« La Fille du puisatier » : Daniel Auteuil met Pagnol en couleurs

Pour sa première réalisation, l’acteur avignonnais a choisi un scénario de l’auteur de La Gloire de mon père. Le résultat est une séduisante fresque provençale. Un film rafraîchissant.

Pour son premier passage derrière la caméra, Daniel Auteuil a choisi le retour aux sources. La fille du puisatier, qui sortira le 27 avril prochain, est une adaptation moderne du film de Marcel Pagnol achevé en 1940 et fortement censuré à l’époque.

Après avoir interprété Ugolin dans Jean de Florette et Manon des sources de Claude Berri, un rôle qui lui valut d’ailleurs le César du meilleur acteur en 1987, Daniel Auteuil campe avec brio le puisatier dont la charmante fille, Patricia, s’éprend d’un aviateur, fils de bonne famille, Jacques Mazel. Celui-ci parti à la guerre, elle découvre qu’elle est enceinte. En 1939, un tel événement salit l’honneur de ce père seul et désemparé dans l’éducation de ses filles. Il chasse son aînée, incapable d’exprimer ses sentiments.

[daily]xhf2qf_la-fille-du-puisatier-bande-annonce-de-daniel-auteuil_shortfilms[/daily]

Que de tourment dans ses âmes méridionales d’un temps révolu. Certains plans fixes sur les herbes parsemées de coquelicots un jour de mistral illustrent cette agitation souterraine, se répercutant jusque dans les cheveux de Patricia, magnifiquement incarnée par Astrid Bergès-Frisbey. Innocente face à la vie, elle souffre en silence du rejet de la famille de celui qu’elle croit mort.

Véritable fable, le texte de Pagnol n’a presque pas été modifié. Son verbe, teinté par l’accent chantant du midi, accompagne le scénario. Daniel Auteuil, qui a grandi à Avignon, n’a pas eu besoin d’exagérer beaucoup pour imiter ce parler si particulier. Habitant Marseille, Kad Merad relève le défi, de taille, d’incarner le personnage du généreux Felipe, amoureux éconduit, incarné d’antan par Fernandel.

Toute la pudeur de Marcel Pagnol

Même Jean-Pierre Darroussin ne détonne pas dans ses habits de commerçant pragmatique, bourgeois de province. « Quand j’étais jeune, parler parisien était un signe de réussite sociale. Je ne sais pas si c’est encore le cas aujourd’hui, commente-t-il dans une interview donnée à La Provence. Je lui ai donc demandé de prendre l’accent des notables avignonnais qui parlent comme s’ils avaient une patate dans la bouche. »

Au-delà du talent des acteurs et de l’histoire au cachet intact, Daniel Auteuil respecte aussi la pudeur de Marcel Pagnol. L’absence de scène ou de gestes d’amour est d’ailleurs l’un des principaux reproches qui puisse être fait au film dont la romance entre deux jeunes gens de milieux différents est l’intrigue de départ. Avec ses transitions brutales entre l’avant et l’après premier baiser d’abord, entre l’avant et l’après « péché » ensuite, le réalisateur prend le risque à deux reprises de perdre le spectateur.

Cette ellipse n’a toutefois pas diminué l’enthousiasme du public des avant-premières, qui ont commencé dans le Sud de la France. Le 16 mars, au cinéma Le Cézanne, d’Aix-en-Provence, c’est un Daniel Auteuil jubilant qui recevait les compliments comme des roses. Avouant s’être « fait traîner » à la projection, un homme d’une cinquantaine d’années confiait sa crainte d’être confronté à « une pagnolade de plus ».

C’est qu’en Provence comme partout, ou peut-être plus qu’ailleurs, Marcel Pagnol souffre de sa réputation d’auteur à dictées. Son petit-fils, Nicolas Pagnol, qui s’est chargé de la gestion de ce patrimoine familial, rêve de rétablir à sa juste valeur la réputation de cet homme mort un an avant sa naissance. C’est même lui qui aurait soufflé à Daniel Auteuil l’idée de ce film. « Il est du Sud, c’est quelqu’un d’humain. Il comprend l’œuvre de mon grand-père. J’avoue qu’à plusieurs reprises j’ai eu la chair de poule en voyant La fille du puisatier. Il a fait un beau cadeau à ma famille. »

Une vision nouvelle de l’œuvre de Pagnol

A plusieurs reprises, Daniel Auteuil a confirmé sa volonté d’offrir au public une vision nouvelle de cet écrivain emblématique. « Le rôle d’Ugolin a changé ma vie, confie-t-il par exemple au quotidien La Provence. La force de Pagnol , c’est qu’il est universel. Je me suis approprié cette histoire pour parler des rapports parents-enfants, de mon père, de ma mère, de moi, de vous, de mon enfance en Provence. »

Enlevant le désuet pour aller à l’essentiel, Auteuil présente un film plus court de 30 minutes par rapport à la version de Pagnol. Tourné dans la région de Cavaillon, le scénario reste malgré son universalisme ancré dans le Midi. Le public parisien saura-t-il apprécier la différence subtile entre les accents méridionaux ou n’y verra-t-il qu’une marque de provincialisme ? En véritable enfant du pays, Daniel Auteuil a fait un film qui, sans surprise, trouve écho en Provence. Même parmi les plus jeunes, aux premiers rangs, un petit spectateur soulignait : « Grâce à vous, on découvre comment c’était avant… »

Et c’est sans doute là le point fort de La fille du puisatier. L’histoire pourrait passer pour vieillie si elle n’était pas ancrée dans une réalité si proche de nous. Évoquant un passé pas si lointain, des sentiments universels, un sens de l’honneur persistant à travers le monde, le film d’Auteuil apporte à celui de Pagnol de la couleur et lui offre l’éclairage nouveau d’une autre époque. L’humour reste le même. La sensibilité et les non-dits aussi. Ne reste qu’à observer si le public français adhère à cette séduisante fresque provençale.

Pour en savoir plus : une rencontre avec Nicolas Pagnol, à lire sur le site du Dauphiné libéré du Vaucluse

D’autres critiques sur Retour d’actu… A lire notamment : un point de vue sur La nuit juste avant les forêts, une pièce de Bernard-Marie Koltès, et un autre sur le film consacré à la chorégraphe Pina Bausch.

Ce contenu a été publié dans Nos critiques, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

1 réponse à « La Fille du puisatier » : Daniel Auteuil met Pagnol en couleurs

  1. Ping : Dans La fille du puisatier, Auteuil met Pagnol en couleurs | Planète Ju

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *