« Onéguine » à l’opéra de Paris, les délices du tragique

La reprise du ballet Onéguine à l’opéra Garnier nous assure quelques heures de passion. Retour sur la soirée exceptionnelle du 10 décembre.

Onéguine, chorégraphié par John Cranko, est un ballet particulièrement émouvant. L’histoire, tirée d’un roman du dramaturge russe Alexandre Pouchkine, active tous les ressorts du tragique. Duel fratricide, orgueil et honneur, amour impossible, mélancolie du temps passé avec son cortège de fantômes et de regrets… L’effet cathartique joue à plein.

Onéguine a également la particularité de finir sur l’un des plus beaux pas de deux qui soient, illustrant magnifiquement l’idée du déchirement amoureux. On est en plein dans l’âme russe, le Tolstoï d’Anna Karénine n’est pas loin.

Claire-Marie Osta, pour l’éternité

Ce samedi 10 décembre, Claire-Marie Osta et Benjamin Pech étaient distribués dans les deux rôles principaux (Tatiana et Eugène Onéguine lui-même). Inutile d’attendre plus longtemps pour dire que Claire-Marie Osta a rendu cette soirée mémorable entre toutes. L’une de celles où les images semblent se graver instantanément dans notre conscience, à mesure que l’on réalise l’engagement absolu des artistes. Le pas de deux final en a été un exemple bouleversant. Il fallait voir Claire-Marie Osta, danseuse magnifique qui ne déçoit jamais, au style particulièrement intériorisé, il fallait donc la voir se donner corps et âme à son art, le visage levé, les yeux fermés. Ainsi habitée, elle n’était que foi en la danse.

Le fait qu’elle arrête sa carrière cette année lui a certainement donné envie de s’impliquer à ce point. Elle lance violemment ses bras en croix, renverse son visage, pour littéralement tomber, chuter dans les bras de son partenaire Benjamin Pech avec un superbe abandon, quasi christique (on peut d’ailleurs rappeler que la jeune Claire-Marie Osta avait songé, un temps, entrer dans les ordres). Ou, dans l’un de ses gestes finaux, elle intime à Onéguine, à ses pieds, l’ordre de partir en lui désignant la sortie. A la fois inflexible et à deux doigts de s’écrouler. Impossible de ne pas se souvenir de ces secondes sans frissonner d’émotion. Onéguine et Tatiana étaient véritablement, ce soir-là, les martyres de l’amour.

Onéguine, ou la grande soirée de danse assurée

De son côté, Benjamin Pech a campé un Onéguine particulièrement froid et cruel dans les deux premiers actes, avant de donner l’image, au troisième, d’un personnage très fragilisé, profondément mélancolique. Une interprétation un peu extrême mais qui a son charme. Benjamin Pech a, par ailleurs, été un compagnon idéal pour Claire-Marie Osta. Des portés parfaits et coulants (et Dieu sait s’il y en a dans ce ballet, et pas les plus simples !). Pech a certainement senti que pour sa partenaire, la soirée était spéciale. Il a réellement semblé l’accompagner. On a d’ailleurs remarqué que lors des saluts il l’a gratifiée d’un baise-main bien plus appuyé que ce que l’on voit habituellement ; et lui a ensuite glissé quelques mots à l’oreille, chose également inhabituelle.

Comme la troupe du ballet de l’opéra de Paris est exceptionnelle, on ne s’arrête pas là. Car les seconds rôles étaient eux aussi magnifiques. Jamais Mathilde Froustey ne nous avait fait si bonne impression. Dès les première minutes, il était visible qu’elle était en pleine possession de ses moyens. Ses mouvements du haut du corps sont magnifiques de souplesse, ses bras volètent aux alentours, et son sourire constant et coquin ne gâche rien : quelle grâce ! Josua Hoffalt, qui semble en pôle position pour devenir le prochain danseur nommé étoile (au nouvel an sur Cendrillon ?) a montré que ce ne serait pas volé (on se souvient de son interprétation magnifique de Roméo l’an dernier).

En 2009, les représentations d’Oneguine avec les distributions Osta/Legris et Le Riche/Dupont avaient déjà été de grandes soirées, et il semble qu’avec ce ballet on sorte toujours enthousiasmé de l’opéra Garnier. C’est rare et témoigne de la richesse de l’oeuvre, qui a aussi l’avantage de ne contenir quasiment aucune longueur. L’action nous tient, la tension persiste tout du long, c’est un régal.

D’autres critiques sur Retour d’actu, dont celle-ci sur le ballet Cendrillon.

D’autres critiques d’Onéguine à l’opéra de Paris sur le blog « A petit pas » et sur « Danses avec la plume ».
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