Endettés et heureux de l’être ?

A une heure où l’on débat âprement sur les finances publiques du Portugal, il n’est pas inutile de rappeler quelques éléments sur la dette des États. L’économiste Jean-Paul Fitoussi a plusieurs fois livré son point de vue sur le sujet, en décalage avec les discours alarmistes actuels.

En ces temps de baccalauréat, il est une note qui a fait bondir l’Union européenne : celle que l’agence Moody’s a attribuée à l’état des finances publiques portugaises. En cause : une dette trop élevée et de plus en plus intenable… Bien que les instances de l’UE soient promptes à prôner l’abstinence en matière d’interventionnisme étatique, José Manuel Barroso, le patron de la Commission, n’a pas manqué de jouer les vierges effarouchées.

Toutefois, cette hypocrisie européenne masque un débat bien réel et trop souvent occulté : la question de la dette, posée seule, signifie peu de choses. Savoir si l’on est endetté ou non n’a en soi aucun intérêt. Savoir comment on utilise sa dette et dans quelle mesure on a les moyens de la rembourser en a bien davantage.

Sur ce seul postulat, l’économiste Jean-Paul Fitoussi rappellait en 2006 dans un « chat » sur le Monde.fr que l’on commet trop souvent l’erreur de comparer l’État à un ménage. Or le premier, contrairement au second, n’est pas tenu de rembourser ses emprunts avant sa mort. « Cela signifie qu’il peut garder constant son niveau d’endettement » notait Fitoussi.

24 000 euros par tête ?

Il faut en conclure que les chiffres alarmistes régulièrement brandis par les tenants rigoristes de l’équilibre budgétaire n’ont au fond pas grande valeur. A les écouter, chaque Français naîtrait avec une dette d’environ 24 000 euros suspendue au dessus de sa tête. Et ne pas réduire cette dette conduirait à la reporter sur les générations suivantes. Le constat n’est pas faux. A ceci près que l’État peut se permettre de reporter cette dette quasiment ad vitam etarnam.

Les 24 000 euros peuvent donc passer d’une tête à l’autre sans tomber sur aucune, et c’est d’ailleurs comme cela que fonctionne le déficit français. Les années de croissance contribuent à le réduire. Les années de vaches maigres le font au contraire augmenter. De surcroît, comme l’indiquait un peu cyniquement dans ses cours à Paris Dauphine le journaliste économiste Pierre-Antoine Delhommais, l’État est toujours en capacité de lever l’impôt. En particulier pour diminuer ses dettes. Un gage suffisant, le plus souvent, pour trouver prêteur.

Cela n’empêche pas que le remboursement des intérêts de la dette est particulièrement important (plusieurs dizaines de milliards d’euros chaque année). Ni que celle-ci est passée, au cours des trente dernières années, d’un peu plus de 20% du PIB à plus de 80%. Mais aucune réponse définitive n’existe en matière de niveau d’endettement « optimal » ou « maximal ». Jean-Paul Fitoussi rappelait ainsi, toujours en 2006, que la dette de l’Italie atteignait 100% de son PIB, et celle du Japon plus de 129%.

« Les marchés financiers sont très heureux de prêter… »

Les États-Unis vivent également, et depuis longtemps, à crédit. La question de la solvabilité de ces pays ne se pose pas pour autant. « On sait que le Japon peut vivre avec une dette supérieure à 130 %, l’Italie à 120 %, la Belgique à 100 % environ, sans que ni la croissance économique, ni la cohésion sociale, ni l’État ne soient déclarés en faillite » précisait Fitoussi dans le « chat ». « Au contraire, les marchés financiers sont très heureux de prêter au Japon, à l’Italie et à la Belgique. Ils savent très bien qu’il s’agit de placements sans risque. » La chose vaut aussi pour la France, et même davantage, puisqu’elle s’endette essentiellement auprès de banques et d’organismes… français.

Dans l’absolu, étant donné la richesse de ces nations, les États concernés auraient la possibilité de revenir à l’équilibre en quelques années. Mais est-ce bien souhaitable ? Cela signifierait pratiquer des coupes drastiques dans les dépenses publiques, et notamment les dépenses sociales, qui ont aussi pour rôle de réinjecter des liquidités dans l’économie et donc de soutenir la croissance.

Cela signifierait aussi se priver d’investissements qui préparent l’avenir. Ceux qui matraquent qu’on laisse une dette à nos enfants oublient qu’on leur lègue aussi, en s’endettant, des écoles, un système éducatif, des routes, des hôpitaux… de la même manière que nous profitons actuellement des investissements réalisés durant les précédentes décennies. « Les générations futures hériteront à la fois la dette, la créance sur l’Etat et le patrimoine public que les dépenses publiques auront aidé à financer » conclut Fitoussi, qui ajoutent que leur réduction ne peut donc constituer à elle seule un but de politique économique : « Les vrais objectifs de la politique économique, ce sont le plein emploi et l’augmentation des niveaux de vie. »

Il rappelle sur ce point que le premier moteur de la dette est le chômage. De ce point de vue, une réaction économique saine consisterait à investir massivement au Portugal afin d’y relancer l’emploi, plutôt que de contraindre l’État à trancher dans son budget.

Crédit photo : ePsos.de / Flickr

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