Pour Barack Obama, la fameuse période faste semble à cette heure toucher à sa fin… Mais « l’État de grâce » correspond-il vraiment à une réalité politique ? Éléments de réponse.
On a choisi le gros plan. Immortalisé en « une » du Courrier international du 27 août, Barack Obama a les yeux clos, le visage légèrement penché vers l’avant. Son expression est celle d’un homme lasse. Aux antipodes du visage vu et revu mille fois, après une élection qui avait suscité l’enthousiasme du monde. Qui suit un peu l’actualité pourrait supposer que le président américain pleure la mort du sénateur Ted Kennedy, dernier politique de la grande famille… Il n’en est rien. La photo illustre le drame qui frappe inévitablement tous les hommes de pouvoir : la fin de l’État de grâce.
L’expression est à la mode. Au point qu’elle donne depuis peu son nom à une série télévisée diffusée sur France 2… Elle désigne la popularité dont bénéficie le vainqueur d’une élection durant les quelques semaines qui suivent sa victoire. « Les vaincus sont démobilisés, quand ils ne sont pas assommés par leur défaite, ou soucieux de ne pas paraître mauvais perdants » explique l’ouvrage de Thomas Ferenczi Dictionnaire historique de 1870 à nos jours. « Quant aux nouveaux dirigeants, faute de temps, ils n’ont pas encore été mis à l’épreuve […] et même s’ils s’attaquent à des problèmes difficiles, il est trop tôt pour juger les résultats de leur action ». Ce qui, sans doute, génère ce soutien populaire des premières semaines…
L’État de grâce explique notamment qu’un nouveau président peut compter, presque à coup sûr, sur l’élection d’une majorité de sa couleur politique à l’Assemblée nationale dans les jours qui suivent. Nulle pitié, en 2007, pour l’opposition socialiste qui supplie les Français de « rééquilibrer » le pouvoir lors des législatives. Porté par sa nouvelle aura, le camp de Nicolas Sarkozy l’emporte largement… Et avant le président actuel, d’autres misèrent même encore plus sur cette période de confiance. Ainsi François Mitterrand, avant l’inversion du calendrier électoral, n’hésita pas à dissoudre l’Assemblée nationale après sa triomphale élection en mai 1981. Encouragé sans doute par la liesse populaire qui avait pris d’assaut les Champs Elysées pour célébrer sa victoire… Il s’en suivit la « vague rose » que l’on sait aux élections législatives.
Une notion floue
Est-ce à dire que l’État de grâce permet tout ? Non. L’expression laisse pourtant supposer une onction quasi divine pour le vainqueur. « Cette métaphore religieuse suggère que les nouveaux élus sont en quelque sortes atteints par la faveur de Dieu » précise le Dictionnaire historique. « Il serait plus juste de dire qu’ils viennent de recevoir la faveur du peuple ». De fait, celui-ci n’adoube pas son nouveau dirigeant de la même manière qu’un quelconque Tout-puissant. Même après une victoire électorale, si brillante soit-elle, et même si l’opposition peine à retrouver ses marques, tout n’est pas pardonné aux gagnants au nom de l’État de grâce. La majorité actuelle l’a constaté à ses dépens : une annonce déplacée sur la « TVA sociale » et la « vague bleue » UMP annoncée aux législatives n’a pas eu l’ampleur escomptée.
De surcroît, et c’est là le principal problème, l’État de grâce ne se mesure qu’à l’aune de sondages d’opinion et de commentaires médiatiques. Et ceux-ci n’ont que l’importance qu’on veut bien leur accorder. Un exemple : doit-on affirmer qu’un président bénéficie automatiquement de l’État de grâce si son parti remporte les élections législatives qui suivent ? Ce n’est pas certain… En 1988, après sa réélection, François Mitterrand obtint un retour en force du PS à l’Assemblée nationale. Mais ne bénéficia ni de la majorité absolue, ni d’une confiance populaire sans limite…
De même, sur quels signaux s’appuyer pour affirmer que l’État de grâce cesse ? Quand une cote de popularité passe sous le seuil des 50% ? … Mais alors comment analyser une remontée, comme celle que connaît actuellement Nicolas Sarkozy ? La rentrée parlementaire permettrait-elle un retour tout en discrétion de l’État de grâce ?
Faut-il plutôt considérer que la première défaite électorale marque la fin de la période faste ? Mais alors, comment analyser une victoire « relative » comme celle de l’UMP à des européennes qui n’ont pas mobilisées les foules ? Faut-il introduire le facteur du temps ? Les médias parlent parfois des « 100 jours ». Et on dit que l’État de grâce prend généralement fin à l’automne pour un gouvernement nommé au printemps. Mais que dire alors du parti conservateur japonais, qui s’apprête à quitter le pouvoir après un demi-siècle passé au pouvoir…
Vision des médias
La vérité est ailleurs : ce que l’on nomme « État de grâce » nait d’abord d’une construction médiatique et de l’imaginaire collectif. Et n’est peut-être rien de plus que cela. Après une victoire électorale, on braque assez logiquement les caméras en direction des vainqueurs, quitte à délaisser des perdants moins « vendeurs ». L’encre coule, sur les choix de l’élu(e), sa politique, sa vie privée, son « style », parfois son « look ». La chose est d’autant plus vraie quand on se distingue d’une manière ou d’une autre. Mitterrand, en 1981, amenait avec lui la gauche au pouvoir pour la première fois sous la Cinquième république. Obama a eu pour lui sa couleur de peau. Ce qui fut martelé par tous les journaux et toutes les télévisions du monde, bien que l’intéressé ait toujours pris soin de ne pas apparaître comme le candidat d’une minorité.
A force d’images et d’articles, on façonne des mythes qu’on est bien forcé de brûler quand les hommes et les femmes au pouvoir se heurtent à leurs premiers conflits sociaux. On créé ces États de grâce pour ensuite leur donner une fin. Ce faisant, on passe sous silence les oppositions et les critiques, qui souvent ne manquent pas dès les premiers instants. De même, on esquive les écueils prévisibles… Mais qui aurait pris le risque, au lendemain de l’élection d’Obama, de parler d’autre chose que d’un splendide espoir, d’une grandeur américaine reconquise ? Quel éditorialiste aurait osé se laisser aller au pessimisme ? Rappeler par exemple que le nouveau président héritait d’un pays très endetté ? Que les cercueils ne cesseraient pas de revenir des bourbiers irakien et afghan ? Que d’autres s’étaient brisés sur le roc conservateur en voulant instaurer un système de santé universel ? Que le lobby des armes à feu reste immensément puissant et que d’autres massacres dans les écoles sont à craindre ? L’euphorie et les rêves passés, il est nécessaire de revenir au réalisme, sous peine de passer pour un idéaliste ou un partisan. Barack Obama fait aujourd’hui l’expérience de ce douloureux retour sur terre.
Pour en savoir plus : un éditorial de L’Express sur Barack Obama
Chronique politique en continue sur Retour d’actu
Très bonne réflexion, je suis tout à fait d’accord avec toi…Mais au risque d’apparaître cynique, j’irais même un peu plus loin que toi. Je dirais que les médias font en sorte de faire du nouvel élu un messi, pour donner l’illusion aux gens qu’il sera meilleur que le précédent. En gros, ils donnent de faux espoirs, pour faire de l’évènement quelques chose d’historique!
Heureusement que tous les journalistes ne sont pas dans ce cas. Au lendemain de l’élection d’Obama, j’ai écouté un journaliste qui disait que désormais Obama, » qui incarne le renouveau blablabla … », « n’a plus qu’à décevoir! » J’ai d’ailleurs beaucoup apprécié son réalisme!
Par contre tu feras attention aux quelques fôte d’ortograf : désolé c’est l’instit’ qui parle!