ruban blanc, réalisé par le joyace Michael Haneke, récompensé de manière tout à fait justifiée en 2009, puisqu’il avait pour cadre un village d’Allemagne à la veille de la première guerre mondiale. Ou L’Enfant (2005), qui nous expose les aventures d’un père vendant son bébé pour de l’argent. Aller, un petit dernier : 4 Mois, 3 semaines, 2 jours, monté au pinacle en 2007, qui narre aux citoyens point trop mécontents de nos métropoles climatisées l’histoire d’une étudiante qui tente de se faire avorter avec l’aide de sa colocataire.
Bref, vous voyez que les héros de ces chef-d’œuvres sont tous d’authentiques winners.
La Palme d’or n’aime que les drames obscurs pour salles obscures
Arrêtons-nous là, car n’importe qui pourra aisément vérifier (voir par exemple Elephant, Rosetta, Dancer in the dark…) qu’une Palme d’or, dans 95 % des cas, doit être : un drame familial, un drame historique, un drame psychologique et bien souvent un drame cinématographique.
Que du bonheur ! Du glamour ! De la Une, du positif, du papier glacé ! Du Brad Bite et de l’Angelina Polie !
On se souvient également de la polémique qu’avait déclenché le choix du jury de 2004, présidé par Quentin Tarantino, de récompenser le documentaire de Michael Moore anti-Bush, Fahrenheit 911. On avait accusé le réalisateur américain d’être influencé par la proximité des élections présidentielles américaines, et d’avoir récompensé un film très moralisateur. Comment cela, Tarantino le destroy, le cinéaste jeune par excellence, le dingue, le fou, le libéral, le gosse de génie, l’hyper-moderne, l’hyper-violent, serait un bon vieux puritain ? La réponse est oui, la preuve.
(Note du 19/05/2011 : on voit également à travers l’affaire des propos débiles de Lars Von Trier et de la non moins pathétique réaction de Gilles Jacob à quel point Cannes respire l’hypocrisie et l’obsession maladive pour la propreté morale. Le pauvre type a fait une blague lourdissime, ce qui d’ailleurs n’est pas étonnant vu le désespoir lourd qui teinte certains de ses films, dont l’un a remporté la Palme d’or il y a quelques années ; ces propos qui ne méritaient que d’être oubliés, méprisés, négligés, ont été repris jusqu’à plus soif, évidemment : les Hypocrites Friqués ne loupent pas une occasion de se faire passer pour des Gens Biens. Et Gilles Jacob de justifier l’existence du carnaval de Cannes ainsi, avec toute la lénifianterie propre à notre époque : « Et c’est d’autant plus triste et lamentable une année où nous recevons des films de peuples qui crient leur besoin vital d’expression et de cinéastes retenus dans leur pays. » M. Jacob aurait-il oublié qu’en « criant », on n’arrive que rarement à quelque chose d ‘intéressant ?…)
On y parlera pognon, pognon, pognon et crèmes anti-rides
Cannes, derrière ses petites folies sous contrôle, est triste, désespérément bienfaisant, lourd, cul-de-plomb. Le triomphe de l’hypocrisie la plus totale et la plus friquée, le libéralisme cintré, la beauté anesthésiée, la sexualité régulée, la larme de crocodile perlant sur le Vuitton en peau de crocodile. Est-ce que les habitués des salles obscures réalisent à quel point le cinéma est devenu une affaire d’argent ? C’est Robert de Niro, président du jury cette année (2011), qui le rappelle dans une interview accordée à Libération (12/05/11) : « C’est toujours pareil : dès que quelqu’un a un espoir sérieux de se faire de l’argent, tout est possible… » Ah, Cannes, le cinéma, les films d’auteur, les robes de soirée…
A Cannes, ça parle cinéma ? Le pauvre blabla autour de notre pauvre vieux septième art n’est que la partie émergée de l’iceberg, l’écume des vagues, une donnée secondaire : à Cannes, ça va parler pognon, pognon, pognon et crème anti-rides, ce qui revient au même.
Tout ce qui pourrait sauver le festival de Cannes, c’est que Charlot ou Groucho Marx viennent y semer la merde. Quel magnifique terrain de jeux pour des anarchistes…
Crédit photo : Jérôme Briot / Flickr
D’autres coups de gueule sur Retour d’actu, dont ce point de vue sur un brillant écrivain estimant que les Schtroumpf sont racistes et / ou communistes…