« Itinérances » : Nicolas Le Riche partage ses trésors avec son public

Le 25 avril, Nicolas Le Riche donnait son premier spectacle solo, « Itinérances », à Blagnac. Une belle et intelligente soirée de danse.

Et tout a fini par le bonheur de Nicolas Le Riche, lors des saluts, qui n’avait d’égal que celui du public. Le 25 avril, à Blagnac, le premier projet « solo » du danseur étoile de l’opéra de Paris, intitulé « Itinérances », se jouait dans une salle presque comble. Un programme très bien structuré, porté par des danseurs exceptionnels et bien employés.

La première chorégraphie, Critical Mass, de Russel Maliphant, était dansée par le chorégraphe lui-même et Nicolas Le Riche. Une drôle de pièce en deux parties. La première, assez sombre, montre deux hommes comme agglutinés l’un contre l’autre, se cherchant du corps et du regard, mais sans vraiment parvenir à s’accorder en aucune manière. Le deuxième mouvement, à l’inverse, montre le même couple, mais sur un mode presque guilleret, dansant sur un air de tango (si je me souviens bien). Deux pièces, très différentes, correspondant à deux visions de ce que peut être la vie à deux ? En tout cas, il semble que cela soit bien là le principal thème du spectacle de Le Riche : comment peut se passer la relation entre deux personnes.

S’aimer, regarder ensemble dans la même direction

Les parallélismes sont nombreux entre les différentes œuvres présentées dans Itinérances. Dans le premier mouvement de Critical Mass, les deux hommes pratiquent un seul geste à l’unisson : tendre le bras dans la même direction, en parallèle. On retrouve un peu le même principe dans Odyssée, pièce chorégraphiée par le Riche lui-même, qu’il danse avec sa femme, la danseuse Claire-Marie Osta. Ici, on pense à la maxime de Saint-Exupéry : s’aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction.

Dans cette pièce, Odyssée, les deux personnages cheminent, cote-à-cote, vers une source de lumière émanant de la gauche de la scène, qu’il est tentant d’assimiler à Dieu. Dès que l’un d’entre eux se détourne de cette lumière, son compagnon est là pour, avec une fougueuse tendresse, le ramener à sa mission d’humain et de partenaire qui est celle de continuer à cheminer vers cette lumière, à deux, sans se perdre, sans se tromper de direction. Il faut cheminer en vérité. L’amour qui est ici dépeint, c’est celui qui s’est donné pour mission de veiller sur l’autre. « Ne va pas par là, revient ! Ne revient pas pour satisfaire mon plaisir personnel, mais revient en vertu du pacte que nous avons passé tous les deux : nous diriger, pas à pas, vers la vérité, jusqu’à ce que la mort nous sépare » (ce qui arrive à la fin de la pièce, rappelant la fameuse création de l’homme de Michel-Ange et ces mains qui se touchent sans se toucher, alors que la lumière de vie, éternelle, subsiste – « L’amour ne passera pas », dit Saint-Paul).

Dans Odyssée, jamais les deux protagonistes ne semblent en état de fusionner, même s’ils s’étreignent, se touchent ou se frôlent. On est vraiment dans une vision spirituelle de l’amour, le parcours de deux serviteurs de la lumière. C’est la confiance en un amour plus fort que tout, qui nous détourne de la mort, du sombre, de la perte de soi. Une très belle pièce, pleine de douceur, qui n’est ni tragique, ni rassurante. C’est tout simplement une exposition de l’expérience humaine, mélange de faiblesse et de force, d’éternel et d’éphémère, de lumière et de néant.

La foi de Nicolas Le Riche

On retrouve ces idées de douceur et de foi solide dans la pièce de Preljocaj, L’Annonciation. Une autre histoire de Dieu, de rencontre, d’amour, de couple. Ici, l’intérêt de la chorégraphie, c’est nous rappeler aussi la violence que peut revêtir l’intrusion de la puissance divine dans la vie et le corps d’une jeune femme qui, après tout, n’a rien demandé (quoique, on n’en sait rien). Marie, à la fin de la chorégraphie, après un long dialogue avec l’archange, s’offre à la lumière divine. Elle se place sous sa protection, décide de lui faire confiance et d’accepter son sort, en l’occurrence porter en son sein le fils de Dieu.

Nicolas Le Riche a la foi, c’est ce qu’il n’arrête pas de nous dire. L’archange Gabriel, incarné par Isabelle Ciaravola, dont la stature, le charisme conviennent parfaitement au rôle, fait bien comprendre à Marie qu’elle sera protégée par l’esprit de Dieu, en la couvrant de son corps et de ses ailes, et même en l’embrassant – on retrouve un peu la pièce de Le Riche, Odyssée : amour, protection.

De manière intéressante, les mouvements mécaniques de l’archange, lorsqu’il arrive sur scène dans L’Annonciation, rappellent ceux de la Mort dans Le Jeune homme et la mort, l’une des œuvres phares du chorégraphe Roland Petit, que Le Riche a interprétée avec Ciaravola en conclusion de son spectacle. Comme dans L’Annonciation, cela raconte l’intrusion d’une sorte d’être asexué, mais cette fois-ci franchement maléfique, dans la vie d’un jeune être qui se cherche (même si la Mort est apparemment une fille facile, son absence totale de sensualité lui ôte toute féminité, elle est juste une sorte d’organisme malveillant et calculateur).

L’amour-passion comme expression de l’angoisse de mort

Là, nous ne sommes plus dans le registre de l’amour qui protège, qui repose sur la confiance et la transcendance, mais tout à l’inverse dans celui de l’amour-passion qui met la possession sexuelle au premier plan, au mépris de la vérité de l’autre et de la sienne propre. Un amour, donc, qui n’est que l’expression d’une angoisse de mort, d’un manque à être, celui que ressent le jeune homme au début du ballet. De manière intéressante, dans ce registre, les amants n’arrêtent pas de se regarder, se jauger, se manipuler, se confronter. Ils se touchent énormément. « Aimer » devient vraiment « se regarder l’un l’autre », « se toucher l’un l’autre », mais il ne s’agit plus du tout de « regarder dans la même direction ». Sauf dans un cas : quand la mort montre du doigt quelque chose et que les regards des deux amants convergent enfin, ils tombent sur la vision de l’échafaud sur lequel périra le jeune homme.

Nicolas Le Riche, on le voit, a donc porté un soin extrême à la constitution de son programme – on n’en attendait pas moins de lui. Mais cela confirme qu’au-delà du danseur, il y a un véritable artiste qui tient à nous communiquer des visions bien précises. Ce qui implique une hauteur de vue que n’a pas forcément un interprète, aussi brillant soit-il.

Pour finir, une mention au mystérieux Russel Maliphant, que je voyais danser pour la première fois. Un sacré personnage ! Très charismatique, il dégage une impression de maîtrise et de contrôle qui ferait presque penser qu’on est devant un maître en sport de combats. Une dimension spirituelle qui ne déteint absolument pas dans l’univers « le richien ». Son autre chorégraphie, qu’il danse seul dans le spectacle de Le Riche, Shift, est un exemple de travail sur l’harmonie, l’équilibre, le silence.

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